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Quand l’utilisation des mandats devient la porte ouverte, ça peut être celle de la sortie. Par Magali Baré, Consultante.
Parution : mercredi 17 janvier 2018
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Lorsque nous intervenons chez nos clients, nous constatons que les règles qui encadrent l’exercice d’un mandat de représentant.e du personnel sont mal connues, mal interprétées et à la lumière des pratiques, discutables ou pas, qui sont déjà en place. Deux décisions récentes de la Cour de cassation sont l’occasion d’apporter un éclairage sur certains points.

Le statut protecteur, ce n’est ni l’immunité, ni l’impunité

Une conseillère commerciale dans une entreprise de recouvrement de créances qui exerce plusieurs mandats est affectée dans un nouveau service. Elle saisit le juge pour demander sa réintégration dans son service initial. Elle n’a changé ni de fonctions, ni d’horaires, ni de lieu de travail, pourtant sa demande est acceptée par les juges du fond et ces décisions confirmées par la Cour de cassation, pourquoi ? Parce qu’elle devait utiliser un nouveau logiciel équipé d’un système de double écoute pour vérifier la qualité des interventions téléphoniques. Le recours à ce nouvel outil constituait un changement des conditions de travail de la salariée, soumise à son accord préalable (Cass. Soc. 13 décembre 2017, n°15-29.116).

Cette décision revient sur une position contraire de la Cour de cassation qui avait estimé que le changement des outils de travail n’était pas une modification nécessitant l’accord préalable du salarié protégé (Cass. Soc. 4 avril 2006 n°04-46.361). Il n’était pas précisé dans cet arrêt de quel type d’outils il s’agissait, informatiques ou physiques. Le salarié concerné était « assistant base de données », on imagine qu’il n’était pas familier des clefs à molette ou du marteau piqueur. Peu importe, on pourrait, sans mal, traiter de la même manière le maniement d’une nouvelle caisse à outil et d’un nouveau logiciel de traitement de texte.

Pour un salarié lambda, l’arrêt de 2017 ne change pas grand-chose, car modification des conditions d’emploi ou pas, en cas de refus, c’est une inexécution du contrat de travail qui peut justifier un licenciement pour faute, grave ou pas selon les cas.

Pour un salarié protégé, ce changement d’outil fait rentrer sa modification d’affectation dans la catégorie des évolutions qui doivent lui être proposées et qu’il peut refuser. Faut-il pour autant en déduire que l’employeur est dans l’incapacité de faire bouger le moindre paramètre concernant l’activité professionnelle d’un salarié protégé ? Non. Contrairement à une idée tellement répandue qu’elle en devient auto-réalisante, et parfois alimentée par la frilosité des services internes peu tentés de soutenir la faisabilité de procédures délicates. Délicates certes mais pas impossibles.

Reprenons les différentes étapes : l’employeur qui souhaite modifier un élément du contrat ou changer les conditions de travail d’un salarié protégé doit préalablement lui demander son accord. Ce dernier peut accepter ou refuser. En cas de refus, soit l’employeur renonce à sa démarche soit il saisit l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement. Il ne s’agit jamais de demander l’autorisation de muter un salarié ou de la changer de fonction, seulement de le licencier. Le rôle de l’inspecteur du travail est de s’assurer que l’initiative de l’employeur n’était pas abusive et ne porte pas atteinte à son mandat. Si ce n’est pas le cas et qu’il s’agit d’une simple modification des conditions de travail, le refus est fautif, on oserait presque dire « comme pour n’importe quel salarié ». Pour les sceptiques, voici un extrait on ne peut plus clair d’une décision du Conseil d’État : « le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute » (Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 07/12/2009, n° 301563).

C’est là que vous me dites d’un air à la fois résigné et aussi un peu soulagé d’être dispensé de devoir vous y coller, qu’il est impossible en pratique de licencier un salarié protégé et que je vous réponds avec un grand sourire que les statistiques démontrent le contraire.

Une étude de la DARES montre en effet que les trois quarts des demandes d’autorisation de licenciement sont acceptées par les inspecteurs du travail. Oui, les trois quarts. 75 %.

Ça signifie deux choses. D’abord qu’il ne peut être raisonnablement soutenu que les services de l’État s’opposent systématiquement aux démarches des entreprises pour mettre un terme aux contrats de travail des représentants du personnel et, sans doute aussi, que les entreprises quand elles y vont, ont un dossier bien étayé (pour plus de détails, voir l’article de Gilles Karpman sur ce sujet « Intouchables ? Ce n’est qu’au cinéma ! »).

