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La légalité de la notification tardive de ses droits au gardé à vue en raison de la « circonstance insurmontable d’ébriété ». Par Mathilde Dubois Lafon.
Parution : jeudi 8 février 2018
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Le 30 août 2014, M.Y employé d’un hôtel, a été sexuellement agressé par M.X client de l’hôtel. Arrêté par les services de police en état d’ivresse il a été placé en garde à vue à 22h22 et a subi à 22h40 un contrôle d’imprégnation alcoolique qui a révélé un taux de 0,73 milligrammes d’alcool par litre d’air expiré. Placé en cellule de dégrisement, M.X s’est livré à une exhibition sexuelle.
Après avoir constaté « de visu et par un questionnement simple » que M.X avait retrouvé sa lucidité, l’officier de police judiciaire lui a notifié ses droits à 2h45, soit 4h après le test éthylométrique.

En première instance M.X a été condamné pour des chefs d’agression sexuelle et d’exhibition sexuelle. Le prévenu et le ministère public ont interjeté appel de cette décision mais la cour d’appel les a déboutés de leur demande.

En appel, M.X soulève une exception en nullité sur la base de la violation de l’article 63-1 de Code de procédure pénale. Il dénonce le manque de moyens mis en œuvre par l’officier de police judiciaire pour s’assurer à 2 heures 45 d’une suffisante lucidité à la lecture de ses droits et déclare que ses droits de gardé à vue lui ont été notifiés alors qu’il était encore en état d’ébriété, cet élément le privant selon lui de son droit à un procès équitable.

Mais la cour d’appel - qui n’a pas suivi la demande de M.X - s’est appuyée sur les mentions du procès-verbal de notification pour s’assurer qu’après 4 heures de dégrisement, son taux d’alcool était suffisamment bas pour que M.X soit lucide et comprenne ses droits. Les droits de M.X étant ainsi respectés, la cour d’appel considère que l’exception de nullité doit être rejetée.

M.X se pourvoit ensuite en cassation sur la base de l’article 593 du Code de procédure pénale au motif que la cour d’appel aurait omis de statuer sur l’exception de nullité soulevée en appel sur le fondement de l’article 63-1 du Code de procédure pénale.

La Cour de cassation rejette l’exception de nullité soulevée par M.X. et admet que la cour d’appel a justifié sa décision en s’appuyant sur les mentions du procès-verbal de notification attestant de la lucidité de M.X.

Par ailleurs, la Cour de cassation consacre dans sa décision que le fait d’omettre d’inscrire explicitement - dans le dispositif de l’arrêt - le rejet de la demande d’annulation d’un acte, ne prive pas l’arrêt de base légale, dès lors que ce rejet est motivé.

La notification des droits peut-elle légalement être différée sans porter atteinte à la validité de la procédure ?

Oui, la notification tardive de ses droits au gardé à vue peut être légale, mais sous réserve de la « circonstance insurmontable d’ébriété » (I), néanmoins, le fait que l’appréciation de la sortie de l’état d’ébriété - en vue de la notification des droits du gardé à vue - se fasse de visu par l’officier de police judiciaire est contestable (II).

I. La légalité de la notification tardive de ses droits au gardé à vue en raison de la « circonstance insurmontable d’ébriété »

En droit français il n’existe pas de textes se rapportant strictement à l’état d’ébriété. Aussi c’est la jurisprudence qui répond à cette question.

A. L’absence de disposition légale explicitement relative à l’état d’ébriété

L’arrêt est rendu au visa de l’article 63-1 du Code de procédure pénale, qui énumère les droits qui doivent être notifiés au gardé à vue.
« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63 ».

Ainsi l’article 63-1 dispose que le gardé à vue « doit être immédiatement informé » de ses droits. Néanmoins, une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation a admis dans le pourvoir numéro 94-81792 du 3 avril 1995 que la notification de ses droits au gardé à vue peut être différée en raison de « circonstances insurmontables d’ébriété » portant atteinte à la bonne compréhension de la notification des droits. Cette jurisprudence justifie que la notification des droits de M.X, en état d’ébriété, ait été différée.

L’article 63-1 a été modifié par la loi du 27 mai 2014 (entrée en vigueur le 2 juin 2014), soit avant le procès de M.X, pour conformer le droit français à la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
La directive prend en compte la vulnérabilité des gardés à vue (considérant 26 et article 3).
Néanmoins la loi française ne reprend pas ce terme de « vulnérabilité », mais précise les conditions dans lesquelles s’effectue la notification des droits des personnes sourdes, ou ne parlant pas français. Ainsi, la loi française ne dit rien sur l’ébriété ; c’est la jurisprudence qui règle cette question.

