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Les enjeux juridiques de la nouvelle route de la soie. Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit, et Jonathan Trouillon, ingénieur-juriste en environnement.
Parution : mardi 16 janvier 2018
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En septembre 2013, à Astana, capitale du Kazakhstan, lors de la réunion de l’Organisation de Coopération de Shangaï, devant les représentants de 28 pays, le président chinois Xi Jinping confirme le projet de son pays de construire une nouvelle route de la soie visant à développer le commerce terrestre et maritime en direction de tous les continents. Le géographe Ferdinand Von Richtofen (1833-1905), le père de l’expression « la route de la soie » n’aurait jamais imaginé un tel projet chinois baptisé « One Belt, One Road » dont l’acronyme est OBOR. Mais que représente réellement ce projet titanesque ? Quelles sont les questions juridiques inhérentes à un tel bouleversement des voies de communication et leur impact sur l’environnement ? Quelques pistes de réflexion dans cet article !

Le projet « One Belt, One Road », on l’appelle OBOR, consiste à construire d’immenses infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires, portuaires, industrielles, visant à faciliter le transport des marchandises vers l’Asie, l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient, probablement aussi l’Amérique du sud, en attendant l’Amérique du nord, qui sait…

Le document de cadrage officiel « Visions et Actions » visant à dessiner les trajets de OBOR, apparaît comme un itinéraire indicatif, à préciser, tant sur le plan terrestre que sur le plan maritime.

La « ceinture économique terrestre » commence à Xi’an, ville de 7 millions d’habitants, capitale de la province du Shaanxi et extrémité est de l’ancienne route de la soie. Elle devrait passer à Urumtchi (ou Urumqi), capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, à Bichkek, capitale du Kirghizistan, à Téhéran, à Islamabad, à Karachi, à Istanbul, à Moscou et dans une foule d’autres villes, puis arriver à Duisbourg en Allemagne et à Rotterdam. Mais les infrastructures et les réseaux secondaires seront nombreux et décisifs pour la réussite du projet.

La route de la soie maritime partirait de Guangzhou (Canton), passerait notamment par Hanoi, Kuala Lumpur, Jakarta, Colombo, Calcutta, Maldives, Seychelles, Lamu, Mogadiscio, Djibouti, le sud de l’Europe pour aboutir à Venise…

On parle d’un impérialisme économique chinois, visant à s’emparer des marchés intérieurs de nombre de pays et à les inonder de produits manufacturés, de qualité contestée. A titre d’exemple, un premier train est parti en novembre dernier de Wuhan pour le Pas de Calais, à plus de 10 000 kilomètres, bourré d’articles de sport made in China. On annonce deux trains par semaine. Ce n’est qu’un début et un seul exemple !

On parle aussi d’une exigence pour la Chine de maintenir sa croissance économique afin de sauvegarder la stabilité d’un régime à la main de fer. Produire et vendre seraient les conditions de survie d’une Chine s’affichant communiste, première nation commerciale, pour ne pas dire capitaliste, du monde, sans craindre les paradoxes.

Tout le monde est surtout conscient du phénoménal besoin de la Chine en sources d’énergie.

Une route terrestre pour s’approvisionner et écouler ses produits permet aussi d’éviter un blocus possible lors d’un conflit du détroit de Malacca, long de 700 km, où transite 25 pour cent du commerce mondial.

Il faut rappeler aussi le conflit larvé concernant les iles situées en mer de Chine méridionale, à savoir les îles Spratleys, les ïles Paracels, les ïles Pratas, le récif de Scarborough, le banc Macclesfield. La Chine, la Malaisie, le Vietnam, le Brunéï, les Philippines, Taiwan s’opposent, affirmant leur souveraineté sur une ou plusieurs îles. En toile de fond, les ressources énergétiques et halieutiques de cette zone ainsi qu’un positionnement stratégique permettant de verrouiller la mer de Chine.

