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Offre d’embauche : la fin des promesses ? Par Benjamin Attias, Docteur en droit.
Parution : jeudi 18 janvier 2018
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Par deux arrêts du 21 septembre 2017, la Cour de cassation semble revenir sur une jurisprudence établie selon laquelle la promesse d’embauche vaut embauche. S’appuyant sur les nouvelles dispositions du Code civil issues de la réforme du droit des obligations entrée en vigueur en octobre 2016, la chambre sociale distingue l’offre de contrat de travail et la promesse d’embauche pour rejeter la demande de rupture abusive du contrat de travail.

Inédits en la forme, un triple attendu de principe, mais promis à publication, les deux arrêts du 21 septembre 2017 montrent les interactions qui existent entre les différentes matières du droit privé et notamment les conséquences des modifications du droit des obligations sur le droit travail.

En l’espèce, un club de rugby a fait parvenir deux offres de contrat de travail à deux joueurs internationaux. Par courriel en date du 6 juin 2012, le club a indiqué aux deux joueurs qu’il ne souhaitait finalement pas donner suite aux propositions d’embauches. Ces derniers ont retourné l’offre initiale soutenant qu’il s’agissait d’une promesse d’embauche qui devait valoir embauche.
La cour d’appel a fait droit à leurs demandes indiquant que « la convention prévoit l’emploi proposé, la rémunération ainsi que la date d’entrée en fonction de sorte que cet écrit constitue bien une promesse d’embauche valant contrat de travail, que dans le mesure où le joueur a accepté la promesse d’embauche il en résultait qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finalement renoncé » à les engager. Elle s’inscrivait alors dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation. Le club de rugby s’est pourvu en cassation.
La Cour de cassation opère un revirement en rappelant la distinction entre offre et promesse de contrat estimant qu’à défaut pour les salariés de disposer du « droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail », il ne pouvait s’agir que d’une simple offre de contrat de travail ne valant pas embauche.

Le retour à l’orthodoxie civiliste par l’admission d’une distinction entre offre et promesse d’embauche (I) consacre un certain pragmatisme de la chambre sociale sur la question des promesses d’embauche (II).

I. L’admission d’une nouvelle distinction entre offre et promesse d’embauche.

Par l’exigence d’un droit d’opter accordé au salarié, la Cour de cassation découvre un nouveau critère de distinction (B) permettant de mettre fin à l’assimilation antérieure entre offre et promesse d’embauche (A).

A. L’assimilation antérieure de l’offre et de la promesse d’embauche.

L’exigence d’un droit d’opter qui serait accordé au futur salarié permet à la Cour de cassation de mettre fin à une assimilation malencontreuse entre offre et promesse d’embauche [1]. Les juges s’appuient pour cela sur la récente réforme du droit des obligations pour appliquer les définitions de droit civil au contrat de travail.
Les articles 1114 et 1124 du Code civil indiquent respectivement pour l’offre et la promesse que les éléments essentiels du contrat doivent être déterminés ainsi que la volonté pour l’auteur de la proposition d’être lié par l’acceptation ou le consentement du bénéficiaire. La frontière entre offre et promesse est donc ténue et ce plus encore lorsque ni l’offre, ni la promesse ne figuraient au Code civil. En l’absence de définition, la chambre sociale a pu faire une assimilation protectrice de l’offre et de la promesse afin de préserver les droits du futur salarié.

La Cour de cassation estimait que lorsque la proposition d’embauche précise l’emploi et la date d’entrée en fonction [2], il s’agit d’une promesse d’embauche valant embauche [3], quand bien même elle n’indiquerait pas la rémunération selon un arrêt du 30 mars 2005 [4]. A l’inverse, elle considérait que lorsque le courrier ne mentionnait ni l’emploi occupé, ni la rémunération, ni la date d’embauche, ni le temps de travail, il ne s’agissait que d’une simple offre d’emploi [5].
Aussi fallait-il comprendre que lorsque la promesse était constituée, les parties étaient d’ores et déjà liées [6] et que l’employeur ne pouvait se rétracter, à moins d’avoir soumis la promesse à la réalisation d’une condition suspensive [7] ou d’avoir inséré une clause de rétractation [8], clause de rétractation qui doit en outre être invoquée par l’employeur pour pouvoir neutraliser les effets de la défaillance de la condition suspensive.
A défaut, l’engagement de l’employeur étant définitif, tout changement d’avis était sanctionné par la résiliation judiciaire du contrat, la requalification en rupture abusive du contrat de travail ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences pécuniaires afférentes à ce mode de rupture.

Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation revient à une solution plus légaliste par l’application du droit d’opter comme nouveau critère de distinction.

