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Du licenciement inédit de Guy Novès, sélectionneur de l’équipe de France de Rugby. Par Sébastien Ronphé, Avocat.
Parution : lundi 8 janvier 2018
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Guy Novès était nommé sélectionneur de l’équipe de France à compter du 1er Novembre 2015, par la Fédération Française de Rugby (F.F.R.), qui était alors dirigée par Pierre Camou. Son contrat devait courir jusqu’à la fin de la Coupe du monde en 2019.

Le 3 décembre 2016, un nouveau Président, en la personne de Bernard Laporte, était élu à la tête de la F.F.R.

De nombreux commentateurs sportifs craignaient alors pour l’avenir de Guy Novès, eu égard à l’inimitié ressentie entre les deux hommes, Bernard Laporte reconnaissant qu’« ils n’ont pas été toujours d’accord ». (l’express.fr : 04/12/2016 à 18h18 : Rugby : Laporte président de la FFR, après l’élection, les questions.)

Le Président élu se voulait néanmoins publiquement rassurant, déclarant qu’il n’y avait aucune raison qu’il se « sépare de Guy Novès ou d’un autre entraîneur. Il y a des contrats. Je suis légaliste », tout en précisant qu’un « entraîneur est soumis au résultat ». (mcsport.bfmtv.com du 27/11/2016 à 14h11 : XV de France : l’élection va-t-elle changer l’avenir de Novès ?)

Guy Novès, anticipant d’éventuels désaccords avec le nouveau Président de la F.F.R., avait notamment déclaré qu’il ne pouvait exprimer « (son) potentiel que lorsqu’(il a) une grande liberté », laissant entendre que, s’il venait à en être privé, il pourrait quitter de lui-même son poste. (l’express.fr : 04/12/2016 à 18h18 : Rugby : Laporte président de la FFR, après l’élection, les questions.)

Malgré la revendication de cette indépendance viscérale, après une défaite de la France en Afrique du Sud le 10 juin 2017, le Président Laporte se rendait sur place, annonçant qu’il allait s’entretenir avec les joueurs quelques heures avant le deuxième test-matchs, qui sera finalement lui aussi perdu.

Le sélectionneur Novès déclarait alors « Je vais considérer qu’un entraineur entraîne, qu’un joueur joue, qu’un dirigeant dirige et qu’un président préside. » (Lefigaro : 9/10/2017 à 17h05 : Laporte réclame des nouvelles têtes à Novès.)

Malgré la tournée d’été en Afrique du Sud au cours de laquelle trois défaites ont été concédées par l’équipe de France en autant de matchs, Bernard Laporte assurait maintenir sa confiance à Guy Novès : « Les joueurs, Guy et moi, on est dans le même bateau. Je suis avec eux. (…) En novembre, il faut qu’on gagne trois matchs sur quatre. L’objectif sera clair. Ca ne veut pas dire que si on n’y arrive pas, on va virer des gens, mais on doit avoir cet objectif.(…) Guy Novès a mon soutien (…) ». (leparisien.fr : 25 juin 2017 à 7h31 : Bernard Laporte, patron du rugby français : « Ca ne peut plus durer ! »)

A l’issue de la tournée de Novembre en France, le XV de France concédait trois défaites et un match nul. Un bilan bien éloigné des objectifs fixés par le Président Laporte.

Bernard Laporte estimait alors « Je me donne quinze jours pour trancher. Je vais discuter avec les différents protagonistes. S’il faut changer de sélectionneur, je le ferai mais je ne veux pas me précipiter ». (Rugbyrama : 01/12/2017 à 16h03 : « Laporte-Novès : La phase de réflexion »)

Cependant, à l’expiration du délai de quinze jours, aucune décision n’était prise par le Président de la F.F.R.

La réalisation d’un audit était toutefois confiée à Serge Simon, vice-Président de la F.F.R. Une trentaine d’entretiens avec des entraineurs de clubs, des présidents de clubs et des joueurs était réalisée.

A la suite de cet audit, Serge Simon s’entretenait avec Guy Novès. (Lefigaro : 21/12/2017 à 16h42 : XV de France Laporte tranchera le cas Novès le 27 décembre)

Le 27 Décembre 2017, Guy Novès était licencié par la F.F.R. pour faute grave.