Mais le mastodonte chinois n’a pas l’habitude de se soumettre.

Toutefois, comment construire chez les pays voisins les infrastructures de la nouvelle route de la soie dans un tel contexte géopolitique toujours très tendu, sans parler de la Corée du Nord ?

La nouvelle route de la soie, du moins, sa dimension terrestre, ne fait-elle pas partie d’une stratégie visant à « délester » cette mer de Chine méridionale, où les tensions militaires peuvent déboucher sur des affrontements, de nature à stopper le commerce ?

OBOR ne se fera pas sans de multiples conflits juridiques de toute nature.

Mais comment la Chine se comporte-t-elle face au droit international ? Quels précédents avons-nous ?

C’est une excellente occasion de rappeler le jugement d’arbitrage du 12 juillet 2016 qui est de mauvaise augure.

Le jugement d’arbitrage du 12 juillet 2016

Le jugement d’arbitrage de la Cour Permanente d’Arbitrage de la Haye du 12 juillet 2016 relatif à la mer de Chine méridionale, opposant la République des Philippines et la République Populaire de Chine permet d’analyser et d’anticiper pour des problèmes futurs, le comportement de la Chine en matière de résolution pacifique des conflits.

Rappelons la procédure.

Le tribunal a été constitué le 21 juin 2013 conformément à la procédure prévue à l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay (Jamaïque) le 10 décembre 1982, en vue de statuer sur le différend introduit par les Philippines.

Le mécanisme mis en place par la Convention pour le règlement de ces différends prévoit quatre moyens de règlement au choix : le tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de justice, l’arbitrage conformément aux dispositions de l’annexe VII de la convention ou l’arbitrage spécial dans le cadre de l’Annexe VII de la Convention.

A défaut d’un accord entre les parties sur une instance appropriée ou lorsqu’une partie n’a pas fait connaître son choix au préalable, les différends ne peuvent être soumis qu’à la procédure d’arbitrage.

Le Tribunal a traité l’affaire du 22 janvier 2013 au 12 juillet 2016.

Dans sa note de position du 1er août 2013, « reiterated its position that it does not accept the arbitration initiated by the Philippines », la Chine a réaffirmé « a position of non –acceptance and non-participation ».

L’article 11 de l’Annexe VII énonce pourtant que toutes les parties au différend doivent se conformer à la sentence.

La Chine a totalement rejeté la procédure, refusant de se soumettre au tribunal !

Pendant la procédure de l’arbitrage, la Chine a « même construit une grande ile artificielle sur le récif de Mischief, un haut-fond découvrant situé dans la zone économique exclusive des Philippines, infligé des dommages permanents et irréversibles à l’écosystème des récifs coralliens et détruit de façon permanente des preuves sur l’état naturel des éléments en question », dixit le tribunal.

Notons que le Français Jean-Pierre Cot, auteur d’une thèse sur la conciliation internationale, agrégé de droit public, auteur avec Alain Pellet d’un commentaire de la charte des Nations-Unies, est juge au tribunal international de la mer depuis 2002. Il a été réélu en 2011 pour un mandat de 9 ans. Hugo Hans Siblesz a été réélu en tant que secrétaire général de la CPA pour la période de 2017 à 2022.

La Chine se conformera-t-elle au droit international en cas de différends juridiques lors de la construction de la nouvelle route de la soie ? Ou choisira-t-elle exclusivement de privilégier ses intérêts, sa souveraineté et son nationalisme ? La question est légitime.

Le marché du droit sera-t-il boosté par les milliers de contrats à rédiger, dont les clauses de compétence territoriales et compromissoires seront déterminantes ?
Une aubaine pour les cabinets d’avocats anglo-saxons, détenant à l’échelle du monde, un quasi-monopole en droit des affaires, même si le Brexit compliquera leurs missions ?

La Chine devra en théorie se conformer à chaque droit national. Elle utilisera tous les outils juridiques à sa portée, concession, bail, achat, joint-venture, fusion-acquisition, conglomérat, filialisation, pour gérer ses installations. Mais certains États voteront des lois spéciales pour créer des zones économiques où un droit dérogatoire s’appliquera. Certains États en profiteront peut-être pour voter des éco-taxes à la charge de la Chine, une zone douanière et pour exiger des mesures compensatoires aux préjudices écologiques.

La façon de procéder au règlement des différends reste de toute façon une question plus que stratégique.

Une véritable hydre

La nouvelle route de la soie apparaît en tout cas comme une véritable hydre.

Entre 65 et 100 États seraient potentiellement concernés directement ou indirectement sans connaître le nombre exact.

Quatre milliards de personnes seraient impliqués directement ou indirectement. 40 pour cent de la superficie du monde seraient concernés. 75 pour cent des sources d’énergie recensées seraient visés.

Les travaux, débutés timidement en 2014, s’étaleraient sur 35 années, pour s’achever le 1er octobre 2049, centenaire de l’arrivée au pouvoir du Grand Timonier Mao, dans des cérémonies d’une ampleur inégalée.
L’empire chinois et sa civilisation seraient à son apogée.

Cette lecture de l’histoire et cette projection détonnent dans un monde imprévisible par ses crises et ses évolutions.
Qui succédera au président Xin Jinping né en 1953, président de la Chine depuis le 14 mars 2013 ?

Comment peut-on imaginer la Chine en 2049 ? Un pays avec la même ligne politique qu’aujourd’hui ?

A quoi ressemblera l’Asie en 2049 ? Quel sera le droit international de l’environnement en 2049 ? Et surtout la position des États-Unis qui se sont bien jurés de ne pas laisser le leardership du monde à la Chine ?

Un nouveau plan Marshall ?

La nouvelle route de la soie par sa démesure est comparée au plan Marshall, le fameux plan de reconstruction de l’Europe dévastée de 1945.

Le plan (European Revovery Program) porte le nom du général George Catlet Marshall (1880-1959).

Harry Truman (1884-1972), président des États-Unis à la mort de Franklin Delano Roosevelt le 12 avril 1945, a contribué à le mettre en œuvre avec l’aide de l’économiste Charlie Kindlegerger.

Reconstruire l’Europe en accordant des prêts et en faisant des dons, c’était surtout éviter que le communisme ne prospère sur la famine et la misère des peuples si lourdement bombardés.

Mais quel point commun avec la nouvelle route de la soie ? Pourquoi tant d’articles font état d’un plan Marshall chinois ?

L’Europe ne sort pas d’un conflit mondial. Elle n’est pas dévastée.

Est-ce parce que les capitaux nécessaires à la construction de la route de la soie sont gigantesques ? On parle de plus de 1000 milliards de dolllars ! Est-ce parce que la Chine va prêter des milliards de dollars aux pays traversés par cette nouvelle route de la soie, créant une dangereuse dépendance économique ?

Le financement

La nouvelle route de la soie est financée par l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), par des fonds chinois d’origine diverse, (souvent opaque), par la banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), par l’Organisation de Coopération de Shanghaï, par les grandes banques publiques chinoises (CDB, ICBC, Eximbank).

On risque d’assister à un formidable blanchiment de capitaux et de recyclage d’argent provenant de l’économie grise et noire. La loi française n°2016-1691 du 9 décembre 2016 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie publique devra faire ses preuves devant un tel afflux de capitaux en Europe, dont une partie viendra en France.

La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International paraissent écartés du financement mais rien ne dit que des participations ne pourraient se faire. On comprend bien que les institutions financières internationales, contrôlées par le rival américain, ne sont pas invitées pour le moment. En octobre 2016, le FMI a quand même ajouté le Renminbi chinois (RMD) au panier des devises composant les droits de tirage spéciaux (DTS). Les spécialistes prévoient le renforcement du Renminbi comme monnaie de réserve mondiale et la création d’un marché d’euro-obligations (Eurbonds), libellé en RMD.

