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Les députés modifient le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : lundi 22 janvier 2018
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Deux ans après la publication de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, la loi de ratification ayant pour objectif de donner « force de loi » à l’ordonnance, n’est toujours pas définitivement adoptée.

Le 9 juin 2017, le Gouvernement déposait au Sénat un projet de loi de ratification de l’ordonnance, projet apportant des modifications complémentaires aux modifications initialement prévues par l’ordonnance de 2016 dans le Code civil.

Le projet de loi ayant été adopté en première lecture par le Sénat, celui-ci a donc été soumis aux députés qui l’ont adopté le 11 décembre 2017. Toutefois, le projet ayant subi de nombreuses modifications durant son passage à l’Assemblée nationale, il devrait être soumis au Sénat pour une seconde lecture et ce dès le 1er février 2018.

Si les députés ont effectivement apportés des modifications substantielles à certains articles du projet de loi de ratification, ils ont toutefois adoptés 11 dispositions dans les mêmes termes que les sénateurs :
- la ratification de l’ordonnance (article 1 du projet) ;
- la définition du contrat de gré à gré (article 2, 1° du projet) ;
- la réparation de la faute commise lors de la négociation du contrat (article 3 du projet) ;
- la capacité des personnes morales (article 6, 1° du projet) ;
- l’interdiction de représenter plusieurs parties (article 6, 3° du projet) ;
- la fixation unilatérale du prix dans les contrats de prestation de services (article 7, 1° du projet) ;
- l’exécution forcée en nature (article 9, 2° du projet) ;
- la renonciation à une condition (article 10, 1° du projet) ;
- l’opposabilité de la déchéance du terme (art 10, 2° du projet) ;
- la forme de la cession de dette et les conditions d’opposabilité d’une telle cession (article 11 du projet) ;
- l’opposabilité de la compensation par la caution ou par le débiteur (article 14 du projet).

Ainsi, ces dispositions ayant été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale, elles ne devraient plus faire l’objet de modifications.

Concernant les modifications, ce sont 12 dispositions qui ont été revues par les députés :

1) Une nouvelle exception au paiement en euros est introduite.

L’Assemblée nationale conserve la notion « d’opération à caractère international » introduite par le Sénat, notion plus large que le « contrat international » du texte retenue par l’ordonnance de 2016, et étend l’utilisation de monnaies étrangères en tant que « monnaie de compte » à tous les contrats dès lors que « le débiteur de l’obligation conserve la faculté de se libérer en euros ».

2) L’article 9 relatif à l’application dans le temps de la réforme retrouve ses lettres d’origine.

Aux termes de l’article 9 de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 - date d’entrée en vigueur de l’ordonnance - demeurent soumis à la loi ancienne, y compris - avait ajouté le Sénat - pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public. Le but était de contrer la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet, dans ces cas, l’application de la loi nouvelle aux contrats en cours.
L’Assemblée nationale supprime cette précision car la formulation d’origine de l’article 9 de l’ordonnance est suffisamment claire : elle interdit l’application de la réforme aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ; l’application immédiate par les tribunaux de certains textes de l’ordonnance, au motif qu’ils régiraient « les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » ou qu’ils répondraient à des « exigences impérieuses d’ordre public », serait contraire à l’esprit comme à la lettre du texte.

3) Il n’y aura pas de précision de la notion « attentes légitimes des parties » concernant les contrats dans lesquels la qualité des prestations n’est pas déterminée ou déterminable.

Le Sénat souhaitait clarifier la notion « d’attentes légitimes ». Les députés ont supprimé cet amendement estimant que l’actuelle rédaction du texte permet d’apprécier de manière équilibrée la qualité de la prestation aussi bien au regard de ce que le créancier pouvait raisonnablement espérer recevoir que de ce que le débiteur s’attendait à devoir fournir.

4) L’article 1171 du Code civil relatif aux clauses contractuelles créant un déséquilibre significatif entre les parties ne sera pas modifié.

