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« Pour l’unité des avocats de France » - Interview de Christiane Féral-Schuhl, Présidente du CNB.
Parution : lundi 8 janvier 2018
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Alors que débute son mandat à la Présidence du CNB, Christiane Féral-Schuhl est plus que jamais convaincue que la profession d’avocat doit être unie pour faire face à l’avenir. Les nombreuses transformations qu’elle connait doivent l’y pousser et la nouvelle Présidente entend bien donner l’impulsion nécessaire dans de nombreux domaines : formation, numérique, accès au droit...
La rédaction du Village de la Justice l’a interviewée pour vous.

Beaucoup de présidents du CNB avant vous ont fait le vœu d’une profession unie sans pour autant y parvenir, comment comptez-vous faire pour que cette unité devienne réalité ?

"L’unité passe par cette capacité à débattre et à échanger mais aussi à se rassembler autour d’une voix."


Déjà, en démontrant que c’est un vœu partagé avec tous les membres du bureau. Pour la première fois, le président et son bureau ont présenté leurs vœux ensemble sous forme d’un manifeste pour l’unité des avocats de France. Les réactions sur les réseaux sociaux sont très positives ce qui montre que c’est une démarche volontaire mais aussi attendue par beaucoup d’avocats.

Je suis consciente que nous avons des débats internes et que le CNB est connu pour la vivacité de ceux-ci. Je pense qu’ils doivent avoir lieu, ils sont la richesse de notre profession. Mais une fois ces débats terminés, il faut que la position exprimée par le CNB devienne la voix de la profession. L’unité passe donc par cette capacité à débattre et à échanger mais aussi à se rassembler autour d’une voix qui aura été exprimée à travers le mode du vote.

Quelles vont être les 3 priorités de votre début de mandat ?

"Il n’y a pas de meilleur ambassadeur de l’accès au droit que l’avocat."


La première, c’est l’unité. C’est un vrai chantier en lui-même et j’y serai très attentive pour les raisons que je viens d’exprimer mais aussi parce qu’il y va de l’avenir et de la force de la parole de l’avocat dans la société.

Ce qui me mène à ma deuxième priorité : faire en sorte que l’avocat soit partout parce qu’il n’y a pas de meilleur ambassadeur de l’accès au droit. L’avocat doit être présent dans la société mais surtout « au cœur du réacteur » c’est-à-dire dans tous les lieux de pouvoir et d’influence : les chambres de commerce, les autorités administratives indépendantes, les commissions consultatives, par exemple. Le lobbying et les actions que nous menons sont importants mais nous ne sommes jamais aussi performants qu’en étant à l’intérieur des organisations et des institutions. Je veux aussi que les débats de société soient portés par les avocats : dans les médias, dans les écoles et sur ce point je compte beaucoup sur Initiadroit. Des sujets comme l’égalité garçon-fille ou le harcèlement doivent être pris à la base. Et nous sommes en première ligne !

Et ma troisième priorité sera d’empêcher à tout prix la fracture numérique au sein de notre profession. Nous avions réussi à l’éviter avec le RPVA malgré toutes ses imperfections. Mais elle est en train de se remettre en place avec la capacité qu’ont certains avocats à se saisir du numérique alors que d’autres vont continuer à exercer de manière traditionnelle.

Justement, qu’entendez-vous faire pour aider les avocats à se saisir du numérique et des opportunités qu’il offre ?

"L’avocat ne disparaît pas, c’est l’exercice professionnel qui se transforme."


Tout d’abord je voudrais que les avocats comprennent que le numérique n’est pas un chantier en soi. Nous vivons dans une société numérique. La question de s’en saisir ou pas ne se pose donc pas. Nous devons prendre ce virage et changer notre manière de penser et d’exercer parce que c’est ce qu’attendent nos clients et que nous sommes au service de leurs attentes.

Pour les aider, il faut aller dans toutes les directions : la formation, la mise à disposition d’outils numériques mais aussi la pédagogie. Il faut expliquer que l’avocat ne disparaît pas, c’est l’exercice professionnel qui se transforme et rappeler que la dimension humaine doit rester même dans le numérique.

Aucun avocat n’exerce aujourd’hui comme il le faisait il y a 30 ans. Un avocat sans adresse e-mail ne peut pas survivre. Et dans les 5 ans, il va y avoir autant de changements que sur les 30 dernières années. C’est à nous de les opérer, sans plus les subir. A nous de nous prendre en main ! Ne soyons plus dans la résistance mais dans l’accompagnement au changement qui s’impose.

La formation initiale comme continue semble inadaptée à cette nouvelle société, comment garantir aujourd’hui l’employabilité des avocats ?

"Nous devons leur (les élèves-avocats) apprendre, dans nos CRFPA, à être avocat, et pas les former en droit."


Il faut tout d’abord adapter la formation des élèves-avocats. Il y a des matières qui sont désormais transversales et qui ne doivent plus être enseignées de manière verticale. Je pense notamment au droit des technologies, au droit européen ou aux modes amiables de règlement qui ne peuvent plus être enseignés comme des matières à part. Le tronc commun doit être enrichi en ce sens dès l’Université. Il faut aussi leur apprendre à être opérationnels et pragmatiques en les formant à l’utilisation d’outils de justice prédictive ou du RPVA, par exemple. Nous devons leur apprendre, dans nos CRFPA, à être avocat, et pas les former en droit. Ce travail a été fait en amont. Je vais donc inviter le Président de la commission formation à travailler dans cette direction.