OBOR et le Xinjiang

Le Xinjiang verra la nouvelle route de la soie traverser son territoire. Une autre manière de contrôler politiquement, économiquement et militairement cet immense territoire déjà sous le joug.

Le Xinjiang (ou Turkestan chinois) est une des cinq régions autonomes de Chine. Les Ouïgours font l’objet d’une répression et d’une surveillance policière sans pareil, visant à éradiquer toute tentation de séparatisme.

Trois fois plus grand que la France, le Xinjiang est peuplé de 23 millions d’habitants.

Parmi beaucoup de singularités, se trouve au Xinjiang le pôle terrestre d’inaccessibilité, c’est-à-dire le point de la terre ferme le plus éloigné d’un rivage du globe.

Mais surtout, les autorités chinoises sont très vigilantes concernant la frontière de 5300 kilomètres, une frontière commune avec la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et la partie du Cachemire contrôlée par l’Inde.

La lutte contre l’islamisme et le terrorisme reste un objectif proclamé par le gouvernement chinois, sans autre respect des droits de l’Homme ou des conventions internationales du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Dans la région du Taklamakan se situe une zone d’essais nucléaires.

L’arrivee des mercenaires de l’ex société Blackwater

La société « Frontier Services Group » (ex-société de mercenaires Blackwater dont certains furent condamnés à la prison à vie pour des exactions en Irak), dirigée par Erik Prince va ouvrir une Forward Operating Base (FOB) au Xinjiang.

Pour sécuriser les voies de communication de OBOR ? Ou pour faciliter une surveillance policière et des arrestations ?

Une autre FOB sera installée dans la province chinoise du Yunnan, frontière du Vietnam, du Laos et de la Birmanie. Confier à la société "Frontier Services Group" des opérations de surveillance, de formation, est emblématique d’une Chine pragmatique, qui ne regarde pas à la dépense pour la sécurité du projet. OBOR traversant d’ex zones de guerre, des zones en conflit, et surtout la corne de l’Afrique, Somalie, Éthiopie,où les structures étatiques n’existent plus, le travail des mercenaires semble inévitable, en appui à des forces chinoises adaptées au terrain.

Quelles seront le prérogatives précises de ces groupes de protection aux airs de milices ?

Les questions sur l’environnement

Le droit international de l’environnement foisonne, plus de 300 traités internationaux, plus de 1000 accords bilatéraux, sans parler du droit interne, du droit communautaire, des coutumes, du jus cogens, de la jurisprudence des différentes juridictions, de la doctrine.

Parmi un corpus exceptionnellement riche, rappelons deux principes fondamentaux.

La déclaration adoptée par la conférence de Stockholm sur l’environnement humain en juin 1972 précise que « l’Homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ».

L’article 24 al 2 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant engage les États à lutter contre la maladie « compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel ».

Les travaux visant à mener à bien OBOR généreront de véritables bouleversements écologiques dont les dommages seront irréversibles.

La priorité du développement durable, en phase avec tous les enjeux environnementaux mobilisant tant de gouvernements et d’acteurs de la société civile est rappelée par la Chine. Mais la Chine ne convainc personne, faute d’études d’impact sur l’environnement.

Quels experts aux compétences transversales, indépendants et intègres peuvent réaliser les études d’impact sur tant de sites hétérogènes ? Comment faire un inventaire des ressources naturelles mais aussi des ressources archéologiques, nombreuses sur cette « route » ?

Dans quels délais ? Quelle sera l’effectivité de ces études une fois faites ? Seront-elles accessibles ?

Le PNUE dirigé par Erick Solhiem, trouvera-t-il la parade ?

La Chine acceptera-t-elle d’annuler, de suspendre, d’interrompre des projets pour des raisons environnementales ? Comment démanteler des infrastructures créant des préjudices écologiques, pire, mettant en jeu la santé ? Et si un projet industriel est interrompu laissant un chantier à ciel ouvert, avec des installations dangereuses, avec des matériaux polluants ?

