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La situation du dirigeant d’une société en liquidation judiciaire. Par Clément Gicquel, Avocat.
Parution : lundi 29 janvier 2018
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Les tensions qui s’expriment en droit des entreprises en difficultés sont souvent vives. Pour autant, et contrairement à une idée reçue chez les dirigeants, la pondération semble l’emporter lorsque les tribunaux sont conduits à se prononcer sur leurs responsabilités.

La récente décrue [1] du nombre des défaillances d’entreprises amorcée en 2016 est une nouvelle encourageante.
Leur nombre reste toutefois élevé (61.789 procédures ouvertes en 2016 [2]), ce qui explique que les particuliers et, plus encore, les dirigeants d’entreprises aient appris à composer avec le risque qui en résulte pour eux.

Parallèlement, les mentalités évoluent et la qualité de dirigeant (ou d’ancien dirigeant) d’une entreprise en difficulté ne suscite plus l’opprobre.
Les dirigeants d’entreprises, de leur côté, continuent d’adopter une large palette d’attitudes lorsque les difficultés financières se font jour.
Celles-ci vont de l’abattement à la fuite en avant, en passant par une posture proactive de bon aloi.

Le législateur connaît, et depuis fort longtemps, la typologie des réactions des dirigeants d’entreprises face aux difficultés.

Les règles applicables sont donc nombreuses et d’un accès relativement ardu pour le profane.
Notre propos est ici de présenter l’éventail des mesures susceptibles d’être appliquées au dirigeant d’une société en liquidation judiciaire, en étudiant en premier lieu (I) l’approche du droit commercial avant d’aborder certains aspects de la répression du dirigeant délinquant (II), en nous appuyant sur un tableau synthétique et comparatif figurant en annexe.

I. L’approche du droit commercial.

Dans la plupart des cas, le dirigeant pourra être qualifié de « débiteur malheureux » (A), selon une terminologie désuète mais évocatrice. Parfois, le dirigeant aura commis des fautes de gestion, justifiant le prononcé de sanctions à son encontre (B).

A) Le débiteur malheureux ou mal inspiré.

• Il s’agit d’un dirigeant normalement diligent qui, pour des raisons diverses, n’a pas été en mesure de déceler et/ou de résoudre les difficultés financières rencontrées par sa société.
Surcharge de travail, manque de conseils, perte de marchés, difficultés de mise en œuvre des mesures correctives : les écueils ne manquent pas dans la vie du chef d’entreprise.

Devant la complexité de sa tâche, le législateur pose, en creux, le principe d’un droit à l’erreur.
Celui-ci résulte simplement du fait que le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire n’est pas ipso facto l’objet d’une mesure d’éloignement de la vie des affaires.
Ainsi donc, rien ne s’oppose à ce que le dirigeant concerné constitue immédiatement une société afin d’exercer une nouvelle activité commerciale.
Il conviendra simplement de s’assurer que la nouvelle société ne poursuive ou ne reprenne l’activité de la société en liquidation judiciaire, faute de quoi le dirigeant pourrait se rendre passible des sanctions pénales mentionnées dans notre deuxième partie.

• Lorsque des erreurs de gestion « mineures » peuvent être retenues contre le dirigeant, celui-ci est susceptible de faire l’objet d’une mesure d’interdiction de gérer sur le fondement de l’article L.653-8 du Code de commerce.

Cette sanction vise spécialement le dirigeant qui, « de mauvaise foi, n’aura pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L. 622-22 ».
Elle peut également être prononcée à l’encontre du dirigeant qui « a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation  ».
Comme son nom l’indique, l’interdiction de gérer a pour objet d’interdire au dirigeant concerné de « diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ».

Les autres cas d’interdiction de gérer sont visés aux articles L.653-4 et L.653-5 du Code de commerce relatifs à la faillite personnelle, intégralement reproduits dans le tableau joint en annexe.

Il convient de préciser que les sanctions dites commerciales sont prononcées par le Tribunal de la procédure, en général à l’issue des opérations de liquidation judiciaire et, en tout état de cause, après une procédure contradictoire.

Toujours sur un plan pratique, on notera que ces mesures sont devenues beaucoup plus efficaces avec l’entrée en vigueur de la loi du 22 mars 2012 qui a créé le Fichier National des Interdits de Gérer (F.N.I.G).

Son décret d’application paru en 2015 prévoit que lorsqu’une sanction est prononcée et devenue définitive, celle-ci donne lieu à une inscription au Registre du Commerce et des Sociétés.
Concrètement, ceci signifie que la mesure et sa date d’expiration seront mentionnées sur l’extrait K Bis de la société débitrice, à la suite du nom de son dirigeant sanctionné.

B) Le dirigeant fautif.

• La faillite personnelle.