Le considérant 26 de la directive relève la nécessaire communication des informations et la compréhension de leur contenu ou le sens des informations dont il faut tenir compte en raison, par exemple, du jeune âge de la personne concernée, de son état mental, ou de son état physique.

L’article 3 de la directive, statuant sur le droit d’être informé de ses droits, emploie expressément le terme de vulnérabilité qui reste à définir.

Le droit français reprend sous le couvert de la vulnérabilité « la circonstance insurmontable d’ébriété ».

B. Une jurisprudence constante concernant la « circonstance insurmontable d’ébriété »

La Cour rappelle que "le demandeur ne saurait se faire un grief de l’omission, dans le dispositif de l’arrêt attaqué, du rejet de la demande d’annulation d’acte, dès lors que celle-ci résulte tant des motifs précités que de la condamnation intervenue".
Cette solution résulte de l’arrêt de la chambre criminelle du 6 décembre 2016, qui confirme qu’il n’y a pas de nullité de l’acte en cas de notification tardive relativement au temps nécessaire au retour à la sobriété d’un gardé à vue.

Néanmoins pour apprécier la lucidité du gardé à vue, et permettre de s’assurer de sa bonne compréhension à la lecture de ses droits, mais aussi pour assurer l’incontestabilité de la vérification de cette sobriété, l’examen devrait être concret et non hypothétique. Pourquoi ne pas remplacer la vérification visuelle - laissée à la libre appréciation d’un officier de police sans compétence médicale - par un deuxième test avec éthylomètre ?
Dans cet arrêt, la personne s’est certes déclarée apte à répondre aux questions. Mais une personne sous l’empire des effets de l’alcool peut-elle apprécier sa propre lucidité ? Comment ce ressenti pourrait-il être fiable ? Les conducteurs ivres sont nombreux à prendre le volant, persuadés de leurs capacités et de leurs réflexes. L’alcool est un puissant désinhibiteur qui altère les facultés et le jugement de ses consommateurs.

Cet arrêt apporte une précision largement contestable : l’officier de police judiciaire évalue lui-même, par son seul jugement, l’aptitude du gardé à vue à comprendre la notification de ses droits.

II. L’appréciation contestable par l’OPJ de la sortie de l’état d’ébriété en vue de la notification des droits du gardé à vue

La Cour de cassation s’est contentée des mentions du procès verbal pour reconnaître à l’officier de police judiciaire la justesse de son jugement relatif à la sobriété du gardé à vue. Mais dans le silence de la loi, le manque de dispositions relatives à l’appréciation de l’état d’ébriété rendant possible les jugements hypothétiques, fait naître un risque d’iniquité face à l’arbitraire et l’excessif pouvoir de l’OPJ.

A. La validation par la Cour de cassation de l’appréciation de l’état de sobriété par l’OPJ au regard des mentions du procès-verbal

L’OPJ procède à l’appréciation de l’état de sobriété du gardé à vue pour lui notifier ses droits. Mais alors même qu’il recourt à un test scientifique précis pour évaluer de façon fiable l’état d’ébriété de la personne au moment de son placement en garde à vue, la défense dénonce que l’ OPJ, se contente d’apprécier le retour à la sobriété que par une hypothétique appréciation de « visu » , d’où il conclut que la personne « paraît » lucide, pour en déduire sa bonne capacité à comprendre. La Cour de cassation estime quant à elle que « les mentions du PV de notification permettent de s’assurer que M. X... avait retrouvé sa lucidité et qu’il était en état de comprendre ses droits ». La Cour ne conteste pas la méthode d’évaluation de l’imprégnation alcoolique employée par l’OPJ.
Or les seules mentions d’un procès-verbal sauraient-elles constituer une preuve de la sobriété du gardé à vue ?

De plus ni le droit français, ni le droit européen, ne définissent clairement ce qu’est la vulnérabilité pas plus que les moyens pour l’établir. Dans ces conditions il est difficile de prévenir la violation du droit à un procès équitable. Si l’on peut déduire sans trop de doute l’existence d’un état d’ébriété, il est en revanche plus hasardeux d’établir avec certitude un état de non ébriété en l’absence d’éléments manifestes.
Aussi on ne pourrait incontestablement considérer que M.X a pleinement compris son placement en garde à vue et renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat en toute conscience, et en mesurant la portée de ce choix s’il était encore en état d’ébriété et donc en situation de vulnérabilité.
De ce fait il n’est pas scientifiquement possible d’affirmer que le jugement de M.X n’était pas altéré ni qu’il ne se trouvait plus en situation de vulnérabilité.

Or la loi N° 2011-392 du 14 avril 2011 qui a réformé la procédure de la garde à vue jugée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 30 juillet 2010 renforce un peu plus les droits du gardé à vue et de son avocat. Cette réforme qui autorise la présence de l’avocat dès le placement en garde à vue, vise à garantir le respect des droits de la défense.
Dès le lendemain, 15 avril 2011, 4 arrêts de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation (pourvois N°10-30.316, 10-30.313, 10-30.242, 10-17.049) ont statué sur la régularité des mesures de garde à vue au regard de l’article 6 § 1 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ; la CEDH avait consacré le droit à l’assistance effective d’un avocat dont la présence était immédiatement rendue obligatoire (avant même application de la Loi prévue au 1er juin 2011). La renonciation à un avocat pendant la garde à vue ne saurait par conséquent être définitive.
Depuis la réforme Cassation Criminelle du 14 décembre 2011, pourvoi N° 11-81329, ce droit est sans cesse réaffirmé et très récemment par un arrêt de la chambre criminelle du 5 novembre 2013, pourvoi N°13-82682 « toute personne placée en garde à vue, doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès qu’elle en fait la demande ».
La réforme de 2011 et de la jurisprudence qui en découle confirment que M.X - qui a renoncé à la présence d’un avocat sans que sa lucidité ne soit certaine – a probablement été privé d’un procès équitable. La défense avance que les éléments qui ont permis à l’OPJ d’apprécier sa sobriété et de l’attester étaient « hypothétiques ».

C’est pourquoi le pouvoir de jugement laissé à l’OPJ dans ce contexte est excessif et arbitraire.

B. Le risque d’excès de pouvoir et d’arbitraire de la justice dans le silence de la loi

Selon les propres termes de la défense, l’OPJ s’est basé sur des « motifs hypothétiques » pour décréter que M.X était lucide. Le risque de contestation de cette décision arbitraire est justifié, car ce manque de rigueur relatif à l’absence d’un examen sérieux prive les personnes de leur droit à un procès équitable au sens de l’article 63-1 du Code de procédure pénale.
La cour relève que le gardé à vue a bénéficié de 4 heures pour se désenivrer. Cette conclusion ne saurait constituer une preuve indiscutable. Pour apprécier le retour à la sobriété d’une personne ayant consommé de l’alcool ; il convient en tout premier lieu d’avoir une mesure de départ absolument fiable, à savoir un test sanguin relevant le taux d’alcoolémie.
En l’espèce, M.X n’a bénéficié que d’un test par éthylomètre qui ne fait pas référence absolue en la matière.
De plus, pour apprécier sans test le retour à la sobriété, seul un examen médical peut-être effectué en raison du fait qu’il est notamment nécessaire de s’enquérir du poids de la personne, de sa taille, de son âge, de son état hépatique, de son état d’hydratation et surtout de la prise de médicament associés ou de la prise d’autre toxiques.

En effet en matière d’imprégnation alcoolique la décroissance du taux d’alcoolémie dépend de ces facteurs : une mauvaise hydratation - susceptible d’être générée par la garde à vue elle-même - peut favoriser une élimination plus lente de l’alcool, tout comme la privation de nourriture et le défaut d’activité physique (les mouvements d’une personne en garde à vue sont très réduits).
Les médicaments peuvent ralentir la transformation de l’alcool par le foie. En outre, des médicaments associés à l’alcool augmentent leurs effets réciproques de nature à laisser perdurer un état de confusion.
Un test d’alcoolémie ne saurait relever les effets de tout autre produit. Certains produits seulement pourraient être dosés par des tests adaptés, car tous ne peuvent pas l’être.

Dans cette affaire, le comportement de M.X révèle que pendant son placement en cellule de dégrisement entre 22h40 et 2h45, son comportement était toujours très altéré, au point de se livrer - en présence de policier et dans l’enceinte même d’un commissariat - à une exhibition sexuelle.
Ce qui tend à laisser penser que l’affirmation de M.X quant à sa sensation d’ébriété était en effet fondée et durable. Cela appuie la thèse selon laquelle des éléments peuvent avoir constitué un obstacle à l’élimination de l’alcool.

La vulnérabilité est définie plus largement dans la directive européenne qu’en droit français où elle s’est limitée aux non voyants, aux malentendants, aux non francophones, et à l’ébriété.
En outre, le droit français ne prend pas en considération les effets qui suivent un état d’ébriété pourtant susceptibles de placer une personne en situation de vulnérabilité, telle que la « gueule de bois ».
Qu’en est-il de la reconnaissance de la vulnérabilité des personnes pourtant communément dites vulnérables telles que les sans domicile fixe, les toxicomanes, etc...et de leurs droits ?

Ne faudrait-il pas préciser alors avec plus d’exactitude ce que regroupe le terme de vulnérabilité et mettre à disposition les moyens de la déterminer ?

DUBOIS Mathilde