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Sur l’effet interruptif de la demande d’aide juridictionnel sur les délais d’appel. Par Jean Besse, Magistrat honoraire.
Parution : mercredi 24 janvier 2018
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L’effet interruptif de la demande d’AJ : a été supprimé à compter du 01/01/2017 sur les délais des articles 902 et 908 à 910, - a été instauré à c. du 01/01/2017 sur les délais pour interjeter appel, - a été partiellement rétabli à c. du 11 mai 2017 sur les délais des articles 909 et 910, - a été instauré à c. du 1er septembre 2017 sur les délais de l’article 905-2.

Avant la modification de l’effet interruptif de la demande d’AJ par le décret 2016-1876 du 27 décembre 2016, les règles étaient les suivantes :
- le délai pour faire appel n’était pas interrompu, l’article 38 du décret 91-1266 du 19 décembre 1991 (désigné infra comme l’article 38 AJ), ne visant que le délai pour intenter une action devant une juridiction du premier degré,
- étaient interrompus les délais des articles 902, 908 à 910 du code de procédure civile concernant les délais impartis à l’appelant pour signifier la déclaration d’appel et pour conclure, et les délais impartis aux intimés pour conclure et former appel incident, par application de l’article 38-1 AJ

Le décret 2016-1786 du 27 décembre 2016, applicable au 1er janvier 2017, a modifié l’article 38 AJ et a abrogé l’article 38-1 AJ. En conséquence :
- l’effet interruptif a été étendu au délai pour faire appel,
- en revanche l’abrogation de l’article 38-1 AJ a supprimé l’effet interruptif sur les délais de l’article 902 et des articles 908 à 910.

Le décret 2017-891 du 6 mai 2017 a opéré une troisième et dernière modification selon laquelle :
- aucune modification n’a été apportée à l’effet interruptif sur le délai pour faire appel,
- l’effet interruptif a été rétabli, mais seulement sur les délais des articles 909 et 910 impartis aux intimés et aux intimés sur appel incident pour conclure et le cas échéant former appel incident.

Il convient d’ajouter que le décret du 6 mai 2017 – article 17 - a créé l’article 905-2 qui impose un délai d’un mois à l’appelant et aux intimés pour conclure en procédure à bref délai, et a prévu - article 44 - que l’effet interruptif jouerait sur ce délai.

La succession de ces modifications entraîne des difficultés pour déterminer les dates auxquelles les nouvelles règles entrent en vigueur et donc pour interpréter l’article 53 du décret 2017-891 du 6 mai 2017 qui régit ces dates en paragraphes numérotés de I à V.

Avant d’interpréter l’article 53 il faut d’abord remarquer que son domaine d’application est nécessairement limité aux modifications apportées par le décret 2017-891 du 6 mai 2017 et ne peut pas s’étendre aux articles qui n’ont pas été modifiés.

Ainsi les 5 premiers paragraphes de l’article 38 AJ qui régissent toutes les règles de l’effet interruptif sur le délai pour interjeter appel n’ont pas été modifiés depuis le décret 2016-1876, applicable à compter du 1er janvier 2017. En conséquence ces règles s’appliquent depuis cette date.

La seule modification apportée à l’article 38 AJ par le décret 2017-891, dans ses articles 38 et 44, consiste en l’insertion d’un alinéa 6. L’article 38 AJ comporte dès lors 7 alinéas, ce dernier étant modifié seulement pour mentionner l’alinéa 6.

L’alinéa 6 de l’article 38 AJ dispose :
« Lorsque la demande d’aide juridictionnelle est déposée au cours des délais impartis pour conclure ou former appel incident, mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile, ces délais courent dans les conditions prévues aux b, c et d. »

L’article 53 s’applique à cette seule modification, et ne fixe donc que la date d’entrée en vigueur de l’effet interruptif de la demande d’AJ sur les délais des articles 905-2, 909 et 910.

Le paragraphe I de l’article 53 pose en principe :
"I. - Les dispositions du présent décret s’appliquent à compter du 1er septembre 2017,"

Le paragraphe V est ainsi rédigé :
« V. - Les dispositions de l’article 44 s’appliquent aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter du 1er septembre 2017. »

Ce paragraphe ne laisse aucune place à l’interprétation. L’article 44 du décret 2017-891 modifie le 6ème alinéa du nouvel article 38 AJ, pour tenir compte de la création de l’article 905-2 du code de procédure civile lequel n’est entré en vigueur que le 1er septembre 2017. Ceci impose la date du 1er septembre 2017.