La faillite personnelle visée aux articles L.653-4 et L.653-5 du Code de commerce partage son champ d’application avec l’interdiction de gérer étudiée précédemment.
Ceci résulte de l’article L. 653-8 alinéa 1er du Code de commerce, qui dispose que le tribunal peut, dans les cas visés aux articles L.653-4 et L.653-5 précités du Code de commerce, prononcer « à la place de la faillite personnelle », l’interdiction de gérer.

Cette dernière présente donc, dans ces cas, un caractère subsidiaire par rapport à la faillite personnelle.

Si ses effets sont très proches de ceux de l’interdiction de gérer, la faillite personnelle constitue à l’évidence une sanction plus grave par l’intensité de ses effets.

En premier lieu, l’interdiction de gérer qui en découle n’est pas susceptible d’être aménagée par le tribunal : elle concernera donc nécessairement toute personne morale.

En second lieu, elle est susceptible d’être assortie d’une incapacité d’exercer une fonction publique élective, pour une durée égale à celle de la faillite personnelle, dans la limite de cinq ans, sur le fondement de l’article L.653-10 du Code de Commerce.

Saisi d’agissements visés aux articles L.653-4 et L. 653-5 du Code de commerce, le Tribunal disposera donc d’une palette assez large de sanctions, d’autant qu’il pourra également jouer sur leur durée, dont le maximum est fixé à 15 ans par l’article L.653-11 du Code de commerce.

Nous rappellerons qu’il n’existe plus de durée minimale pour l’interdiction de gérer ou la faillite personnelle depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005.
Il ne faudrait pas conclure des développements qui précèdent que les magistrats soient particulièrement sanctionnateurs [3].

Comme nous l’avons indiqué en introduction, les comportements des dirigeants d’entreprises sont très variés et également bien connus des magistrats qui sont appelés à les examiner.
C’est la raison pour laquelle les juges du fond prononcent, en général, une sanction adaptée.

Il leur est ainsi parfaitement possible, alors même que des faits visés aux articles L.653-4 et L. 653-5 du Code de commerce seraient établis, de décider qu’il n’y a lieu au prononcé d’aucune sanction à l’encontre du dirigeant fautif.

Peut-être les magistrats jugent-ils en pareil cas que les épreuves de la comparution devant un tribunal et de l’introspection auront été suffisantes pour dissuader le dirigeant d’être à nouveau mis en cause à l’avenir.

En sens inverse, lorsque le dirigeant a commis plusieurs fautes de gestion, le tribunal pourra également cumuler plusieurs sanctions et ajouter aux sanctions commerciales, une sanction patrimoniale.

• La responsabilité pour insuffisance d’actif.

Cette action, figurant à l’article L.651-2 du Code de Commerce, reste dénommée « action en comblement de passif » par les praticiens.

Il s’agit d’une action à caractère indemnitaire dirigée à l’encontre du dirigeant qui a commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

Toute faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif constatée est susceptible d’être poursuivie, sans qu’elle doive nécessairement être visée aux articles L.653-4 et L.653-5 précités du Code de Commerce.

En pratique, l’on observe toutefois que, bien souvent, le dirigeant mis en cause a commis une ou plusieurs fautes qui seraient « insuffisamment » sanctionnées par le prononcé d’une faillite personnelle.

Il appartiendra encore à la partie poursuivante d’établir le lien de causalité entre l’insuffisance d’actif et la ou les fautes de gestion relevées.

Un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 juin 2017 (Cass. com. 28-6-2017 no 14-29.936 F-D) illustre un cas de cumul de fautes de gestion.

Dans cette affaire, le dirigeant avait été condamné à supporter environ la moitié de l’insuffisance d’actif, s’élevant à 445.000 €, aux motifs d’une rémunération jugée excessive (égale au chiffre d’affaires de l’exercice concerné) et d’avances opérées au profit d’une autre entreprise qu’il dirigeait.

Bien qu’elle ne soit pas exercée très souvent, l’action en comblement de passif fait partie de celles qui inquiètent les dirigeants, au point, peut-être, de parfois sous-estimer le risque de poursuites pénales susceptible de peser sur eux.

II. La répression du dirigeant délinquant.

Dans les cas d’agissements les plus graves commis par le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire, le droit pénal prend le relais du droit commercial pour sanctionner le dirigeant.

Nous évoquerons d’abord la principale infraction spécifique au droit des entreprises en difficultés, la banqueroute (A) puis, l’abus de confiance, (B) qui est susceptible d’être appliqué dans un assez grand nombre de cas.

A) La banqueroute.

Aux termes de l’article L. 654-2 du Code de commerce : « En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :
- 1 Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire « ou de liquidation judiciaire », soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
- 2 Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;
- 3 Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
- 4 Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité « lorsque les textes applicables en font obligation » ;
- 5 Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales. »

La banqueroute est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende (article L. 654-3 du Code de commerce).

