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Un avocat et un psy vous parlent : des mesures d’instruction du Juge Aux Affaires Familiales. Par Delphine Bivona, Avocat, et Elodie Cingal, Psychologue psychothérapeute.
Parution : lundi 22 janvier 2018
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Afin d’aider le Juge Aux Affaires familiales à mieux appréhender la complexité de certains dossiers, l’article 373-1-12 du Code civil lui offre la possibilité d’ordonner des enquête sociale et/ou médico-psychologique.

Ces deux mesures d’instruction ont pour objet de permettre au magistrat de recueillir les éléments nécessaires en vue de se prononcer au mieux sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale dont le mode de garde.

1) L’enquête sociale

L’enquête sociale a pour objectif de fournir au Juge des renseignements sur la situation psychologique, organisationnelle et financière de la famille et sur les conditions matérielles dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants.

Les diligences que peut accomplir un enquêteur social sont strictement encadrées par l’arrêté du 13 janvier 2011 pris en application du décret n° 2009-285 du 12 mars 2009 relatif aux enquêteurs sociaux et à la tarification des enquêtes sociales en matière civile.

Ainsi, il est notamment prévu que « sauf circonstances exceptionnelles », une enquête sociale doit comporter les diligences suivantes :
« I/ Deux entretiens avec chaque parent dont un se déroule à leur domicile et peut s’accompagner d’un entretien avec le tiers qui réside habituellement au domicile et, le cas échéant, avec les enfants du tiers qui vient au domicile, au cours desquels sont évoqués sur des thèmes précisés dans ladite annexe ;
II/ Une rencontre avec chaque enfant seul, puis en présence de chaque parent
III/ Des contacts avec le milieu dans lequel évolue l’enfant »

Quant aux informations précisées dans ledit rapport, elles sont également mentionnées à l’annexe 2 de l’arrêté précité.

De même, en raison de l’importance des enjeux et des conséquences d’une telle mesure, les enquêteurs sociaux sont soumis au respect de règles déontologiques.
On peut cependant déplorer qu’en cas de non-respect de ces règles, aucune sanction directe ne soit prévue.

Ainsi, le code de déontologie, lequel à défaut d’être obligatoire, a toutefois le mérite d’exister, indique notamment que « l’enquêteur social doit veiller à ne pas porter préjudice aux parties et se garder de tout jugement de valeur ».

Il ne doit pas ainsi exprimer un sentiment mais doit se contenter de décrire une situation en toute objectivité.

Si l’ensemble des dispositions précitées constituent des gardes fous pour éviter toute dérive de ces enquêtes sociales, il n’en demeure pas moins que l’absence de formation spécifique pour exercer la fonction d’enquêteur social peut constituer une vraie difficulté lorsqu’il s’agit d’interpréter les informations ainsi recueillies.

En effet, l’article 2 pris en son deuxième alinéa du décret précité indique sans plus de précisions que pour être éligible à la fonction d’enquêteur social il faut :
« Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité notamment dans le domaine social ou psychologique en relation avec l’objet des enquêtes sociales ».

C’est pourquoi, l’enquêteur peut être, à son insu, induit en erreur voire manipulé par un des parents et ainsi manquer d’impartialité dans l’élaboration de son rapport.

Il peut également du fait d’une formation différente de celle requise pour ce type d’enquête, s’éloigner de sa mission et ne répondre à aucune des exigences énoncées.

Il arrive en effet que dans son rapport, un enquêteur ayant reçu une formation de psychologue s’évertue à déterminer la structure psychologique des parents, alors même qu’il devrait se borner à de simples constats et recommandations.

En tout état de cause, le justiciable n’est pas démuni de tout recours puisqu’en cas de défaillance de l’enquêteur dans sa mission, il a la possibilité de former une demande de contre-expertise ou un complément d’expertise énoncés au 2ème alinéa de l’article 373-2-12 du Code Civil.

Il est dans ce cas indispensable de former une telle demande, dont le juge ne pourra a priori pas rejeter s’il est démontré que l’enquêteur a manqué aux exigences édictées aux annexes 1 et 2 de l’arrêté du 13 janvier 2011.

2) L’expertise médico-psychologique

Le Juge Aux Affaires Familiales peut également ordonner une expertise médico-psychologique avant de rendre sa décision définitive.