Pour revenir à notre arrêt : Il faut en retenir qu’il convient d’être vigilant sur la procédure à mettre en place lorsqu’il s’agit d’un salarié protégé, c’est normal, mais en aucun cas considérer que rien n’est possible et que des situations devenues iniques au fil du temps sont immuables.

Du bon usage des crédits d’heure

Dans un autre arrêt du 13 décembre 2017 (n°16-14.132), la Cour de cassation rappelle une règle de base : le crédit d’heure des représentants du personnel leur permet d’être payés pour remplir leur mission au profit des salariés qu’ils représentent. Il doit donc toujours y avoir un lien étroit entre la démarche d’un représentant et la situation de l’entreprise.

Cette affaire concerne un délégué du personnel (DP) qui s’était rendu dans les locaux de son syndicat, selon lui pour s’informer sur son mandat et préparer les réunions mensuelles avec l’employeur. L’employeur avait demandé le remboursement des salaires correspondant au motif que le délégué poursuivait des activités étrangères à son mandat et avait obtenu gain de cause. Saisie, la Cour de cassation confirme en reprenant sa formule ultra-classique « Le temps consacré par les représentants du personnel à leur information personnelle ne peut être inclus dans les heures de délégation que si l’information se rattache directement à une difficulté particulière à leur entreprise ».

La sentence peut sembler sévère car le salarié en question n’était a priori pas parti pêcher mais rien ne nous dit à la lecture de l’arrêt qu’il a été en mesure de prouver à quoi il consacrait vraiment ses heures de délégation. De plus les sommes remboursées portaient sur plusieurs années, c’est dire s’il a du bien préparer ses réunions DP !

Sur le fond, la Cour de cassation ne dit rien de nouveau mais nous rappelle qu’elle est exigeante sur le lien qui doit exister entre le mandat et l’utilisation du crédit d’heure. Ainsi, un délégué syndical n’utilise pas ses heures conformément à leur objet lorsqu’il participe aux réunions statutaires de son syndicat (Cass. soc. 4 juin 1975 n°74-11.722). Et quand un membre du comité d’entreprise assiste à une réunion syndicale traitant de problèmes généraux concernant la retraite complémentaire ou la prime d’ancienneté, ainsi que des modifications à apporter à la convention collective (Cass. soc. 21 oct.1964 n°63-40.454), il outrepasse les limites de son mandat.

N’allez pas croire que je veuille vous inciter à aller vérifier les faits et gestes des porteurs de mandat. Socialement c’est explosif, c’est le plus souvent injustifié et ça ne rapporte pas, à moins bien sûr d’être confronté à une situation particulièrement abusive qui pourrait justifier une sanction (cf. notre point précédent). D’ailleurs, les actions en justice sur le sujet sont rares. Mais il peut quand même être utile de rappeler ces règles.

Je pense pour ma part que pour ceux qui utilisent leur crédit d’heure pour aller jouer à la pétanque, la sanction la plus efficace est celle des électeurs qui choisissent par leur vote leurs élus mais aussi les syndicats habilités à les représenter et à signer des accords en leur nom. Un des mérites de ce seuil de 10 % à atteindre au premier tour, s’il en est, est d’avoir permis de rayer de la carte certains représentants qui n’avaient aucune activité réelle de défense de leurs collègues.

Sur le terrain, le principal sujet de préoccupation de nos interlocuteurs dans les entreprises n’est pas tant le « à quoi » que le « comment » ces crédits d’heure sont utilisés, c’est-à-dire quelles sont les bonnes pratiques qui vont permettre au représentant d’exercer efficacement son mandat et au service de fonctionner dans les meilleures conditions. En la matière, on voit encore beaucoup trop de confusion sur les droits et devoirs de chacun. L’encadrement oscille entre laisser faire total (il a un mandat = il est en free-lance, je ne lui demande plus rien) et non-respect des droits des représentants (il s’absente pour son mandat = il doit me fournir des justificatifs écrits de tout ce qu’il fait). Et les mauvaises habitudes prises par certains, jamais rectifiées par d’autres qui en auraient pourtant le pouvoir et les moyens juridiques, deviennent un droit coutumier qui alimentent la croyance selon laquelle c’est le droit du travail qui est trop laxiste.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr