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Loi Sapin 2 : les sociétés et les dirigeants confrontés aux nouvelles mesures anticorruption. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : lundi 5 février 2018
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La loi n° 2016-1691 dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 a fait beaucoup de bruit, et notamment parce qu’elle est venue introduire un nouveau dispositif anticorruption dont le spectre est large et touche tant le domaine public que le domaine privé.

Ainsi depuis le 1er juin 2017, les dirigeants de sociétés qualifiées de « grande taille » doivent mettre en place de nouvelles mesures anticorruption, et sont de fait, soumis à un risque d’injonction et de sanctions administratives et pénales en cas de manquement à leurs obligations.

Concernant le domaine public, le nouveau dispositif a fait naitre l’Agence Française Anticorruption (AFA) dont les le décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 et l’arrêté du 14 mars 2017 traitent de son rôle, ses compétences ainsi que son mode d’organisation.
Le nouveau dispositif touche la sphère publique également en soumettant les Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC) de grande taille au dispositif.

Nous nous concentrerons ici sur la sphère privée, mais avant toute chose, une question se pose inévitablement, à savoir ce à quoi la notion « société de grande taille » fait référence ? Nous ne pouvons que souligner le manque regrettable de précision, car à partir de quand et selon quels critères peut-on déterminer qu’une société est de « grande taille » et donc soumise aux obligations du nouveau dispositif anticorruption ? Plus globalement donc, quelles sociétés sont véritablement concernées ?

Toutefois, des indices nous permettent de lever légèrement le flou qui englobe la notion. Premièrement, l’article 17-1 de la loi vise expressément les groupes de sociétés dont la société mère a son siège établi en France. Deuxièmement, l’article 17-1, 2ème alinéa précise que ce nouveau dispositif fait peser une responsabilité particulière sur les dirigeants (Présidents, Directeurs généraux et Directeurs généraux délégués), et également en fonction des attributions qu’ils exercent sur les membres du directoire. Dès lors, ceci allié au fait que l’article 17-1 souligne que le nouveau dispositif trouve à s’appliquer aux sociétés employant aux moins 500 salariés, il est possible de déterminer que seules les SA et les SAS sont concernées. En effet la SNC ne semble pas être concerné puisque non dotée d’organes de direction, expressément visés par les articles de la loi cités supra.

L’énumération faite par la loi des catégories de dirigeants assujettis aux nouvelles obligations, soulèvent des questions pratiques majeures auxquelles l’ANSA dans son communiqué juridique du 06 décembre 2017 a tenté de répondre :

Premièrement, qui est tenu de mettre en place les mesures anticorruption lorsque les fonctions de président et de directeur général sont scindées ? Il s’avère que cette obligation pèse sur le directeur général ou le directeur général délégué sans que celles-ci puissent de manière concomitante peser sur le président. En effet, les nouvelles mesures à mettre en place entrent dans les missions de la direction générale et donc dans le giron de sa responsabilité, alors que le président n’a vocation qu’à veiller au bon fonctionnement des organes de direction comme le précise l’article L. 225-51 du Code de commerce.

Deuxièmement, l’article 17-1, alinéa 2 de la loi vise les membres du directoire « selon les attributions qu’ils exercent ». Or, en l’absence de répartition définie des pouvoirs entre les membres, la mise en place du dispositif et la responsabilité y étant attachée sera donc collégiale, et cela semble finalement logique puisque le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société, comme en dispose l’article L. 225-64 du Code de commerce. Le Président de la SA et son directeur général sont donc dans ce cas précis écartés du champ d’application des obligations du dispositif à mettre en place. Il semblerait que cela puisse en être de même pour les membres du conseil de surveillance et du conseil d’administration, et cela compte tenu de leur fonction de contrôle.

Troisièmement, au sein des SAS, la mise en place d’organes sociaux est optionnelle et doit être dans ce cas de figure, expressément prévue par les statuts. Dès lors, il semble que seuls le président et le directeur général soient tenus de mettre en place le nouveau dispositif de lutte anticorruption, et cela en fonction des pouvoirs confiés statutairement à chacun d’entre eux.

Mais finalement, que vient prévoir le nouveau dispositif ? En lisant les articles de la loi Sapin 2 relatifs à la lutte contre la corruption, nous pouvons nous apercevoir que les nouvelles dispositions sont fortement inspirées du « Bribery Act » des Britanniques. Huit nouvelles mesures pèsent dès lors sur les sociétés assujetties, comme par exemple la mise en place d’un code de conduite définissant et illustrant les divers types de comportements qui doivent être proscrits ; le développement d’un dispositif d’alerte interne permettant aux employés de faire des signalements ; la construction d’une cartographie des risques mais aussi d’un régime disciplinaire interne consacré aux violations du code de conduite par les salariés.

Si ces nouvelles mesures se veulent compréhensibles, comment devront-elles être mise en place exactement ? La loi ne dit rien, et l’AFA devra délivrer des guidelines aux sociétés, qui de fait, ne pourront pas se prévaloir d’un droit à l’erreur en cas de contrôle.

D’ailleurs, et ceci est une nouveauté du dispositif, en cas de manquement, les dirigeants s’exposent à des sanctions administratives certes mais aussi pénales, si les avertissements, les mises en demeure ou encore les injonctions de l’AFA sont restés infructueux. Il faut noter que les sanctions seront rendues publiques, ce qui peut irrémédiablement nuire à la carrière d’un dirigeant. Enfin et ce point est important, la condamnation d’un dirigeant sera cumulable avec la condamnation de la société elle-même en sa qualité de personne morale. Le cumul des poursuites pénales est donc rendu possible comme cela est déjà le cas pour les infractions commises par les dirigeants pour le compte de la société (article 121-2, alinéa 3 du Code pénal).

Face à ces obligations faisant peser sur les dirigeants une nouvelle responsabilité redoutable, peuvent-ils envisager des moyens d’exonération de leur responsabilité ou de protection via la souscription d’une assurance par exemple ?

Nous pensons immédiatement aux cas où le dirigeant va déléguer ses pouvoirs, le délégataire pourrait dès lors devenir responsable de la mise en place de ce dispositif. Mais rien n’est moins sûr car la loi prévoit bien que le dirigeant doit personnellement mettre en œuvre le dispositif, ce qui laisse entendre que le législateur vient rattacher cette obligation au pouvoir d’administration générale de la société dont le directeur général est investi.

Dès lors, quid de l’assurabilité d’une telle responsabilité ? En effet, il est de plus en plus courant que les dirigeants souscrivent des assurances « responsabilité professionnelle », couvrant notamment les fautes professionnelles commises dans le cadre de leurs fonctions. Toutefois, il est peu probable que ce type d’assurance trouve à s’appliquer dans les cas de défaillances dans la mise en place du dispositif anticorruption car d’une part l’article L. 113-1 du Code des assurances exclut les fautes dites intentionnelles du champ de couverture de ce type d’assurance ; d’autre part, la jurisprudence est catégorique en la matière et exclut constamment de la couverture assurantielle les sanctions pécuniaires de nature pénale et/ou administrative.

S’il est incontestable que le nouveau dispositif va venir permettre de renforcer la prévention de la corruption, faisant de cette infraction un point clef de la politique répressive, il va nécessiter de nombreux éclaircissements et amener les sociétés et dirigeants assujettis à repenser leur organisation et leur mode de travail, afin d’éviter toute sanction qui se révélerait lourde de conséquences.

Alexandre Peron Legal Counsel