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L’action juridique dans la procédure pénale espagnole. Par Jordi Tirvió Portús, Avocat.
Parution : mercredi 7 février 2018
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Dans la procédure pénale espagnole, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays (France, Italie et Allemagne), l’action pénale n’est pas le monopole du ministère public. En Espagne, l’action pénale est publique et son exercice est légalement configuré comme un devoir pour le ministère public et comme un droit pour tous les citoyens.

I. L’accusation

Dans le processus pénal espagnol, peuvent exercer une action pénale, en tant que partie poursuivante, le procureur général, l’accusation populaire, l’accusation particulière et l’accusateur privé. Le ministère public est l’organe public auquel la loi confie l’exercice de l’action pénale en général et au nom de l’État. L’accusateur particulier est celui qui est offensé ou lésé par le délit (qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale), qui peut également se constituer comme partie poursuivante. En outre, tout citoyen espagnol (y compris les personnes morales, conformément à la doctrine de la Cour constitutionnelle), même s’il n’est pas offensé ou lésé par le délit, peut intenter une action pénale, constituant une accusation populaire sous condition de certaines exigences légales. Et, enfin, l’accusateur privé est également lésé par le délit, mais dans ce cas il est le seul habilité à exercer une action pénale, parce que l’infraction pour laquelle il a été offensé n’affecte pas l’intérêt commun.

Laissant de côté la figure complètement résiduelle de l’accusateur privé, il convient de dire que la légitimation de l’accusation populaire découle de l’art. 125 de la Constitution espagnole, en tant que droit de participation des citoyens à l’administration de la justice et, par conséquent, il n’est pas nécessaire d’être lésé ou offensé par le délit pour l’exercer dans des délits publics. Une telle reconnaissance constitutionnelle est reflétée dans l’article 19.1 de la Loi Organique de la Magistrature et dans les articles 101 et 270 de la loi de procédure pénale. Pour exercer l’action populaire, il est nécessaire de déposer une plainte, fournir une caution pour répondre des résultats du procès (fixé par le Juge ou le Tribunal) et l’intervention d’un avocat et d’un procureur.

Cependant, la possibilité que les citoyens puissent poursuivre dans une procédure pénale, même s’ils n’ont pas été lésés par le délit, a historiquement été très critiquée, car pour beaucoup, c’est une manière d’introduire des pressions et des manipulations inadmissibles dans la procédure pénale, avec un danger évident d’utilisation frauduleuse. L’action populaire a joué un rôle important dans la défense des « intérêts diffus », comme dans le cas des associations de défense des Droits de l’Homme pour les crimes de torture ou diverses associations pour les délits contre la santé publique ou contre l’environnement, mais on ne peut ignorer la prolifération de plaintes pour des motifs peu légitimes, tels que ceux liés à des questions politiques.

En ce qui concerne l’accusation privée, selon la Cour constitutionnelle espagnole, l’exercice du droit d’accuser de la partie lésée est protégé par l’art. 24.1 de la Constitution, qui établit comme un droit fondamental de toute personne « d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de leurs droits et intérêts légitimes ».

Les personnes offensées ou blessées par le délit ont légitimité pour exercer une action pénale indépendamment de l’action du ministère public. Qui plus est, dans la pratique, il arrive parfois que le ministère public décide de ne pas poursuivre et que ce soit la personne offensée ou blessée par le délit qui le fasse, ce qui conduit à une condamnation de l’auteur du crime contre l’avis du ministère public. Ainsi, en Espagne, la procédure pénale peut commencer et se terminer sans que le ministère public ne soit à l’accusation.

Le statut d’accusateur particulier dans la procédure pénale peut être acquis initialement, en déposant une plainte ou, plus tard, durant la procédure, par comparution dans celui-ci. Dans les deux cas, est nécessaire l’intervention d’un avocat et d’un procureur du tribunal.

En ce qui concerne la question qui nous intéresse, il faut tenir compte du fait que les infractions établies dans le Code pénal espagnol peuvent être classées en trois catégories : les infractions publiques, semi-publiques et privées. En premier lieu, si le délit est public, le ministère public a le devoir d’intenter une action pénale, tandis que l’accusateur particulier et l’accusateur populaire ont le pouvoir de le faire. Ensuite, si l’infraction est semi-publique, le ministère public a également le devoir d’intenter une action pénale, mais son exercice est subordonné au fait qu’auparavant la partie lésée ou offensée par le délit ait déposé une plainte ; de même, dans ce cas, l’accusateur particulier peut exercer une action pénale. Enfin, si le délit est privé, la partie offensée est la seule à avoir le droit d’exercer une action pénale (on l’appelle l’accusateur privé), sans que le ministère public ni les accusateurs privés et publics puissent le faire.

Évidemment dans le système juridique espagnol, la plupart des crimes sont publics, il y a quelques délits semi-publics (par exemple, les délits d’entreprise, avec des exceptions, la découverte et la divulgation de secrets, le non-paiement de pension alimentaire, etc.) et seuls les délits de diffamation et de calomnie contre les individus sont privés.

II. L’importance pratique de l’exercice d’une action pénale par les personnes offensées ou lésées par le délit.

Le fait que la personne offensée ou lésée par une infraction puisse exercer une action pénale dans la procédure pénale espagnole est d’une grande importance, en particulier lorsqu’il s’agit d’infractions pénales contre le patrimoine et l’ordre socio-économique, dans lequel l’action pénale est prévue comme la défense des droits économiques des victimes de ces délits.

En effet, dans la procédure pénale, l’action civile ex-delicto est également exercée, sauf si une réserve expresse de cette action a été faite ou si elle a été levée. L’offensé ou la victime du délit ne peut intervenir dans la procédure pénale qu’en tant qu’acteur civil (partie civile), sans exercer l’action pénale et sans être partie accusatrice, mais il ne faut pas oublier que pour engager la responsabilité civile (réparation du dommage et indemnisation des préjudices), il est nécessaire que soient prouvées la commission de l’infraction et la responsabilité de celle-ci (article 109 du Code pénal).

Les procédures judiciaires, depuis le début de la procédure pénale, doivent être accès sur l’enquête du délit et ses circonstances, sur la détermination des responsables et sur la garantie des responsabilités financières. Tout cela peut être laissé entre les mains du juge d’instruction et du procureur, qui doivent enquêter sur les actes délictuels et les biens du délinquant et leur environnement. Mais la lenteur de l’administration de la justice et son manque de ressources matérielles et humaines sont bien connus, ce à quoi il faut parfois ajouter le manque de préparation pour faire face aux enquêtes sur les types de délits techniquement complexes.

Par conséquent, d’un point de vue éminemment pratique, il est souhaitable que la victime d’un délit contre le patrimoine ou l’ordre socio-économique (privé ou entreprise) intervienne dès le début dans la procédure pénale en tant que partie poursuivante, puisque de cette manière elle peut :
- Par l’intermédiaire de son avocat, intervenir dans toutes les procédures d’enquête qui sont pratiquées, proposer celles qu’il juge opportunes et accélérer la procédure pénale, généralement d’une lenteur exaspérante.
- Demander des mesures d’assurance, tant personnelles (détention provisoire de l’accusé), que matérielles (assurance de la responsabilité civile au moyen de cautions ou de saisies).
- Demander l’ouverture du procès oral et formuler un acte d’accusation contre les responsables pénaux et civils.
- Intervenir dans le procès oral.
- Intervenir dans la phase d’exécution de la peine, si elle est condamnatoire.
- En cas d’acquittement, interjeter appel de la décision.

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