Autant de questions que les multinationales du BTP et de l’industrie, de toute nationalité, répondant aux appels d’offre et aux marchés publics, devront régler, en conformité avec le droit international de l’environnement.

Une telle politique de grands travaux va mobiliser tous les lobbies du monde. Il appartient aux États de prendre les choses en main et de prendre garde aux titulaires des marchés privés, publics et aux sous-traitants de toute nature. Leur garantie financière devra être vérifiée afin de réparer les dommages causés. Des contrats spécifiques d’assurance devront être souscrits. Le droit de la commande publique devra s’adapter…

Mais quel juge pourrait-il être saisi en cas de préjudice écologique né ou à venir, en sachant que le préjudice peut être à distance ? L’arbitrage pourrait être une solution. Mais la Chine ne sera-t-elle pas tentée de rejeter la compétence d’un tribunal arbitral opposé à ses intérêts comme lors de l’affaire de la mer de Chine méridionale ? Nous sommes en pleine conjecture !

Le développement de l’extraction des ressources naturelles est annoncé. Les Chinois importent déjà du pétrole et du gaz turkmène, ouzbek et kazakh, outre le pétrole et le gaz russe. La nouvelle route de la soie est un formidable moyen d’augmenter la production. Tout intéresse la Chine, l’or, le coton ouzbek, l’uranium kazakh... Quelles seront les limites ?

Mais les « terres rares » sont aussi littéralement « traquées ». Les « terres rares » sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le Scandium 21 Sc, l’Yttrium39 Y et les 15 lanthanides de la classification périodique des éléments.

Comment éviter le détournement des ressources naturelles des pays traversés, voire un pillage des ressources naturelles et leur transport à la mère patrie via la nouvelle route de la soie ?

Une augmentation de la pollution des sols, de l’eau, de l’air est à craindre dans des pays où le droit international de l’environnement n’est pas respecté.

Les écosystèmes et la biodiversité seront impactés à tous points de vue, terrestre, fluvial, maritime, forestier.

Dans nombre de régions, les ressources en eau sont rares.

Essayons de prendre un exemple précis des conséquences environnementales de OBOR, dans le bassin du Mékong.

OBOR et le Mékong

Prenons d’abord l’exemple du sable du Mékong. Le sable est la deuxième ressource naturelle la plus consommée dans le monde après l’eau. 30 milliards de tonnes sont utilisées chaque année. La Chine utilise déjà 60 % de ce sable. Ses besoins vont croître dangereusement avec la réalisation de OBOR.

Ainsi, l’extraction du sable dans le Mékong, appelé dans sa partie chinoise, le Lancang Jiang, modifie le débit, le courants, les nappes phréatiques, la largeur des berges, la pêche, le mode de vie des populations.

Les barrages hydroélectriques sont toutefois la préoccupation majeure.

La construction des huit barrages dans le Yunnan permet la production d’énergie hydroélectrique, améliore la navigabilité du fleuve, véritable artère de transport dans le cadre de OBOR, mais impacte dans de multiples domaines les autres pays riverains, comme le Vietnam, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande.

L’Accord de coopération pour un développement durable du Mékong adopté le 5 avril 1995 à Chiang Rai réunit le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge. La Chine et la Birmanie ont le statut d observateurs. Ce traité a créé la Commission Régionale du Mékong (Mékong River Commission ou MRC) chargée de gérer le développement et les aménagements du fleuve.