Le Sénat avait proposé de ne réputer non écrites que les clauses non négociables, unilatéralement déterminées à l’avance par l’une des parties d’un contrat d’adhésion créant un tel déséquilibre. Les députés estiment au contraire que la formulation actuelle de l’article 1171 ne doit pas être modifiée car le nouveau champ du contrat d’adhésion est limité aux seuls contrats comportant des conditions générales au sens de l’article 1119 modifié. Toutes les clauses d’un contrat d’adhésion, y compris les clauses particulières, pourraient donc être déclarées abusives si elles créent un déséquilibre entre les parties.

5) La révision judiciaire du contrat réapparait.

L’Assemblée nationale rétablit le pouvoir de révision judiciaire du contrat à l’initiative de l’une des parties, alors que le Sénat voulait limiter le pouvoir du juge à la résolution du contrat.

6) Une précision est apportée sur le sort des sûretés données par le cédant dans le cadre des cessions de contrat.

Depuis l’ordonnance, le cas des sûretés accessoires au contrat cédé est traité à l’article 1216-3. Le texte d’origine ne disait rien sur le sort des sûretés accordées par le cédant lui-même lorsqu’il est libéré. Une interprétation a contrario avait conduit certains à considérer que ces sûretés se maintenaient. Par souci de sécurité juridique, l’Assemblée nationale précise que, en cas de cession de contrat, les sûretés accordées par le cédant disparaissent automatiquement.

7) Le créancier insatisfait ne pourra pas réduire unilatéralement le prix déterminé au contrat au motif de l’exécution imparfaite de celui-ci.

L’Assemblée nationale revient sur la réduction du prix par le créancier insatisfait, dont le régime était incertain (notamment sur le point de savoir auprès de qui le créancier devait solliciter une réduction de prix) et risquait de donner lieu à des abus, tout client pouvant s’estimer insatisfait de l’exécution du contrat et décider de réduire unilatéralement le prix dû.

8) Sans conditions générales, aucun contrat d’adhésion ne sera valable.

L’Assemblée nationale a redéfini le contrat d’adhésion au regard de la notion de conditions générales, dont une définition légale va enfin voir le jour. Ainsi, le contrat d’adhésion sera un contrat comportant un ensemble de stipulations non négociables. En conclusion, le contrat d’adhésion sera celui qui comporte des conditions générales.

9) Le délai de réponse à l’action interrogatoire dans le cadre d’un pacte de préférence sera un délai raisonnable sans qu’aucun délai précis ne soit précisé.

Depuis la réforme issue de l’ordonnance de 2016, un tiers peut demander par écrit à une personne qu’il suppose bénéficiaire d’un pacte de préférence de confirmer l’existence d’un tel pacte et si elle entend l’invoquer ; la réponse doit intervenir dans un délai raisonnable comme en dispose l’article 1123 du Code civil. Le Sénat avait remplacé de délai raisonnable par un délai de deux mois. L’Assemblée nationale décide de revenir à la notion de « délai raisonnable ».

10) La réticence dolosive ne sera pas liée à l’obligation légale d’information.

Le Sénat avait relié la réticence dolosive à l’existence d’un manquement à une obligation légale d’information préalable. La modification était réclamée par la doctrine qui souhaitait une clarification de l’articulation entre le dol et l’obligation générale d’information instituée par l’article 1112-1 nouveau du Code civil.
Les députés reviennent à la version d’origine du texte qui vise la dissimulation intentionnelle par une partie d’une information dont elle sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

11) Dans le cas d’une demande de confirmation des pouvoirs du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte, le tiers disposera d’un délai raisonnable sans qu’aucun délai précis ne soit précisé.

Dans le cadre de l’article 1158 alinéa 1 du Code civil, le représenté doit répondre dans un délai que le tiers fixe et qui doit être raisonnable. Les Sénateurs voulaient fixer à deux mois le délai de réponse, mais les députés ont supprimé cet amendement estimant qu’un délai de deux mois est trop long et que la notion de « délai » raisonnable donne plus de souplesse aux relations contractuelles.

12) Un cas de caducité du contrat est supprimé.

Afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation, le Sénat avait ajouté le décès du destinataire de l’offre aux cas de caducité de l’offre prévus par l’article 1117 du Code civil. L’Assemblée supprime cet ajout.

Sources : Dossier d’actualité « Contrats » EFL, 18/01/2018 et Texte Assemblée nationale n° 46

Alexandre Peron Legal Counsel