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Année lombarde : vers un resserrement du régime juridique en 2018 ? Par Jean-Simon Manoukian, Avocat.
Parution : lundi 12 février 2018
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L’année lombarde, en ce qu’elle conduit à une majoration discrète du taux d’intérêt par un calcul réel sur une année théorique de 360 jours, a d’abord été neutralisée par la jurisprudence au nom du TEG.
Reconnaissant -enfin- que le TEG n’a pas la nature d’un taux d’intérêt, la Chambre commerciale autorise l’année lombarde pour les emprunts professionnels et la 1ère Chambre civile l’interdit pour les emprunts de consommation.
L’année 2017 fut marquée par un certain mouvement des juridictions du fond très favorable aux consommateurs et s’attachant à la lettre de la clause de calcul sur 360 jours pour imposer le taux d’intérêt légal en lieu et place du taux d’intérêt contractuel.
Si l’occasion s’en présente, l’année 2018 verra probablement la 1ère Chambre civile restreindre l’application du taux d’intérêt légal aux clauses de calcul sur 360 jours aux seuls cas où l’emprunteur non averti démontre qu’elles ne sont pas mathématiquement équivalentes à un calcul sur une année civile.

Retour aux origines de la jurisprudence

L’intérêt sous tutelle du TEG
C’est au visa du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global que l’année lombarde fait son entrée dans la jurisprudence de la Cour de cassation sous les auspices de la Chambre commerciale dans un arrêt publié du 10 janvier 1995 pourvoi 91-21141 :

Vu l’article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global ;
Attendu que, pour décider que l’expert qu’il désignait devrait tenir compte de l’usage bancaire relatif à l’année de 360 jours pour calculer, à partir du solde du compte de la société Invitance au 10 septembre 1985, les découverts successifs jusqu’à la clôture du compte,
l’arrêt retient que le calcul des intérêts doit être fait sur 360 jours et non 365 jours, l’année bancaire n’étant que de 360 jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen-Age, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de 360, à la différence de celui de 365, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à 2 mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d’ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l’intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour 360 jours ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l’intérêt doit être déterminé par référence à l’année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours, la cour d’appel a violé ce texte ;

C’est dire que dans l’esprit d’alors le TEG a la nature d’un taux d’intérêt et qu’il doit se concevoir comme un taux d’intérêt global du crédit qui s’impose sur le taux d’intérêt.

Cette conception du TEG doit à loi du 28 décembre 1966 relative [...] aux prêts d’argent qui lui donne naissance car cette loi abroge et la loi du 3 septembre 1807 sur le taux d’intérêt de l’argent, et la loi du 12 janvier 1886 relative au taux de l’intérêt de l’argent, et la la loi du 7 avril 1900 sur le taux de l’intérêt légal de l’argent.

La Chambre commerciale le réaffirmera en 1997 [18 mars 1997 pourvoi 94-22216] sur la même espèce avec une motivation renforcée :

Vu l’article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global, pris pour l’application de la loi du 28 décembre 1966 ...
Attendu que, pour rejeter la demande de la société "La Résidence de la Princesse", l’arrêt retient qu’il résulte d’un usage qui trouve son origine en Lombardie, au moyen-âge ...
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte du texte susvisé d’ordre public et dès lors applicable à la perception d’intérêts postérieurs à sa date d’entrée en vigueur, que le taux annuel de l’intérêt doit être déterminé par référence à l’année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours, la cour d’appel a violé ce texte ;

Cette idée de taux d’intérêt global du crédit trouvera son apogée par la véritable mise du taux d’intérêt sous la tutelle du TEG dans un arrêt de la Chambre commerciale du 2 juillet 2002 pourvoi 00-20907 :

Vu l’article 1907, alinéa 2, du Code civil, ensemble l’article 4 de la loi du 28 décembre 1966 alors applicable, et l’article 2 du décret du 4 septembre 1985 ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société SERCA [...], l’arrêt retient [...] que les documents produits établissent que le taux des intérêts conventionnels appliqués a été régulièrement négocié [...] ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans avoir constaté que figurait dans la convention de crédit ou sur les relevés de compte adressés à la société SERCA l’indication du taux effectif global appliqué pour le calcul des intérêts portés au débit, rendant efficiente pour l’avenir la stipulation du taux de l’intérêt conventionnel, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

Par l’appoint de l’article 1907, soit l’exigence que le taux d’intérêt conventionnel soit fixé par écrit, la Chambre commerciale postule que l’intérêt ne procède pas de l’accord écrit des volontés mais de l’adhésion de l’emprunteur au TEG du crédit.

C’était aller trop loin pour deux raisons.

D’une part, l’article 1907 s’en trouve vidé de sa substance puisqu’il pose que l’intérêt ne peut être fixé que par la loi ou par la convention ;
D’autre part il n’est pas possible d’appliquer un TEG pour réaliser un calcul d’intérêts.

Schématiquement il existe deux relations distinctes :
D’une part la relation : intérêt <—> mode de calcul <—> taux d’intérêt ;
D’autre part la relation : TEG <—> intérêt + frais.