B. L’option : critère de distinction entre l’offre et la promesse d’embauche.

S’appuyant sur les nouvelles dispositions du Code civil, la chambre sociale fait application du droit d’opter du salarié comme critère de distinction entre l’offre et la promesse d’embauche. Si la solution semble mettre fin de façon définitive aux promesses d’embauche, en ce qu’on voit mal un employeur accorder un droit d’opter à son futur salarié, ni même les conditions dans lesquels ce droit serait accordé, elle permet une application pertinente de la solution, tant au regard du droit applicable avant l’ordonnance de 2016 qu’au regard au droit positif postérieur.
En l’absence de texte traitant de l’offre et de la promesse, la jurisprudence a construit les définitions et les régimes applicables à ces deux notions. Alors que pour une partie de la doctrine [9] l’offre est un fait juridique de nombreuses voix s’étaient élevées contre la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de promesse unilatérale.

Chacun sait que, depuis 1993 [10], la Cour de cassation est, sauf rare exception [11], inflexible sur les effets de la rétractation anticipée, la jurisprudence refusant toute exécution forcée de la promesse acceptée postérieurement à la rétractation. Pourtant, l’admission d’une promesse d’embauche valant embauche avait pour effet de contredire cette jurisprudence pour préserver les intérêts du salarié. La liberté contractuelle du promettant sous l’empire de la jurisprudence Cruz était donc retiré à l’employeur définitivement lié par la proposition faite au salarié.

En droit positif, la distinction fait également sens en ce qu’elle laisse une place, certes résiduelle, à la promesse d’embauche et à l’application de l’exécution forcée au profit du salarié. En effet, théoriquement, la promesse d’embauche, si elle était caractérisée par l’existence d’un droit d’option au futur salarié dans un acte soumis au droit positif, pourrait faire l’objet d’une exécution forcée sur le fondement de l’article 1124 du Code civil permettant de retrouver l’idée selon laquelle la promesse d’embauche vaut embauche. A défaut, c’est le régime de l’offre qui s’applique.

La solution rétablie donc l’orthodoxie juridique en faisant du droit d’opter le critère de distinction entre offre et promesse et en tirant les conséquences du rejet de la promesse. En retenant qu’il ne s’agit que d’une offre d’embauche, elle refuse de donner naissance au contrat de travail imposant une approche renouvelée plus pragmatique.

II. L’admission pragmatique de la distinction entre offre et promesse d’embauche.

L’utilisation du droit d’opter comme critère de distinction entre offre et promesse d’embauche permet d’assurer une solution équilibrée par le maintien d’une indemnisation au profit du salarié écarté (A) et ouvre la voie d’une souplesse à venir du contrat de travail (B).

A. L’équilibre par le maintien d’une indemnisation au profit du partenaire écarté.

La Cour de cassation, par la distinction qu’elle opère, rétablit un certain équilibre entre les droits des parties en présence dans la période de l’embauche. La protection offerte aux salariés a pu être détournée de sa vocation initiale par une mise en œuvre abusive de la règle « promesse d’embauche vaut embauche ».
La promesse d’embauche en ce qu’elle lie de façon définitive l’employeur emporte, en cas de rupture, des conséquences financières importantes pour ce dernier en ce qu’elle est considérée comme une rupture anticipée du contrat de travail. Le salarié lésé peut alors obtenir une indemnisation pour licenciement sans cause réelle sérieuse, soit par la prise d’acte de la rupture, soit par la résiliation judiciaire du contrat. En outre, en présence d’un CDD, la rupture abusive anticipée a pour effet d’imposer le paiement de l’intégralité des salaires sur la période qui aurait du être travaillée.

Les ex-futurs salariés, se saisissant de l’opportunité de la solution, faisaient mine d’accepter la promesse d’embauche pour s’en prévaloir en justice et tenter d’obtenir une sorte de jackpot. C’est d’ailleurs l’hypothèse qui semble se dessiner en l’espèce, puisque les salariés ont accepté les promesses d’embauche les 12 et 18 juin alors que la rétractation du club de rugby était intervenue le 6. La distinction entre offre et promesse d’embauche fondée sur les nouvelles dispositions du Code civil, tend donc à mettre fin aux abus de la solution antérieure en supprimant les acceptations de complaisance.

Pour autant, elle ne conduit à supprimer toute protection pour le futur salarié éconduit par la rétractation de la promesse d’embauche et ce pour trois raisons.
D’abord, parce qu’au moins théoriquement, la promesse d’embauche existe encore et ses conséquences également. Si l’existence et la place d’un droit d’opter accordé au salarié peut être questionnée, il n’en demeure pas moins, qu’une promesse d’embauche peut être consentie par un employeur. En ce cas, la solution de 2010 demeure applicable [12].
Ensuite, parce qu’une acceptation de l’offre d’embauche antérieure à la rétractation aura pour effet de donner pleinement naissance au contrat de travail en application des nouveaux articles 1113 et 1115 qui permettent de considérer que l’acceptation intervenue avant la rétractation de l’offre emporte conclusion du contrat.
Enfin, parce que la rétractation anticipée de l’offre ouvre droit à réparation au profit du salarié, en application de l’article 1116, alinéa 3 , qui prévoit la responsabilité extracontractuelle de l’auteur de la rupture. L’ex-futur salarié pourra donc agir sur le terrain du nouvel article 1240 du Code civil pour obtenir une indemnisation des préjudices qui découle de la rupture.
La chambre sociale, par ces deux arrêts, s’inscrit dans une certaine tendance à la souplesse sur les questions liées au contrat de travail.

B. Vers une souplesse légale et jurisprudentielle pour le contrat de travail.

Par l’insertion d’une distinction entre offre et promesse d’embauche la chambre sociale opte pour une certaine flexibilité du droit du travail sans avoir définitivement sacrifié les intérêts des salariés bénéficiaires de la proposition de contrat.
Le législateur, ces dernières années, insuffle vent identique en droit du travail de façon générale et sur la question du contrat de travail en particulier. Le 22 septembre dernier, les ordonnances portant réforme du droit du travail ont été publiées et parmi elles, l’ordonnance n°2017-1387 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail. Encadrant par un barème les indemnités de licenciement [13], l’ordonnance fait évoluer les conditions de la rupture du contrat de travail par la possibilité de préciser les motifs de la lettre de licenciement [14] ou par la redéfinition du périmètre de prise en compte des difficultés économiques du groupe [15]. Plus encore, elle supprime la requalification automatique en CDI [16] jusqu’alors prévue en cas de non remise dans les deux jours du contrat à durée déterminée ou du contrat de travail temporaire telle qu’imposait par les anciens articles L. 1242-13 et L.1251-17 du Code du travail. Désormais, l’absence de remise dans le délai ouvre droit au profit du salarié à une indemnité qui ne saurait excéder un mois de salaire [17].

Le changement de sanction n’est pas anodin et tend à éviter les requalifications automatiques économiquement dangereuses pour l’entreprise et parfois excessive de certains salariés. Sans doute, les arrêts du 21 septembre 2017 s’inspirent ils d’une telle solution. La tendance à un rééquilibre dans les droits est également présente en jurisprudence, la Cour de cassation faisant d’un moins grand rigorisme et d’une plus grande souplesse. Récemment, la Cour de cassation a estimé que le non-respect de la procédure de licenciement ne cause pas nécessairement un préjudice revenant sur l’automaticité de l’indemnisation du salarié, imposant à ce dernier qu’il rapporte la preuve d’un préjudice [18].

En proie à la modernité, la Cour de cassation par ces arrêts du 21 septembre 2017 fait entrer le droit civil à la table du droit du travail sans pour autant sacrifier de façon définitive les intérêts des salariés. Supprimant les abus d’une solution dangereuse, elle préserve les intérêts du salarié déchu qui, en cas d’acceptation tardive, pourra toujours obtenir une indemnisation des suites de la rupture de l’offre embauche, à charge pour lui de démontrer la faute, le lien de causalité et le préjudice. C’est sans doute ce dernier point qui sera l’objet du contentieux à venir en présence d’une rupture d’offre d’embauche ne valant, sauf acceptation, pas embauche.

Benjamin Attias Docteur en droit

[1Cass. soc. 15 déc. 2010, n°08-42951

[2Cass. soc. 11 juil. 2012, n°11-10486

[3Cass. soc. 25 nov. 2015, n°14-19068

[4Cass. soc. 30 mars 2005, n°03-40901

[5Cass. soc. 12 juil. 2016, n°04-47938

[6Cass. soc. 29 mars 1995, n°91-4288

[7Cass. soc. 9 juin 2017, n°15-26733

[8Cass. soc. 9 juin 2017, n°16-14019 et n°16-14020

[9M. Planiol et G. Ripert, Traité Pratique de Droit civil français, Obligations, T. VI, LGDJ, 1931, n°132, p.174 ; Ch. Larroumet, Les obligations, Le contrat, économica, 2007, n°99, p. 82

[10Cass. civ. 3ème, 15 déc. 1993, bull. civ. III, n°174

[11Cass. civ. 3ème, 27 mars 2008, RDC 2008, p. 734, obs. D. Mazeaud ; Cass. civ. 3ème, 8 sept. 2010, bull. civ. III, n°153 ; Defrénois 2010, p. 2123, note L. Aynès ; Cass. civ. 3ème, 6 sept. 2011, C. Grimaldi, Nouvel espoir pour l’efficacité des promesses unilatérales de vente ?, D. 2011, p. 2838

[12Cass. soc. 15 déc. 2010, n°08-42951

[13Nouvel article L. 1235-3 du Code du travail

[14Nouvel article L. 1235-2 du Code du travail

[15Nouvel article L. 1233-3 du Code du travail

[16Cass. soc. 12 juin 2005, D. 2005, IR, p. 1802

[17Nouveaux articles L.1245-1 et L. 1251-40 du Code du travail

[18Cass. soc. 13 sept. 2017, n°16-13578