Trois points méritent ici d’être étudiés.

S’agissant de la validité d’une rupture d’un contrat à durée déterminée pour faute grave :

Un CDD ne peut être rompu avant son échéance que dans cinq hypothèses : la rupture d’un commun accord, la rupture pour force majeure, la rupture pour faute grave, la rupture justifiée par une embauche en CDI et la rupture pour inaptitude du salarié (Article L.1243-1 du Code du Travail).

La faute grave est une faute « qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » (notamment Chambre Sociale, 27 Septembre 2007, n°06-43867).

Il convient ici de préciser que le mauvais bilan de Guy Novès à la tête du XV de France (7 victoires, 13 défaites et un nul) ne saurait constituer une telle faute. En effet, un sélectionneur n’a pas d’obligation de résultat mais uniquement une obligation de moyens.

Conformément aux articles L.1232-2 et suivants du Code du Travail, l’employeur a une obligation de convoquer le salarié à un entretien préalable à toute décision de licenciement.

Cependant, en l’espèce, Guy Novès affirme ne jamais avoir été convoqué à un entretien préalable, et ainsi ne jamais avoir pu prendre connaissance des raisons pouvant justifier la procédure ni présenter la moindre explication pour sa défense.

Guy Novès et son conseil ont par ailleurs précisé que la lettre de licenciement indiquait que le Président de la F.F.R. s’est sciemment dispensé de cette procédure légale obligatoire.

S’agissant de l’étonnante ignorance de la F.F.R. d’un éventuel manque de collaboration de Guy Novès avec les staffs des clubs et les joueurs.

Les défaites de l’équipe de France sous l’ère Novès ne pouvent fonder la rupture de son CDD. Dès lors, sous réserve d’éléments non diffusés dans la presse, seuls les résultats de l’audit réalisé par le Vice-Président de la F.F.R. seraient susceptibles de constituer des griefs à l’encontre de Guy Novès de nature à justifier son licenciement.

Dans ce sens, la F.F.R. reprocherait à Guy Novès un manque de collaboration avec les clubs du Top 14 et les joueurs eux-mêmes. Guy Novès n’aurait pas échangé de façon suffisamment régulière avec les staffs des clubs et les joueurs.

Reste ici à déterminer d’une part si un tel manque existe réellement, et d’autre part s’il serait constitutif d’une faute d’une telle gravité rendant impossible le maintien de Guy Novès à son poste d’entraineur.

Quoi qu’il en soit, il semble surprenant que le même Président qui affichait en juin 2017 une grande proximité les joueurs et déclarait soutenir le sélectionneur découvrirait en décembre 2017 un éventuel manque de collaboration de Guy Novès avec les clubs et les joueurs.

S’agissant de la conformité de la procédure aux valeurs et à l’image du rugby.

En vertu de l’article 131 des Statuts et Règlements pour la saison 2017-2018, le Comité Directeur de la F.F.R. peut prendre des décisions qu’il juge conforme à l’intérêt supérieur du rugby. Cet intérêt supérieur se définit entre autres comme la « défense des valeurs et promotion de l’image du rugby ».

En l’espèce, plusieurs anciens ou actuels joueurs, Présidents ou entraîneurs de clubs, ou encore même un ancien sélectionneur du XV de France s’émeuvent des conditions d’éviction de Guy Novès.

La décision de licenciement pour faute grave est critiquée au point que le nouveau sélectionneur nommé a été confronté à des difficultés pour trouver des adjoints, des entraîneurs sollicités déclinant l’offre eu égard au traitement réservé à Guy Novès.

Les contestations sont d’autant plus nourries que la volonté de caractériser une faute grave pourrait impliquer l’intention de ne pas verser d’indemnités au sélectionneur déchu.

Cette quête d’économies serait perçue comme susceptible de porter atteinte aux valeurs et image du rugby.

Ainsi, tant au regard du manquement procédural dénoncé qu’à l’ignorance douteuse du grief invoqué, les conditions d’éviction de Guy Novès semblent entacher l’image de l’Ovalie jusqu’ici plutôt immaculée.

Sébastien Ronphé, Avocat inscrit au Barreau des Hauts-de-Seine.
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