En 2010, la MRC a recommandé un moratoire de 10 ans sur la construction des barrages sur le cours principal afin de vérifier l’impact des barrages sur l’environnement. Le Laos, dont les barrages de Xayabouri et Don Salong, notamment, font polémique, a refusé, bloquant le moratoire. Le Laos, pourtant bien protégé politiquement par le Vietnam, est d’ailleurs une cible privilégiée de la Chine, dans le cadre de OBOR, pour ne citer que la ligne ferroviaire Kunning-Boten-Luang Prabang-Vientiane, avec 75 tunnels et 167 ponts sur une distance de 414 kilomètres, l’objectif étant de se raccorder avec la Thaïlande, et à une ligne de TGV entre Kulua Lumpur et Singapour.

Le Vietnam est le seul pays asiatique à avoir adhéré le 19 mai 2014 à la Convention sur le droit relatif aux utilisateurs des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, signée à New York, le 21 mai 1997, entrée en vigueur le 17 août 2014.

On voit bien que rien n’arrêtera la Chine, du moins en Asie, la MRC jouant un rôle beaucoup trop faible, avec des décisions dont l’effectivité est théorique.

OBOR bouleversera tout le bassin du Mékong, tant sur le plan environnemental que sur le plan sociologique.

Le salaire de la peur ?

On assistera à une émigration de travailleurs chinois plus ou moins contraints, plus ou moins bien rémunérés, pour réaliser les travaux. Quel statut juridique auront-ils ? Quel droit régira leur contrat de travail ? Quelle sera la nature de leur engagement ? Seront-ils employés ou « loués » par des opérateurs non chinois ? Comment ces travailleurs, potentiels esclaves des temps modernes, seront-ils traités ? Quels seront leurs droits à la santé ? Quels droits sociaux auront-ils ? Pourront-ils se syndiquer ? Auront-ils les mêmes salaires que les employés d’autres pays ?

Autour des chantiers seront construites des villes nouvelles, des compounds. Comment éviter les ghettos ?

Les travaux devant durer des années, il pourrait s’agir d’une véritable immigration avec un enracinement progressif des travailleurs. Quel accueil leur fera-t-on ? Leur accordera-t-on le droit d’établissement et d’installation ? Un visa spécifique ? La nationalité du pays ?

Concernant les populations locales, le risque est de détourner nombre de travailleurs de leurs tâches habituelles pour les enrôler sur des chantiers gigantesques. A quel prix pour la population et l’économie locale ? Salaires, conditions de travail, protection de la santé, formation, on ignore tout du cadre juridique dans lequel ces populations locales interviendront.

Les opposants aux infrastructures et aux projets industriels feront probablement l’objet de pressions économiques, juridiques, voire physiques.

Comment se passeront les expropriations des propriétaires des terres nécessaires dans des régions où les mosaïques ethniques, les religions, les coutumes, les questions identitaires, les conflits frontaliers, les irrédentismes sont multiples ?

La Convention d’Aarhus de 1998

Le Turkmenistan, le Kirghizistan, le Kazakhstan, l’Azerbaïjan, ont signé la « Convention on Access to information, public participation in decision-making and access to justice in environmental matters », adoptée au Danemark, à Aarhus, le 25 juin 1998.

La convention d’Aarhus de 1998 prévoit l’accès à l’information, la participation du public, et l’accès à la justice, pour les projets ayant un impact sur l’environnement. Le principe 10 de la déclaration adoptée par la Conférence de Rio de Janeiro en juin 1992 prévoyait déjà la participation des citoyens.

Le terme public désigne des personnes physiques ou morales. Ces dernières comprennent les associations, les organisations ou groupes, sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou pour les personnes morales, sans discrimination concernant le lieu où elles ont leur siège officiel ou le véritable centre de leurs activités. Ainsi, une association française de protection de l’environnement pourrait solliciter des informations sur des projets chinois dans les républiques musulmanes ex-soviétiques ayant signé la convention d’Aarhus.

La Chine, non signataire de la Convention d’Aarhus, transmettra-t-elle toutes les informations liées à ses travaux ? Ou invoquera-t-elle le secret commercial, industriel, militaire ? Transparence ? Ou opacité ? Assistera-t-on à une répression des acteurs de la défense environnementale en accord avec les autorités locales ?

Comment accéder à la justice comme le prévoit la Convention d’Aarhus face à la corruption endémique dans nombre de pays ? Quand bien même l’accès à la justice pourrait se faire, avec le respect du contradictoire, de la preuve, de la représentation des parties, comment exécuter une décision de justice ?

La nature du commerce et son contrôle

Comment allons-nous contrôler les produits transportés par la Chine ? Produits dangereux, copies, contrefaçons, polluants, trafic de drogue, trafic d’armes, émigration illégale, trafic d’êtres humains, trafics d’organes, prostitution, autant de questions pendantes nécessitant l’instauration de mesures adaptées, mais respectueuses des conventions internationales.

L’héroïne et le cannabis afghan, kazakh, kirgiz rapportent des milliards de dollars. La narco-mafia dans ces pays détient une puissance exceptionnelle, finançant pouvoir politique et guerre. Il ne faudrait pas lui faciliter l’écoulement de ses productions mortifères. Le Triangle d’Or, entre la Thaïlande, la Birmanie, et la Chine ne demande aussi qu’à mieux exporter sa production d’opium et ses drogues de synthèse. La nouvelle route de la soie pourrait se transformer en une route de l’overdose. La Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 et les autres traités internationaux ne feront pas grand poids sans une collaboration accrue des pays traversés. Le dernier rapport de la United Nations Office on Drugs and Crime "Aghanistan Opium Survey, cultivation and production" précise que l’Afghanistan a produit 5000 tonnes d’opium en 2017.Le danger est immense.

Le président Emmanuel Macron parle d’une route de la soie écologique, à double sens, avec une réciprocité économique. Il ne ménage d’ailleurs pas ses efforts pour développer le commerce entre la France et la Chine.

Mais quelle crédibilité a la France dans sa timide analyse de l’impact environnemental de la nouvelle route de la soie lorsqu’on voit ses difficultés à régler le problème du projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes ?

La Chine, en maître d’ouvrage de l’aménagement d’un monde à son image, va mettre à l’épreuve le droit international de l’environnement. La cohésion des pays européens et la cohérence des systèmes juridiques nationaux vont être mis à mal et durablement.

La nouvelle route de la soie sera toutefois une fantastique opportunité pour développer des contre-pouvoirs et stimuler une conscience citoyenne environnementale avec de multiples acteurs de la société civile, associations ou autres.

La France a d’ailleurs donné un statut aux lanceurs d’alerte dans sa loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. L’article 6 définit le lanceur d’alerte « comme une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale, pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance ».

Il n’en est pas de même dans nombre de pays où les militants environnementaux sont assassinés.

Reste aussi à savoir si cette route de la soie ne sera pas en réalité une chaîne de zones économiques spéciales, véritables enclaves « chinoises », gigantesques zones industrielles, fermées, gardées, opaques, et malheureusement polluantes, comme on le constate dans certains pays asiatiques.

Ces enclaves chinoises pourraient faire l’objet de projection de troupes chinoises afin de protéger les ressortissants chinois en cas d’attaques terroristes.

Le Japon a déjà adoptée la théorie du Kaketsuke-Keigo, (traduction : se précipiter dans des endroits éloignés pour protéger et sauver) par des lois spécifiques âprement discutées sous l’autorité du Premier ministre Shinzo Abe, à défaut d’une modification de l’article 9 de sa constitution. La Chine ne se privera pas de défendre ses intérêts de cette manière.

Si la Chine considère chez elle les militants environnementaux comme des dissidents politiques qu’elle condamne à de lourdes peines, elle risque de prendre vite conscience de résistances insoupçonnables dans les pays qu’elle vise. Le nationalisme n’est pas que chinois. OBOR risque d’être bien compliqué à réaliser…

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Directeur-Fondateur de la Clinique Francophone du Droit au Vietnam Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5) et Jonathan Trouillon ingénieur-juriste en environnement.
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