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Du delai de péremption et de l’utilité de la clarification des ordonnances de sursis à statuer. Par Florence Filly, Avocat.
Parution : jeudi 18 janvier 2018
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En principe, en cas de suspension de l’instance, le délai de péremption continue de courir.
Tel n’est pas le cas lorsque l’on connaît le terme de la suspension de l’instance, c’est-à-dire :
- soit la durée de la suspension est précisément déterminée,
- soit la durée n’est pas précisément déterminée, mais c’est un évènement déterminé qui mettra fin à la suspension.

Aux termes de l’article 386 du Code de procédure civile :
« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »
Aux termes des dispositions de l’article 392 du Code de procédure civile :
« L’interruption de l’instance emporte celle du délai de péremption.
Ce délai continue à courir en cas de suspension de l’instance sauf si celle-ci n’a lieu que pour un temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l’expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement. »

En principe, en cas de suspension de l’instance, le délai de péremption continue de courir.
Tel n’est pas le cas en cas lorsqu’on connait le terme de la suspension de l’instance, c’est-à-dire :
- soit la durée de la suspension est précisément déterminée,
- soit la durée n’est pas précisément déterminée, mais c’est un évènement déterminé qui mettra fin à la suspension.

L’expiration de la durée déterminée, ou la survenance de l’évènement, fait courir un nouveau délai de péremption de 2 ans.
Ce délai court à compter du prononcé de la décision de sursis.

Il en est de même lorsque l’évènement, cause du sursis, est déjà intervenu au jour du prononcé de la décision de sursis (Civ. 2e 11 juillet 2002, bull. civ. II, n°169, JCP 2003).

En effet, l’événement déterminé qui se réalise redonne aux parties le pouvoir d’agir (exemples : la révocation de l’ordonnance de clôture (Civ. 2e, 28 juin 2006, pourvoi n°04-17992, Bull. 2006, II, n°177), ou la décision du juge ordonnant le retrait du rôle à la demande des parties (Civ. 2e, 15 mai 2014, pourvoi n°13-17294, Bull. 2014, II, n°112).

En l’espèce, une assignation devant le Tribunal de Grande Instance de La Rochelle a été délivrée le 20 septembre 2011 par une société à l’encontre d’une commune.
La commune a sollicité l’avis du Tribunal administratif de Poitiers sur un point du litige ainsi qu’un sursis à statuer dans l’attente de cet avis.
Profitant de cette demande, la société a sollicité l’avis du Tribunal administratif de Poitiers sur des questions préjudicielles.

Par ordonnance du 4 octobre 2012, le juge de la mise en état du TGI de La Rochelle y a fait droit et a ordonné un sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive du Tribunal Administratif de Poitiers.

Par jugement du 5 février 2014, le Tribunal administratif de Poitiers a rendu son jugement.
Ainsi, un nouveau délai de péremption de 2 ans commençait à courir à compter du 5 février 2014.

La société a déféré ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
C’est pourquoi, parallèlement à ce recours devant le CAA Bordeaux, la société a sollicité du TGI de La Rochelle la révocation de l’ordonnance de sursis du 4 octobre 2012 aux fins d’en obtenir une nouvelle.

Par jugement du 2 décembre 2014, le TGI de La Rochelle a ordonné un nouveau sursis à statuer « dans l’attente d’une décision définitive d’une juridiction de l’ordre administratif ».

Par un arrêt du 31 mars 2016, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête de la société et confirmé le jugement du Tribunal administratif.
La société a alors formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour Administrative d’appel de Bordeaux, et déposé une requête devant le Conseil d’État le 31 mai 2016.

La question était de savoir si la société devait à nouveau solliciter un sursis de la part du TGI de La Rochelle afin d’éviter une péremption de son instance devant ce même tribunal.
En d’autres termes, l’évènement au sens de l’article 392 du Code de procédure civile s’était-il déjà réalisé ou non ?
Un nouveau délai de péremption de 2 ans commençait-il à courir à compter du 2 décembre 2014 pour se terminer le 2 décembre 2016 ?

La réponse n’était pas aisée dans la mesure où il n’est pas précisé à quoi fait précisément référence « la décision définitive » de la juridiction de l’ordre administratif.
En effet, deux hypothèses pouvaient être envisagées :
1) Soit l’évènement déterminé est la (future) décision du Conseil d’État.
2) Soit c’est l’arrêt de la Cour administrative d’appel du 31 mars 2016.

Les conséquences pour chacune de ces deux hypothèses étaient alors les suivantes :
1) La suspension du délai de péremption devant le TGI de La Rochelle expirerait à la date de l’arrêt qui sera rendu par le Conseil d’État, de sorte que la péremption n’est pas encourue,
2) Cette suspension serait éteinte le 30 mars 2018, de sorte qu’un nouveau sursis devra être sollicité dans l’attente de la décision, cette fois, du Conseil d’État.
Compte tenu du doute entre ces deux hypothèses, et afin d’éviter un prononcé de péremption, il convenait donc de s’assurer que la seconde hypothèse ne se soit pas réalisée.

Le TGI de La Rochelle, faisait-il référence à la décision de la cour d’appel ou celle du Conseil d’Etat dans l’énoncé de son ordonnance ? Laquelle de ces deux décisions est considérée comme définitive ?

Aux termes des articles 480 et suivants du Code de procédure civile, une décision est dite « définitive » lorsqu’elle tranche une contestation de sorte que le juge est dessaisi de tout pouvoir de juridiction relativement à cette contestation, et peut encore faire l’objet d’une voie de recours (à l’inverse de la décision dite « irrévocable »).

Le caractère définitif d’une décision de justice dépend donc des pouvoirs conférés au juge qui a dit le droit.

En l’espèce, le doute était permis, de sorte que la société a sollicité du TGI de La Rochelle un nouveau sursis à statuer.

Cette demande a été rejetée par le juge de la mise en état au motif que :
« L’action est suspendue jusqu’à la décision définitive d’une juridiction de l’ordre administratif, ceci incluant le Conseil d’État, qui constitue un évènement déterminé et la décision de radiation, prise en considération du sursis, prive la société de tout droit d’action à l’encontre de la commune tant que l’action n’aura pas trouvé une réponse définitive devant la juridiction administrative. »

Par cette ordonnance, le juge de la mise en état vient clarifier le débat relatif au caractère définitif de la décision administrative mettant fin à la suspension du délai de péremption.

Toutefois, la formule employée « ceci incluant le Conseil d’État » sous-entend que la décision du Conseil d’État n’est pas la seule décision qualifiée de définitive.

C’est donc à raison que la société s’était prémunie d’un risque de péremption, en sollicitant un nouveau sursis.

Prudence est mère de sûreté !

Florence Filly, Avocat à la Cour.