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Les lettres modèles types de licenciement : une fausse bonne idée ? Par Alain Hervieu, Avocat.
Parution : mercredi 10 janvier 2018
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Les modèles de lettres de licenciement annoncés sont arrivés. Vont ils répondre aux attentes qu’ils ont suscitées ? Un premier examen permet d’en douter

L’article L 1232.6 du code du travail, modifié par l’ordonnance du 22 septembre 2017 sur la sécurisation des relations de travail, nous l’avait annoncé en indiquant que l’employeur « peut utiliser des modèles pour notifier le licenciement » modèles qui devaient être déterminés par un décret en conseil d’État.

Ce décret, qui était donc attendu avec impatience par les employeurs, une certaine anxiété par les salariés, et sans aucun doute, beaucoup de curiosité de la part des juristes et professionnels, est intervenu le 29 décembre dernier et il a été publié le lendemain au journal officiel.

Il n’est donc pas sans intérêt de se demander aujourd’hui si l’impatience des uns et l’anxiété des autres étaient justifiées ou non.

L’article 1er du décret précise tout d’abord que « lorsqu’il notifie un licenciement, l’employeur peut utiliser l’un des modèles de lettre » qu’il propose dans les annexes qui l’accompagnent.

Le texte rappelle donc tout d’abord comme l’avait annoncé l’article L 1232.6, le caractère facultatif de l’emploi de ces modèles.

Ensuite, il faut rappeler que l’emploi d’un modèle même émanant du gouvernement, s’il apparaît sécurisant, ne constitue pas nécessairement, une garantie absolue de conformité au Droit et à la jurisprudence. Il faut donc les appréhender et les utiliser avec réserve.

Ensuite, l’alinéa 2 de l’article 1er prend soin de préciser que « l’employeur utilise le modèle de lettre correspondant à la nature juridique du licenciement envisagé et l’adapte aux spécificités propres à la situation du salarié ainsi qu’aux régimes conventionnels et contractuels qui lui sont applicables ».

Ce faisant, le texte apporte une réponse négative à ceux qui attendaient des formulaires, prêts à remplir et leur proposant un licenciement clef en main.

La première difficulté de ces modèles - mais cela était inévitable sauf à effacer toute la jurisprudence intervenue dans ce domaine depuis plus de trente ans - est de nécessiter un choix, s’il n’a pas encore été fait, du type de licenciement envisagé. Ceci se trouve confirmé par les 6 annexes au décret qui proposent autant de modèles que de types de licenciement que l’on reconnaît habituellement.

Ce choix suppose une qualification par l’employeur du licenciement envisagé, qualification qui est loin d’être toujours aisée, par exemple, dans le choix entre licenciement disciplinaire ou non, ou encore entre licenciement économique ou non économique, mais qui est pourtant lourd de conséquences puisque la jurisprudence sanctionne généralement les erreurs de qualification entrainant l’application d’un régime juridique inadapté, par l’absence de motif réel et sérieux du licenciement.

Ainsi, par exemple, la qualification de disciplinaire pour un licenciement qui repose sur un évènement réel et vérifiable, mais en fait, non fautif, amène le juge, à déclarer que la faute reprochée n’existe pas, et par voie de conséquence, que le licenciement est sans cause réelle.

Certes, la qualification et le choix du régime de licenciement se font en pratique en amont, dès l’engagement de la procédure, voire avant, mais une erreur à un stade antérieur peut le plus souvent être rattrapée ou n’emporte que des conséquence mineures. Une erreur de qualification dans la lettre de licenciement est irrattrapable.

L’employeur doit ensuite adapter la lettre aux spécificités propres au régime du salarié, ainsi qu’aux dispositions conventionnelles ou contractuelles qui lui sont applicables.

Cette disposition nous éloigne encore plus du « formulaire » et fait à juste titre ressortir que le modèle est potentiellement incomplet, puisque s’il répond a priori aux exigences légales, il laisse nécessairement de côté toutes les règles particulières qui peuvent s’appliquer au salarié, en raison soit des dispositions du ou des accords collectifs applicables, soit des clauses de son contrat. C’est ce que rappelle également chacune des annexes précisant « l’application du présent modèle est sans incidence sur l’application des stipulations conventionnelles ou contractuelles plus favorables applicables au contrat de travail du salarié licencié ».

Par exemple, si la salarié est tenu par une clause de non concurrence dont l’employeur, pour ne pas avoir à verser la contrepartie financière, souhaite le libérer, il est généralement nécessaire de le faire dans la lettre de licenciement.

Il est donc indispensable, avant de se lancer dans la rédaction de la lettre de licenciement, fusse avec l’un des modèles proposés, de vérifier les dispositions conventionnelles et contractuelles applicables au salarié visé par le licenciement.

Chaque annexe rappelle ensuite, outre le contenu de la lettre de licenciement, certaines règles de fond ou de forme à respecter tels les délais applicables ou encore les modalités de remise de la lettre. On entre ici davantage dans le domaine d’un guide du licenciement, que dans celui d’un modèle de lettre à rédiger.

