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Les mesures fiscales du projet de loi « Confiance ». Par Alexandre Peron, Legal counsel.
Parution : mardi 13 février 2018
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Le 30 janvier 2018, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance. Si l’intitulé laisse sceptique, la loi se veut cossue et comporte notamment plusieurs mesures fiscales. La date d’examen du projet de loi par les sénateurs n’est pas encore connue, mais il est d’ores et déjà possible de dresser un premier état des lieux des mesures fiscales.

En préambule, l’intitulé du projet de loi est quelque peu déconcertant. Que faut-il comprendre par « un Etat au service d’une société de confiance » ?

Stricto sensu, le terme « confiance » fait référence à l’idée qu’on peut se fier à quelqu’un ou à quelque chose. Depuis la fin du modèle théologico-politique qui pensait la confiance en termes de foi en Dieu –, nombreux sont ceux qui préfèrent concevoir la confiance comme un mécanisme de réduction des risques, ou encore comme le fruit d’un calcul rationnel comme le précise Michela Marzano, Philosophe et chercheuse au CNRS.

Dès lors, l’intitulé du projet de loi n’est peut-être pas anodin, et est justement le fruit d’un calcul rationnel par le gouvernement, et notamment dans le domaine très épineux de la fiscalité.
Et si les politiques essayaient de nous faire comprendre qu’ils ont besoin d’une certaine forme de coopération de la part des administrés afin de lever l’impôt ? Une sorte de maquillage mettant en beauté une volonté de dire « l’impôt est là et doit être levé, mais nous vous faisons confiance et vous avez également des droits », dont notamment celui de commettre des erreurs, et ceci peut être afin d’éviter tout risque de « phobie administrative ? ».

Le gouvernement se place dès lors en situation de dépendance accentuée et assumée, ce qui n’est pas neutre. En la matière, si la dépendance de l’Etat est indispensable, elle n’en demeure pas moins risquée. La dépendance permet bien entendu de fédérer et d’envisager une France œuvrant aux côtés du pouvoir législatif mais aussi du pouvoir exécutif, dans un but unique : l’adhésion sociale au pacte républicain. Cette même dépendance, je le disais, est risquée car elle implique forcément que la personne dépositaire de la confiance puisse nous trahir délibérément.

C’est également sans doute pour cela que le projet de loi, envisage sur le volet fiscalité, la notion de dépendance de l’administration fiscale face aux contribuables, de manière extrêmement relative.
Ainsi, ce sont quatre points majeurs que nous pouvons d’ors et déjà mettre en évidence, sous toute réserve puisque comme indiqué supra, le texte doit encore être examiné par le Sénat.

1/ Un droit à l’erreur renforcé.

Si le droit à l’erreur n’est pas une notion nouvelle en tant que telle, le projet de loi ambitionne ici de consacrer ce droit en l’érigeant en principe en complétant les mesures existantes. Dès lors, il serait possible de :

- Régulariser de manière spontanée les déclarations de bonne foi qui ne comptabiliseraient pas l’ensemble des produits sujets à imposition. Ainsi, cela permettrait au contribuable de voir l’intérêt de retard applicable réduit de moitié, à condition toutefois d’établir un acte rectificatif avant l’expiration du délai de reprise, et que ce dernier accepte de payer les droits dus au moment de la déclaration, ou avant la date limite de paiement ou bien encore en respectant un plan de règlement accepté par le comptable public ;

- Régulariser en cours de contrôle, les erreurs ou oublis de déclaration. Certes cela est déjà prévu dans le cas très précis prévu à l’article L 62 du Livre des Procédures Fiscales (LPF), mais cela serait également rendu possible à l’ensemble des procédures de contrôle ;

- Régulariser l’absence de production de documents ou leur caractère inexact ou incomplet. Le projet de loi viendrait ici légaliser une position d’une partie de la doctrine administrative qui consiste à admettre la non application de l’amende prévue à l’article 240 du Code Général des Impôts (CGI), et cela en cas de régularisation des déclarations des trois années précédentes, également en cours d’un éventuel contrôle fiscal. Bien entendu, ces rectifications devront intervenir dans le cadre de la déclaration en cours et donc dans le respect des délais légaux, et à condition que l’administration fiscale puisse être en mesure de vérifier les documents justificatifs produits dans le cadre de la rectification. Enfin, il faut noter, que ce principe serait étendu aux personnes morales dans le respect des principes de l’article 1763, I du CGI.

2/ L’obtention d’un rescrit lors d’une procédure de vérification.

Le projet viendrait légaliser ce qui est déjà admis par la doctrine administrative, à savoir la prise de position du vérificateur sur la situation de fait, dans le cadre d’une vérification de comptabilité. Concernant la prise de position sur les textes applicables, cela serait également légaliser pour l’ensemble des contribuables faisant l’objet d’une vérification de leur situation fiscale personnelle.

3/ Le dispositif expérimentale de la « relation de confiance » pourrait être gravé dans le marbre et ce par voie d’ordonnance

En effet, depuis 2013, l’administration fiscale expérimente un dispositif permettant aux entreprises de demander en amont de tout contrôle ou vérification, si les opérations effectuées par celles-ci sont conformes à la loi fiscale applicable. Ainsi ce dispositif pourrait être légalisé par voie d’ordonnance par le gouvernement.

4/ La possibilité d’un recours hiérarchique en cas de contrôle sur pièces.

Aujourd’hui, en cas de vérification de comptabilité, le contribuable a la possibilité d’exercer un recours hiérarchique si lors du contrôle, des difficultés surgissent notamment avec le vérificateur. Le projet de loi envisage d’étendre cette possibilité de recours dans les cas de contrôle sur pièces. Toutefois, il faut noter que ce recours serait rendu possible après notification d’une proposition de rectification par l’administration et détail important le recours devrait s’exercer dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux et suspendrait visiblement le cours de ce délai.

Le texte doit encore être examiné par les sénateurs, il faut donc s’attendre à ce que des modifications soient apportées, en espérant toutefois que les débats parlementaires ne soient pas sans fin sur ce volet fiscal, qui s’il entre dans le cadre du projet de loi confiance, dont le terme peut être sujet à une certaine prose philosophique, il a au moins le mérite d’apporter une extension de la souplesse de l’administration fiscale dans certains domaines pouvant être perçus comme étant rigides de prime abord.

Alexandre Peron Legal Counsel