L’expertise médico-psychologique, quant à elle a pour but d’évaluer les logiques intra familiales et leurs répercussions notamment sur les enfants. Elle n’a pas pour vocation de rechercher la vérité. Elle ne peut en aucun déterminer laquelle des parties a raison ou tort lors d’accusations.

Contrairement à l’enquête sociale, l’expertise médico-psychologique ne doit répondre à aucun cahier des charges précis.

Les seules exigences et garanties prévues par les textes sont l’inscription des psychologues ou psychiatres sur les listes d’experts près la Cour d’Appel. Ces deux titres sont des titres protégés par l’Agence Régionale de la Santé et garantissent donc une connaissance.

Cependant, il n’existe pas de grille d’analyse définie et chaque expert décide de sa méthode d’investigation.

En effet, les experts psychologues ou psychiatres, de formations et de courants théoriques différents n’utilisent pas les mêmes outils d’investigation ou d’analyse. Certains rencontrent les deux parents ensemble, d’autres pas, certains font des séances de deux heures quand pour d’autres trente minutes sont suffisantes, les experts rencontrent plusieurs fois les parents et / ou enfants, d’autres pas ! Certains utilisent des tests de personnalité et / ou projectifs.

Par ailleurs, chacun peut être soumis à ses propres représentations sociales et croyances, lesquelles peuvent être incompatibles avec celles des sujets examinés.
Par exemple, certains psychologues reconnaissent l’existence du syndrome d’aliénation parentale et d’autres non. Tout comme la résidence alternée, si certains y sont favorables, d’autres y sont farouchement opposés.

C’est pourquoi, les conséquences qui en découlent peuvent être contraires à l’intérêt de l’enfant, et ce d’autant plus si le Juge Aux Affaires Familiales s’est uniquement fondé sur les conclusions de ladite expertise pour rendre sa décision.

Ainsi, par exemple, un expert qui ne reconnait pas le concept d’aliénation parentale ne sera pas en mesure de le prendre en considération et rendra un rapport sur la base d’une autre problématique, laquelle correspondra plus à ses propres croyances qu’à la situation observée.

A l’issue des entretiens, les experts rendent un rapport, lequel en théorie devrait être neutre et se contenter de déterminer la structure psychologique des individus et de la dynamique familiale ainsi que de pointer les incompétences parentales.

Bien que souvent vulgarisé, le rapport, est rédigé dans un jargon psychologique ou psychiatrique, ce qui ne peut malheureusement permettre aux non-initiés d’en saisir toute la subtilité.

De ce fait, il est de plus en plus fréquent que les conclusions préconisent des modes de garde afin de faciliter leur lecture par les juges et juristes.

Malgré ces quelques biais, parce que le psychologue et le psychiatre sont compétents pour reconnaitre une fragilité psychologique, cette enquête peut constituer un instrument précieux pour le Magistrat. Elle est d’autant plus importante qu’elle peut permettre de déceler des incompétences parentales.

L’enquête médico-psychologique est un outil, qui parmi les autres pièces du dossier, permet de conclure à une décision favorable à l’intérêt de l’enfant mais aussi à celui des deux parents.

Le défaut majeur de ces enquêtes réside dans les délais dans la mesure où il s’écoule souvent plusieurs mois entre le moment où elles sont ordonnées par le Juge et le moment auquel elles sont rendues.

Pendant ce laps de temps, le Magistrat rend un jugement « avant dire droit » dans lequel il statue provisoirement.

En tout état de cause, ces deux enquêtes, sociale et médico-psychologique, restent des outils indispensables.

Toutefois, l’absence d’uniformisation des formations et / ou connaissances des enquêteurs rendent les conclusions de ces mesures d’investigation incertaines.

Dans l’idéal, une formation pourrait être proposée tant aux enquêteurs sociaux qu’aux experts au moment de leur inscription sur la liste des experts près des tribunaux.

Cette formation pourrait ainsi assurer une grille de lecture pour les juges, une méthode simple et claire pour les parents et une diminution de la subjectivité des experts.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Delphine BIVONA Avocat à la Cour http://www.bivona-avocats.fr Elodie CINGAL Psychologue psychothérapeute http://psy-conseil-divorce.over-blog.com/