L’on constate à la lecture de l’article L.654-2 du Code de commerce que certains des faits qu’il réprime sont déjà visés, sous une forme très proche ou identique, aux articles L.653-4 et L.653-5 du Code de commerce précités, relatifs à la faillite personnelle.
Le tableau ci-annexé souligne ces similitudes.

En sens inverse, l’article L.654-2 du Code de commerce ne vise pas les faits spécialement sanctionnés par une interdiction de gérer (article L.653-8 alinéa 2 du Code de commerce), ni les cas de faillite personnelle qui pourraient apparaître comme les moins graves (article L.653-5, 1°, 3°, 4° et 5°).

Il est d’ailleurs permis de s’étonner de ne pas retrouver, parmi les cas de banqueroute, le fait d’avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale, visé à l’article L.653-4 4°) du Code de commerce.

En définitive, et sous la réserve qui précède, la banqueroute apparaît comme le prolongement naturel, sur le terrain pénal, de la faillite personnelle et constitue une sanction adaptée aux comportements les plus graves des dirigeants d’entreprises en difficultés.

Il convient toutefois de relever que la frontière entre la sanction commerciale et la sanction pénale est parfois difficile à distinguer et que des faits similaires pourront, selon l’appréciation qui en sera faite par le mandataire judiciaire ou le parquet, relever de l’un ou de l’autre des dispositifs.

Un exemple de banqueroute, prononcée à l’occasion de faits susceptibles de se rencontrer assez fréquemment en pratique, est donné par un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation du 26 octobre 1995 (pourvoi n°94-82.737, RJDA, 1996, n°279).
Dans cette affaire, le dirigeant social d’une société exploitante, par ailleurs associé de la SCI bailleresse des locaux, a consenti à la résiliation amiable du bail commercial, sans indemnité. Le délit de banqueroute est constitué car cette résiliation a entraîné la disparition du fonds de commerce.

Il convient encore de relever que les mêmes faits peuvent donner lieu à la fois à la sanction de la banqueroute et de la faillite personnelle.

La banqueroute peut par ailleurs être assortie des peines complémentaires visées à l’article L.654-5 du Code de commerce, reproduit dans le tableau ci-annexé.

A côté de cette infraction supposant nécessairement l’ouverture d’une procédure collective, les difficultés des entreprises peuvent aussi donner lieu à des infractions moins spécifiques telles, en particulier, que l’abus de confiance.

B) L’abus de confiance.

L’abus de confiance est réprimé par l’article 314-1 du Code pénal, qui dispose :
« L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
L’abus de confiance est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.
 »

Historiquement, cette infraction ne pouvait trouver son siège que dans six contrats tels, par exemple, que le dépôt, le louage ou le nantissement.

Même si la jurisprudence a été amenée à élargir le champ d’application de cette infraction, ce n’est qu’en 1994 que la mention des six contrats historiques, parmi lesquels ne figurait pas le contrat d’entreprise, a été supprimée.

C’est grâce à cet élargissement que la Cour de cassation a récemment, par deux arrêts très rapprochés, posé deux principes importants en matière d’avances sur travaux.
Ceux-ci sont applicables dans toutes les matières où il est d’usage pour le fournisseur de percevoir des avances.

Dans un arrêt du 6 avril 2016 (n°15-81.272), la chambre criminelle a posé le principe du caractère précaire par nature de la remise de fonds en vue de l’accomplissement de travaux.

Dans un arrêt du 3 février 2016 (n°14-83.427), la chambre criminelle relève, pour rejeter le pourvoi, que la Cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit d’abus de confiance en relevant que les prévenus, dès l’origine, n’avaient pas entendu respecter leurs engagements et n’avaient pas utilisé les fonds selon l’usage convenu.

Plus encore que par le passé, les dirigeants de sociétés en difficultés devront donc veiller à ce que les fonds qu’ils reçoivent de leurs clients soient employés à bon escient.

***

Le droit des entreprises en difficultés est une matière complexe car elle constitue, par nature, le point de contact de branches du droit dont les visées sont parfois diamétralement opposées.

S’agissant des textes et de la jurisprudence relatifs à la responsabilité des dirigeants, force est de constater que le dispositif est à la fois suffisamment complet et souple pour prendre en compte l’ensemble des comportements, avec les nuances et gradations qui s’imposent.

Annexe :

Tableau comparatif des articles du Code de commerce relatifs à la faillite personnelle (L.653-4 et L.653-5) et à la banqueroute (L.654-2)

Clément GICQUEL Avocat associé chez CG CONSEIL

[1Leur nombre a baissé de 8.4 % entre 2015 et 2016 selon les statistiques de la Conférence générale des Juges Consulaires de France pour 2016, publiées en avril 2017.

[2Même source.

[3L’examen des statistiques de la Conférence générale des Juges consulaires de France montre au contraire qu’en 2016, le nombre de sanctions rapporté au nombre d’ouvertures de procédures était de 8.4 %.

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