En ce qui concerne ensuite le contenu des différents modèles, le décret ne fait que reprendre ce que l’on trouve dans tout manuel pratique du licenciement, en rappelant les mentions relatives à l’identité de l’employeur et du salarié, le rappel de la procédure antérieure notamment d’entretien préalable, le motif du licenciement (sur lequel on reviendra), les mentions relatives au préavis, existant ou non, exécuté ou non et à la fin du contrat ainsi qu’à la remise des documents de fin de contrat et solde de tous comptes.

Enfin, mettant en application la faculté ouverte par l’article L 1235.2 modifié par l’ordonnance du 22 septembre dernier, chaque modèle rappelle le droit pour chaque salarié de demander à l’employeur dans le délai de 15 jours après son licenciement de lui préciser les motifs de son licenciement, et pour l’employeur, de répondre ou de préciser spontanément ses motifs, également dans un délai de 15 jours.

On avait pu s’interroger sur la nécessité de rappeler cette faculté dans la lettre de licenciement : le décret apporte une réponse à cette question, et dans le cadre d’une complète information du salarié, on ne peut que s’en féliciter sans pour autant préjuger de la conséquence que la jurisprudence tirera de l’absence éventuelle de cette mention.

En résumé, le contenu des modèles de lettre de licenciement comporte essentiellement des clauses précises, correspondant à la pratique, mais dont la mention n‘est pas généralement essentielle, l’essentiel étant selon l’article L 1232.6 modifié que « la lettre comporte l’énoncé du ou des motifs énoncés par l’employeur ». ( cf sur la motivation de la lettre de licenciement, notre article précédent du 12/10/2017 : « La nouvelle énonciation des motifs du licenciement. »).

Sur ce point de la motivation de la lettre de licenciement, le décret pouvait soit rester très vague, se bornant à donner des directives à l’employeur pour motiver au mieux sa lettre de licenciement soit donner davantage de précisions.

Il a retenu la première solution pour la licenciement disciplinaire (annexe I) laissant à l’employeur le soin complet de préciser cette motivation tout en lui donnant seulement des guides de rédaction (énoncer les éléments fautifs, de façon précise, et objective, matériellement vérifiables et imputables au salarié, en précisant si possible les lieux et dates ainsi que le contexte général de l’attitude fautive du salarié… ).

Cette solution était sans doute la seule possible, tant est grande, la variété des fautes que peut commettre le salarié et que l’employeur peut lui reprocher. Mais l’employeur risque de se trouver ici assez démuni devant l’appréciation du caractère fautif ou non de certaines situations : par exemple, l’incarcération du salarié pour des faits étrangers à l’entreprise et à son emploi, est-elle fautive ou non ?

Dans d’autres cas, le modèle de lettre choisit d’être beaucoup plus précis sur le motif invoqué : ainsi, en matière de licenciement lié à l’état de santé, le modèle proposé par l’annexe II mentionne seulement « l’inaptitude à exercer votre emploi » et rappelle les démarches entreprises en vue du reclassement.

Ce faisant, le modèle peut conduire l’employeur à penser faussement en cas de nécessité de licencier le salarié pour des raisons liées à son état de santé, qu’il n’existe pas d’autre hypothèse, et à utiliser ainsi de façon inadaptée, le modèle proposé, avec la sanction qui en découle à savoir, l’absence de motif réel et sérieux du licenciement.

Ainsi, par exemple, un avis d’inaptitude avec réserve peut autoriser l’employeur à licencier avec un motif réel et sérieux, (ex : SOC 26 AVRIL 2017) alors que s’il a inexactement mentionné en pareil cas une inaptitude, son licenciement sera sanctionné par l’absence de motif réel et sérieux ( SOC 21 NOVEMBRE 2007 ).

En réalité, cette catégorie de licenciements liés à l’état de santé est beaucoup trop délicate pour se trouver réduite à une seule hypothèse et elle doit donner lieu à chaque fois à un examen individualisé.

De même, dans le cadre des licenciements individuels non disciplinaires, l’annexe III évoque différentes hypothèses de licenciement dont la liste est loin d’être exhaustive, comme par exemple, l’ « insuffisance professionnelle » non autrement spécifiée.

S’il est vrai que la jurisprudence actuelle se satisfait de cette motivation, on peut tout de même penser qu’elle est un peu courte et qu’il est opportun de l’illustrer par des exemples de cette insuffisance.

Sans aller plus loin, on peut simplement rappeler que, face à la diversité des situations, toute schématisation ou simplification est dangereuse, en risquant de masquer la réalité, et en la faisant apparaître faussement plus simple et facile à aborder qu’elle ne l’est en réalité, avec le risque qui peut en résulter d’une motivation insuffisante ou inadaptée.

On ne saurait donc trop appeler à la prudence dans l’utilisation des modèles de lettres de licenciement proposés par le décret du 29 décembre 2017.

En conclusion, on dira que la modélisation officielle de lettres de licenciement est sans doute une fausse bonne idée.

Même si dans le but de sécuriser les relations de travail, son objectif est louable, elle fait croire à une fausse simplicité, alors qu’une situation que l’on sait difficile (la rédaction d’une lettre de licenciement) est toujours préférable à une autre que l’on croit à tort facile et simple.

On ne peut donc que recommander aux employeurs de ne pas se laisser aveugler par la simplicité apparente mais fausse de ces modèles, et de toujours se faire assister pour la rédaction de leurs lettres de licenciement, par un conseil professionnel.

Alain HERVIEU Avocat spécialiste en droit du travail