Les paragraphes III et IV concernent l’article 38 du décret 2017-891 et donc la modification de l’article 38 AJ par le rétablissement de l’effet interruptif sur les délais des articles 909 et 910.

Le paragraphe III indique :
« III. - Par exception au I, les dispositions des articles 38 et 52 entrent en vigueur le lendemain de la publication du présent décret ».

Ce paragraphe indique sans ambiguïté que, par exception à la date du 1er septembre 2017, l’article 38 entre en vigueur le 11 mai 2017. L’effet interruptif de la demande d’AJ doit donc jouer à compter de cette date sur les délais des articles 909 et 910.

Le paragraphe IV est ainsi rédigé :
« IV.- Les dispositions de l’article 38 sont applicables aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret. »

Cette rédaction permet d’hésiter entre la date du I (le 1er septembre 2017) ou la date du III (le 11 mai 2017).

Il semble que la Cour de cassation n’ait pas encore statué sur cette difficulté.

Les cours d’appel sont divergentes. La cour d’appel de Rennes préconise la date du 1er septembre 2017, visée par le paragraphe I (09 Novembre 2017 R.G : 17/04633, pourvoi n° 7/-04.633). Au contraire les cours d’Aix en Provence (14 décembre 2017, R.G. : 17/14447 et 17/14625) et de Limoges (18 octobre 2017, R.G : 17/00253) retiennent la date du 11 mai 2017, visée par le paragraphe III.

Une lecture littérale du paragraphe IV, notamment du passage : « à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret. » fait pencher vers la date du 1er septembre 2017.

En revanche des arguments font au contraire pencher vers la date du 11 mai 2017.

La modification de l’article 38 AJ a pour objet le rétablissement (partiel) d’un texte déjà annoncé dans une dépêche du 19 janvier 2017. Il convient que le vide textuel résultant de l’abrogation de l’article 38-1 AJ soit comblé au plus tôt.

Il est habituel que les dispositions favorables aux bénéficiaires de l’AJ soient d’application immédiate. Cette tendance existe dans les textes et les décisions judiciaires. Ainsi l’article 8 du décret 2016-1876 du 27 décembre 2016 qui a instauré l’effet interruptif sur les délais d’appel est applicable, selon l’article 50, "aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter du 1er janvier 2017."

Si le paragraphe IV avait visé la date du 1er septembre 2017, il n’y aurait aucune raison de fixer cette même date dans le paragraphe V sus-visé. Un seul paragraphe aurait été nécessaire, étant au surplus observé que ces deux paragraphes concernent l’alinéa 6 de l’article 38 AJ.

En outre, dans la fiche n°7 annexée à la circulaire du 4 août 2017 la DACS conclut que « la seule interprétation utile est donc bien que le IV de l’article 53 précise les modalités d’entrée en vigueur du III ». Cette interprétation semble en effet s’imposer pour que la date d’application de l’effet interruptif joue à compter du 11 mai 2017. Par exemple si un appelant a signifié ses conclusions le 20 février 2017, l’intimé a jusqu’au 20 avril 2017 pour déposer sa demande d’AJ, et peut espérer obtenir une décision du bureau d’AJ en juin 2017. Si l’on retient que la décision doit être rendue à compter du 1er septembre 2017 l’effet interruptif ne pourra pas jouer. En revanche si l’on estime que la décision rendue à compter du 11 mai 2017 a interrompu le délai qui repartira dans les conditions des b/, c/ et d/ de l’article 38 AJ, la date d’entrée en vigueur fixée par le paragraphe III sera effective.

En conclusion, pour que la date du paragraphe III soit respectée, il me semble nécessaire que la date du paragraphe IV soit le 11 mai 2017. Ce paragraphe pourrait ainsi s’écrire :
IV. - Les dispositions de l’article 38 sont applicables aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter du lendemain de la publication du présent décret. (11 mai 2017).

Jean Besse magistrat honoraire