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Droit de partage : Ne vendez plus votre domicile avant de divorcer par consentement mutuel. Par Bertrand Madignier, Avocat.
Parution : samedi 13 janvier 2018
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Le divorce conventionnel issu de la loi Justice 21 a placé les avocats dans une position délicate sur le droit de partage. Engagent-ils leur responsabilité s’ils procèdent encore à la liquidation du régime matrimonial sans le produit de la vente du domicile conjugal pour bénéficier du "partage verbal" selon la réponse ministérielle Valter de 2013 ? Cette insécurité juridique pour les justiciables nécessite une position claire de l’administration fiscale et, dans l’attente, doit amener la profession à conseiller désormais de divorcer avant de vendre le domicile conjugal.

Depuis la réforme de 2005 qui a supprimé les deux audiences de divorce par consentement mutuel ramenées à une seule, les couples qui s’apprêtent à divorcer savent qu’ils doivent vendre leur domicile conjugal préalablement au dépôt de la requête en divorce pour se présenter avec des domiciles distincts au jour de l’audience d’homologation.

Il n’existait pas réellement de fiscalité du divorce, car le droit de partage était de 1.10% sur l’actif net du patrimoine commun (article 746 du C.G.I.), de sorte que même pour les couples aisés, il fallait que la communauté s’élève à plus de 100.000€ pour que cette taxation représente au moins 1.000€ sur un coût total en général bien supérieur, entre les frais d’avocats, de relogement/réameublement, pensions alimentaires voire prestation compensatoire etc.
Porté à 2,5% en 2012, ce droit de partage aurait représenté un surcoût significatif aux futurs divorcés (2.500€ pour un actif net de 100.000€, ou 4.000€ pour un actif net de 160.000€) sans la réponse ministérielle « VALTER », du nom de la députée du Calvados qui a pu faire préciser que ce droit de partage n’était pas dû en cas de « partage verbal » (Cf. Question n°9548 et sa réponse ministérielle publiée au J.O. du 22/01/2013 page 825).

La récente réforme du « divorce amiable », qui a déjudiciarisé les divorces par consentement mutuel (Voir Loi n°2016-1547 du 18/11/2016 de modernisation de la Justice du Xième siècle et sa présentation), n’a rien changé à cette situation fiscale. Sans entrer dans les détails techniques, les deux avocats chargés désormais de rédiger la convention de divorce doivent également l’enregistrer chez un notaire puis provisionner le montant exact du droit de partage « éventuel » avant de l’adresser aux services fiscaux sur la base de l’état liquidatif qu’ils auront eux-mêmes préparé avec leurs clients, sauf s’il n’y a pas lieu à liquidation. En effet, la seule mention d’un « partage verbal antérieur » dans la convention de divorce anéantirait son caractère verbal et rendrait le droit de partage exigible (Voir Réponse ministérielle DELNATE n°86792 JO AN du 13/06/2006 p.6208).
Le changement résulte pour partie de l’article 230-3 du Code civil qui est rédigé de manière plus contraignante que l’ancien article 230 sur le contenu de la convention de divorce, et de ce que les avocats ne sont plus de simples rédacteurs juridiques mais qu’ils sont devenus des collecteurs d’impôts responsables, au même titre que les notaires.

La conséquence pratique de cette insécurité juridique et fiscale est que de nombreux avocats, placés désormais en première ligne sans pouvoir revendiquer l’écran du juge homologateur disparu de ce nouveau schéma, préfèrent déclarer le produit de la vente immobilière dans la convention de divorce, et faire payer à leurs clients le droit de partage.
Si rien ne laissait présager ce changement, notamment dans l’étude d’impact du projet de loi, ces nouvelles responsabilités confiées aux avocats - dans un contexte de guerre de concurrence avec la profession des notaires- ressemblent bien à un cadeau empoisonné.

Mais qu’en est-il pour les justiciables ? Peuvent-ils encore bénéficier de cette exonération sur une part significative de leur patrimoine en toute légalité, ou sont-ils exposés au droit de partage de l’article 746 C.G.I. ?

Dans l’attente de précisions de l’administration, il est vivement conseillé aux époux de ne plus vendre leur bien avant de soumettre leur projet de divorce à leurs avocats. Ces derniers pourront leur proposer soit le maintien en indivision sur leur domicile conjugal par une convention d’indivision annexée à la convention de divorce, soit la mention expresse d’une répartition entre époux du solde net vendeur dans l’acte de vente rédigé par le notaire en vertu d’une autre réponse ministérielle concernant les partages d’indivisions (Réponse ministérielle n°4813 à la question BEAUGUITTE JO AN du 18/05/1960 p.909).

Seule certitude : la règle connue depuis 2005 selon laquelle le domicile conjugal doit être vendu avant de divorcer semble désormais inversée et il apparait préférable, dans la mesure du possible, de ne réaliser la vente qu’après le divorce. A défaut, il reste loisible aux époux de divorcer sans état liquidatif ni droit de partage devant le juge aux affaires familiales sur demande acceptée en vertu des dispositions de l’article 233 du Code civil, mais c’est plus long.

Bertrand Madignier Avocat
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