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L’obligation de reclassement des agents publics pour inaptitude. Par Tom Senegas, Avocat.
Parution : lundi 8 janvier 2018
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Sous l’impulsion des textes puis de la jurisprudence, l’obligation de reclassement des agents de la fonction publique devenus physiquement inaptes s’impose aujourd’hui avec force aux collectivités territoriales et établissements publics. Le point sur les agents bénéficiaires, la procédure que sont tenus de mettre en oeuvre les employeurs publics et les recours susceptibles d’être engagés en cas de manquement.

Les agents publics, qu’ils soient titulaires ou contractuels de droit public, s’ils ne peuvent plus exercer leurs fonctions en raison d’une inaptitude physique, provisoire ou définitive, doivent se voir proposer par leur employeur un aménagement de leur poste de travail ou, quand cet aménagement est impossible ou insuffisant, un reclassement. Après que les textes statuaires de la fonction publique aient imposé une véritable obligation de reclassement pesant sur les différents employeurs publics, les juridictions administratives sont venues en préciser les modalités d’application. Le reclassement doit ainsi être intégré comme un élément de gestion des ressources humaines par les collectivités publiques.

I/ Les agents bénéficiaires d’un droit au reclassement.

L’obligation de reclassement trouve sa source dans la loi 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Celle-ci pose un principe général : la non-discrimination pour raisons de santé. Ainsi, « aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison […] de leur état de santé [...], de leur handicap […] ». L’obligation de reclassement professionnel pour inaptitude physique des agents publics est inscrite dans les lois de 1984 et 1986 relatives aux trois fonctions publiques, d’État, territoriale et hospitalière.

Initialement, les lois de 1984 et 1986 avaient indiqué que peuvent bénéficier d’un reclassement pour inaptitude physique les fonctionnaires titulaires reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, le Conseil d’État a érigé le principe du reclassement pour inaptitude médicale des agents publics comme principe général du droit (CE, 2 oct. 2002, CCI de Meurthe et Moselle : Req. n°227868).

Partant, ce principe s’applique non seulement aux agents titulaires (fonctionnaires), mais également aux agents non titulaires (CE, 26 fév. 2007, ANPE : Req. n°276863).

II/ La procédure à laquelle est tenu l’employeur public.

L’employeur est tenu de mettre en œuvre la procédure et de rechercher un reclassement effectif au bénéfice de l’agent (CAA Versailles, 21 janv. 2010 : Req. n°08VE02377). Il s’agit d’une obligation de moyens. Autrement dit, à l’image du médecin qui ne peut être tenu de guérir mais seulement de soigner, la collectivité publique est obligée de tout mettre en œuvre pour permettre un reclassement, sans pour autant être tenue de le garantir à l’agent en toutes circonstances.

C’est l’agent qui devra formuler explicitement la demande d’un reclassement, parfois en y étant au préalable invité par son employeur.

Le point de départ d’une procédure de reclassement est marqué par l’avis du Comité médical départemental (en cas d’inaptitude non imputable au service) ou de la Commission de réforme (en cas d’imputabilité au service). Une telle consultation est obligatoire dans le cadre du reclassement statutaire, c’est-à-dire pour les agents titulaires. Dans les autres cas, cet avis peut être utile à titre d’aide à la décision pour l’employeur public. Un rapport écrit du médecin de prévention doit figurer au dossier soumis au Comité médical.

L’étape suivante devra consister à recenser, au sein de la collectivité publique, les possibilités de reclassement. Le reclassement pour inaptitude physique ne pouvant intervenir que s’il existe un poste de reclassement ouvert, il appartiendra à l’employeur de recenser les postes vacants et ouverts à un reclassement au sein des services.

Le poste à proposer devra, en tout premier lieu, être adapté aux préconisations du médecin de prévention, mais aussi conforme à celles émises par le Comité médical. Ensuite, plusieurs possibilités doivent être distinguées. Le reclassement peut tout d’abord être réalisé sur un autre emploi du même grade, les conditions de travail devant être adaptées à son état de santé. Si, en revanche, le nouvel état physique de l’agent ne lui permet plus de remplir aucune des fonctions liées à son grade, ce dernier peut demander à être reclassé dans un emploi d’un autre grade de son corps ou cadre d’emplois d’appartenance. L’agent conserve alors le bénéfice de son traitement antérieur. A défaut encore, le reclassement peut aussi être opéré dans un autre corps ou cadre d’emplois, sur invitation de l’employeur public, s’il est dans l’incapacité temporaire ou définitive d’exercer les fonctions correspondant aux emplois de son grade. Enfin, le fonctionnaire qui a présenté une demande de détachement se voit proposer un ou plusieurs emplois. Le détachement peut intervenir dans un corps ou cadre d’emploi d’un niveau équivalent ou inférieur à celui d’origine. Dans ce dernier cas, le fonctionnaire conserve l’indice détenu dans son ancien corps.

L’impossibilité éventuelle, pour l’employeur public, de proposer de tels emplois, doit faire l’objet d’une décision motivée.

Ce dernier doit s’astreindre au respect d’un délai raisonnable pour lancer la procédure de reclassement. En effet, un éventuel délai excessif est sanctionné par les tribunaux administratifs. Ainsi, la cour administrative d’appel de Bordeaux précise qu’en cas d’inaptitude physique d’un agent, le délai de 4 mois à compter de la constatation de l’inaptitude physique de l’agent excède le délai raisonnable pour entamer les recherches d’un poste de reclassement (9 avr. 2013 : Req. n°12BX00099).

L’employeur public a l’obligation de reclasser un agent inapte en lui proposant 3 postes compatibles avec son état de santé. Si l’agent refuse ces 3 propositions, il peut alors être licencié par son employeur (CE, 2 sept. 2009, CH de Versailles : Req. n°307321).

En cas d’impossibilité justifiée de reclassement d’un agent reconnu inapte à ses fonctions, celui-ci peut être mis en retraite anticipée pour invalidité. Dans l’attente d’une mise à la retraite et lorsque le salarié a épuisé ses droits à congé, il peut être placé en disponibilité d’office.

III/ Les recours en cas de manquement.

Avant toute démarche devant le tribunal administratif, il est toujours possible à l’agent de formuler, dans un délai de deux mois, un recours gracieux auprès de son employeur. Ce dernier disposera alors, à son tour, d’un délai de deux mois pour répondre. Dans certains cas, une solution amiable pourra être trouvée, voire même un reclassement opéré.

A défaut, en cas de rejet de la demande de l’agent, celui-ci disposera d’un délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif d’un recours en annulation contre la décision de refus de reclassement. La collectivité ou l’établissement public devra alors apporter la preuve qu’il a procédé à toutes les diligences possibles pour reclasser l’agent dans un emploi correspondant à son aptitude physique. A défaut, le licenciement intervenu sera considéré comme illégal. Il pourra alors être annulé par le tribunal administratif.

De plus, si l’illégalité touche au fond, et ne constitue pas une simple irrégularité de forme ou de procédure, un recours indemnitaire pourra être introduit par l’agent devant le tribunal administratif. Un tel recours permettra alors à l’agent public d’obtenir le versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Les employeurs publics devront donc veiller, en amont, au respect de cet important élément de gestion des ressources humaines.

Tom SENEGAS Avocat - Spécialiste en Droit public & Commande publique
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