Cette conception du TEG comme constituant le taux d’intérêt global du crédit trouvera néanmoins quelques prolongements.

Dans une espèce non publiée [1] où le TEG avait bel et bien été stipulé dans la convention, la banque qui a calculé les intérêts sur une année de 360 jours est jugée fautive, soit parce que le taux d’intérêt n’a pas été corrigé du calcul sur 360 jours, soit parce que le taux d’intérêt n’a pas été appliqué, « de sorte qu’en aucun cas les exigences légales relatives à l’indication préalable et par écrit du taux effectif global n’avaient été respectées ».

La Chambre commerciale tiendra encore par deux fois le même raisonnement, avec la même motivation, dans deux espèces identiques : 17 janvier 2006 pourvoi 04-11100 publié, et 14 février 2006 pourvoi 04-11887 non publié.

La jurisprudence semblait établie, jusqu’au revirement de 2009.

Le taux d’intérêt s’émancipe du TEG
Des intérêts calculés sur une année bancaire de 360 jours et non sur une année civile sont validés par une cour d’appel. Les demandeurs au pourvoi articulèrent en conséquence leur moyen sur le double fondement de l’article 1907 du Code civil et la législation du TEG devenue L 313-1 s. et R 313-1 s. du Code de la consommation, en vain.

Par un arrêt publié de rejet du 24 mars 2009 pourvoi 08-12530, la Chambre commerciale abandonne le double visa de l’article 1907 du Code civil et la règlementation du TEG et revient à la liberté contractuelle du calcul de l’intérêt :

Mais attendu que, si le TEG doit être calculé sur la base de l’année civile, rien n’interdit aux parties de convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base ;
qu’ayant relevé qu’il était expressément mentionné dans l’acte de prêt que les intérêts conventionnels seront calculés sur la base de 360 jours, l’arrêt retient, à bon droit, que ces modalités, qui ont été librement convenues entre les parties, ne peuvent être remises en cause ;
qu’ainsi, la cour d’appel [...] a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais ce fut au tour de la 1ère Chambre de reprendre le double visa abandonné par la Chambre commerciale, et qui plus est par un arrêt de principe (!) publié du 19 juin 2013 pourvoi 12-16651 :

Vu l’article 1907, alinéa 2, du Code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du Code de la consommation ;
Attendu qu’en application combinée de ces textes, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile ;

La motivation est cette fois-ci plus fine, distingue bien le taux d’intérêt de son mode de calcul et n’encourt pas les griefs de celle de l’arrêt du 2 juillet 2002 précité de sorte que le paradoxe n’est que superficiel.

Par la reprise du double visa « 1907/TEG » abandonné dans le revirement de la Chambre commerciale en 2009, la 1ère Chambre civile s’inscrit pourtant dans la continuité de ce revirement de 2009.

La relation : « taux d’intérêt <—> mode de calcul <—> intérêt » est dorénavant intégrée par la Cour :
Si le mode de calcul n’est pas valable, le taux d’intérêt conventionnel produit un intérêt légal, ce qui donne tout son poids au double visa « 1907/TEG » :
Le principe de l’intérêt fonde sa validité sur l’article 1907 du Code civil,
le mode de calcul de l’intérêt des emprunts de consommation découle de l’ordre public issu de la législation sur le TEG,
le mode de calcul de l’intérêt des emprunts professionnels relève de l’ancien article 1134 du Code civil dernièrement codifié sous 1103 et 1193.

L’arrêt de principe de la 1ère Chambre du 19 juin 2013 sera confirmé par un second arrêt publié du 17 juin 2015 pourvoi 14-14326 avec reprise du double visa « 1907/TEG ».

Les juridictions du fond suivront alors deux orientations opposées : la lettre ou le chiffre.

La lettre ou le chiffre ?

Un courant de fond [2] sanctionnera toute clause d’un emprunt de consommation libellant que les intérêts sont calculés sur une année de 360 jours, pareille clause étant en soi illégale.

Un autre courant [3] ne s’arrêtera pas au libellé de la clause et vérifiera si le mode de calcul est ou non équivalent à celui sur une année civile.

Les deux courants de la Cour d’appel de Paris dans sa jurisprudence 2017
Deux pôles de la cour d’appel de Paris pratiquent en 2017 ces jurisprudences antagonistes sur la clause de calcul sur une année de 360 jours : le pôle 4 « immobilier, environnement et consommation » favorable à la lettre, et le pôle 5 « Vie économique » favorable au chiffre.

La jurisprudence du pôle 4

Cinq arrêts [4] ont été rendus en 2017 par le pôle 4 sous le double visa « 1907/TEG » au motif substantiel suivant :

La stipulation concernant le taux conventionnel qui vise une période de 360 jours, se trouve frappée de nullité, peu important que la banque poursuivante soutienne l’absence de surcoût d’intérêts ou « l’équivalence des calculs » au motif que les intérêts contractuels sont dans les deux cas, 360 ou 365 jours, calculés sur une base de 1/12ème lorsque le contrat précise dans ses conditions générales que les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû, au taux fixé au conditions particulières sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, car c’est la clause elle-même qui doit être déclarée nulle, emportant substitution de l’intérêt légal.

La Cour expliquera dans trois espèces que l’emprunteur n’a pas été mis en mesure au moment de la conclusion du contrat d’évaluer le surcoût susceptible d’en résulter. Cet argument, qui semble contre productif dès lors que la clause ne génère réellement aucun surcoût, a été abandonné par le pôle 4 en cours d’année 2017, sans pour autant qu’elle ne revienne sur la nullité de principe.

La jurisprudence du pôle 5

Quatre arrêts [5] ont été rendus en 2017 par le pôle 5 sous le double visa « 1907/TEG » au motif substantiel suivant :

Aux termes de l’article R313-1 du Code de la consommation, les intérêts sont calculés à partir d’une année de 365 jours et de 12 mois normalisés de 30,41666 jours ce qui aboutit au même résultat mathématique qu’en retenant une année de 360 jours et 12 mois de 30 jours, l’emprunteur ne démontrant pas que la banque n’aurait pas calculé ses intérêts sur la base d’une année civile.

Deux arrêts de la 1ère chambre civile suggèrent une victoire du chiffre sur la lettre
Il s’agit des arrêts du 15 juin 2016 pourvoi 15-16498 et 8 février 2017 pourvoi 16-11625.

Dans la première espèce, mêlant année lombarde et TEG erroné, une Cour d’appel avait ordonné l’application du taux légal aux prêts querellés, au motif que les contrats mentionnent :

  1. un intérêt calculé selon des modalités imprécises puisque « variable en fonction de l’indice Crédit mutuel à chaque date anniversaire du premier déblocage des fonds » ;
  2. une période de 360 jours au lieu de 365 jours, ce qu’un emprunteur non averti ne peut identifier comme une irrégularité affectant le taux effectif global.

La 1ère Chambre civile casse l’arrêt pour manque de base légale, la cour d’appel ayant statué sans rechercher, comme l’y invitait la banque,

  1. si le taux effectif global de chacun des prêts litigieux n’avait pas été calculé en fonction d’un mois normalisé de 30,41666 jours rapporté à la durée de l’année civile,
  2. ni mieux préciser en quoi la référence au taux de base bancaire rendait imprécises les modalités de calcul du taux d’intérêt variable stipulé dans les prêts.

Dans la seconde espèce, mêlant aussi année lombarde et TEG erroné, une cour d’appel avait déclaré prescrite l’action des emprunteurs au motif que la seule lecture de l’offre de prêt leurs permettait de déceler par eux-mêmes les irrégularités liées à la non-intégration de certains frais.

La 1ère Chambre civile casse encore l’arrêt pour manque de base légale, la cour d’appel ayant statué sans rechercher, comme elle y était invitée, si les emprunteurs étaient effectivement en mesure de déceler, par eux-mêmes, à la lecture de l’acte de prêt, l’erreur affectant le calcul des intérêts sur une autre base que l’année civile.

Il s’évince de la première espèce que le juge du fond ne peut, pour ordonner l’application du taux légal, se contenter de constater la présence d’une clause de 360 jours et de modalités imprécises de calcul sans caractériser en quoi le mode de calcul n’est pas valable,

et de la seconde que l’emprunteur non averti est capable de se rendre compte par lui même qu’une clause de calcul sur une année décomposée en 12 mensualités de 30 jours est équivalente à une clause de calcul sur une année civile.

Ces deux arrêt plaident clairement pour une victoire du chiffre sur la lettre.

Il est probable qu’en matière d’emprunts de consommation, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation valide dans un proche avenir les clauses de calcul d’intérêt stipulées sur une année de 360 jours dès lors qu’elles apparaissent équivalentes à un calcul sur une année civile, l’emprunteur devant apporter la preuve contraire pour prétendre au bénéfice du taux légal.

Jean-Simon Manoukian, avocat au barreau de Nantes, [->http://teg-taeg-jsmanoukian.com]

[1Chambre commerciale 3 mars 2004 pourvoi 01-10225

[2CA Grenoble : 09/12/2014 n° 14/03199 ;CA Paris:14/09/2017, n° 16/25687

[3CA Douai : 02/03/2017 n° 16/01335 ;TGI Paris : 09/02/2017 n° 14/14899 ;CA Aix-en-Provence : 29/06/2017 n° 15/21846 ;CA Montpellier : 13/04/2016 n° 14/02145 ;CA Paris:15/09/2017, n° 16/01585

[412/01/2017, n° 16/17800 ; 23/03/2017, n° 16/14662 ; 22/06/2017, n° 17/01330 ; 14/09/2017, n° 16/25687 ; 21/12/2017, n° 17/00718

[517-11-2017, n° 16/09224 ; 06-10-2017, n° 16/04945 ;27/01/2017, n° 15/00721 ; 13/01/2017, n° 15/15607

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