Pour la formation continue, il faut bien entendu offrir cette palette d’enseignements. Mais je voudrais également qu’on développe fortement l’e-learning car il permet une souplesse qui facilite l’apprentissage. Les cours magistraux, et c’est valable pour la formation initiale, peuvent se faire en vidéo.

La formation doit aussi être adaptée aux nouveaux gisements d’activités.


La formation doit aussi être adaptée aux besoins grâce à l’enseignement de matières où il y a des développements possibles pour les avocats. Les mises à jour sont fondamentales mais il faut aussi les former aux nouvelles missions qui peuvent être les leurs. Par exemple, l’audit des données personnelles est un marché gigantesque. L’observatoire du CNB aura un rôle à jouer dans ce domaine pour repérer, grâce à des études de marché, ces nouveaux gisements d’activités. S’ils sont identifiés suffisamment en amont, nous pourrons mieux informer les avocats sur l’état réel de la demande de droit. La solution n’est pas dans l’immédiateté mais dans la préparation de l’avenir.

L’idée d’une grande profession du droit a été défendue lors du Grenelle du droit qui a eu lieu en novembre 2017, la soutenez-vous ?

Je pense que nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas être membre de l’Union européenne et fonctionner en ayant un statut de l’avocat différent à Berlin, Madrid, Rome et Paris. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien. La pression européenne ne faiblira pas. Donc, soit nous nous mettons en résistance et gagnons deux ou trois ans peut-être mais en perdant beaucoup. Soit nous adoptons un mode de propositions et de projets pour préserver ce qui me semble important : notre déontologie, notre secret professionnel, notre indépendance, mais aussi pour nous développer sur d’autres services. Le « non » catégorique nous nuira. Maintenant, je suis décidée à garantir l’unité du CNB. Je m’alignerai sur la position qui sera exprimée par ceux qui, avec moi, ont été élus.

Mais ferez-vous en sorte que l’avocat en entreprise devienne réalité sous votre mandature ?

"A titre strictement personnel, je pense que l’avocat en entreprise est un avenir possible pour notre profession, mais pas à n’importe quel prix."


C’est une question difficile que je veux mettre à l’ordre du jour des Etats généraux dont l’idée est d’aborder les sujets sensibles sur lesquels nous tournons en rond depuis des années. Je n’ai pas la prétention de régler en 3 mois ce qui n’a pas été réglé en 10 ans. En revanche, je crois en l’importance de la méthode. Le sujet a été mal abordé, ce qui crée aujourd’hui des réflexes de Pavlov de tous côtés.

Pour avancer dans la réflexion, je voudrais qu’une consultation soit menée, que les avocats soient impliqués car c’est leur avenir qu’ils doivent prendre en mains et que les membres du CNB soient éclairés par les résultats de celle-ci. A titre strictement personnel, je pense que c’est un avenir possible pour notre profession, mais pas à n’importe quel prix. Je donnerai une impulsion dans le sens où je souhaite que ce sujet soit purgé car s’il ne l’est pas il peut y avoir des conséquences. Et je le ferai aussi sur un autre sujet sensible : la gouvernance.

Etes-vous favorable au financement des cabinets d’avocats ?

Oui sous certaines conditions car le problème principal est celui de la dépendance ou pas. Donc pourquoi ne pas imaginer des formules qui existent déjà comme le crowdfunding à l’initiative d’autres professions du droit ? Pourquoi est-ce qu’on se pénalise là où certains peuvent lever des fonds pour créer des legaltech ? Je voudrais inciter les avocats à en créer car c’est à eux de le faire et donc ne pas les brider sur ce terrain, tout en veillant à ce que certaines règles soient respectées.

L’an passé vous avez été membre du Jury du Prix de l’innovation des avocats que nous organisons, que vous a-t-il inspiré ?

"Les avocats sont créatifs, prospectifs et de plain-pied dans cette justice du 21ème siècle."


C’était une belle expérience. J’ai été très impressionnée par la créativité des avocats. Souvent, on a l’impression que les avocats sont enfermés dans leur cabinet ou dans un schéma traditionnel et ce prix permet de voir que les avocats dont les formes d’exercice sont très variées, ont en fait beaucoup d’imagination. Et selon les projets, le curseur bouge d’un extrême à l’autre. On a ceux qui vont faire du tout numérique et qui vont répondre aux besoins d’une clientèle qui n’a pas besoin de rapports humains et ceux qui vont s’en servir pour remettre de l’humain et déborder de leur domaine d’intervention pour mieux accompagner leurs clients.

Les avocats sont créatifs, prospectifs et de plain-pied dans cette justice du 21ème siècle. Nous sommes prêts, nous sommes polyvalents et nous exerçons tous la même profession. L’unité est donc à portée de main.

Propos recueillis par Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice