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Recours successifs aux CDD pour remplacement : la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence. Par Mathieu Lajoinie, Avocat.
Parution : mercredi 21 février 2018
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Toute entreprise se retrouve nécessairement confrontée à des périodes de congés, absences pour diverses causes ponctuelles, qui impliquent un remplacement des salariés concernés. C’est donc naturellement que la Cour de cassation est venue assouplir sa jurisprudence dans un arrêt du 14 février 2018, aux termes duquel elle précise que « le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux CDD pour faire face à un besoin structurel de main-d’œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

Selon l’article L. 1242-1 du Code du travail, le CDD, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Par ailleurs, un CDD peut être conclu pour le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail (article L. 1242-2 du code du travail). Enfin, selon l’article L. 1244-1 du Code du travail, il est possible de conclure des contrats successifs sans interruption avec le même salarié en cas de remplacement.

Pour autant, la jurisprudence constante de la chambre sociale considère qu’un employeur ne peut recourir systématiquement aux CDD de remplacement pour des besoins structurels de main-d’œuvre.

En application d’un arrêt de 2012 de la CJUE, la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence dans le cas particulier des employeurs qui, en raison des effectifs de leur entreprise, doivent de manière récurrente, voire permanente, pourvoir au remplacement de salariés absents et précise que cette situation, à elle seule, ne permet pas de caractériser une situation d’emploi permanent entraînant la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée.

En l’espèce, une salariée est engagée en qualité d’agent de service en contrat à durée déterminée par une association du 17 au 30 juin 2010 afin de pourvoir au remplacement d’une personne en congé maladie. Après avoir conclu deux contrats de remplacement du 8 au 29 juillet 2010 puis du 1er au 29 août 2010, elle est à nouveau sollicitée en avril 2011 et conclut entre le 26 avril 2011 et le 27 février 2014, 104 contrats à durée déterminée. Elle saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification du contrat conclu le 24 avril 2011 en un contrat à durée indéterminée.

La cour d’appel donne raison à la salariée en retenant qu’une entreprise telle que l’association visée, qui dispose d’un nombre de salariés conséquent, est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles. En conséquence, poursuit la cour, dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituent un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l’association, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a procédé à la requalification de ces contrats même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l’absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée).

La Cour de cassation ne partage pas cette analyse en se fondant sur l’arrêt Kücük de la CJUE de 2012 concernant la directive sur le travail à durée déterminée (CJUE, 26 janvier 2012, Bianca Kücük c/Land Nordrhein-Westfalen, n C-586/o 10).

La chambre sociale considère, sur la base de cet arrêt, que « le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main-d’œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

La Cour de cassation conclut donc que les motifs retenus par la cour d’appel étaient « insuffisants pour caractériser au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l’association, que ces contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’association ».

Cass. soc., 14 février 2018, n° 16-17.966, publié.

Mathieu Lajoinie Avocat au barreau de Paris www.avocat-lajoinie.fr contact@avocat-lajoinie.fr
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