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Rémunération variable et clause d’objectifs : un bon système de rémunération doit être facilement compréhensible ! Par Sabine Saint Sans et François-Pierre Lani, Avocats
Parution : jeudi 27 septembre 2007
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La politique de rémunération est un levier essentiel de l’entreprise pour améliorer la productivité des salariés. A la rémunération directe qui peut se décomposer en salaire de base (partie fixe), salaire de performance ou bonus (partie variable) et diverses primes, peuvent s’ajouter des périphériques d’ordre collectif comme l’intéressement, la participation financière et le plan d’épargne. Un bon système de rémunération doit être, avant tout, facilement compréhensible et concilier des impératifs aussi divers que l’équité sociale, la bonne gestion de l’entreprise et les forces du marché.

La clause fixant des objectifs à atteindre établit un lien entre la rémunération et la performance individuelle. A cet égard, elle peut être conçue comme un outil pour motiver, impliquer et fidéliser les salariés. Au-delà des enjeux, les parties doivent en appréhender toutes les implications juridiques. Comment mettre en place la rémunération variable : faut-il la contractualiser ou peut-on l’imposer unilatéralement au salarié ? Quels sont les critères conditionnant sa validité ? La clause d’objectifs a-t-elle pour effet d’assigner au salarié une obligation de moyen ou une obligation de résultat dont le non-respect serait sanctionné par un licenciement ? Dans le silence de la Loi, il est revenu à la jurisprudence le soin de définir, par touches successives, des lignes directrices.

1 - Conditions de validité et fixation des objectifs

A - Critères de validité

Pour être valable, une telle clause doit fixer des objectifs raisonnables, dans le sens où ils doivent être réalistes et réalisables, compte tenu, de première part, de la situation économique du secteur professionnel dans lequel intervient le salarié, de deuxième part, du niveau de compétence de ce dernier (1).

Les critères doivent être objectifs, suffisamment précis et reposer sur des éléments facilement vérifiables pour ne pas dépendre de la seule volonté de l’employeur (prohibition des clauses potestatives).

B - Degré de précision de la clause

Les parties peuvent être plus ou moins précises dans la définition de la variabilité de la rémunération. Elles peuvent avoir défini à l’avance, non seulement le mode de variation mais aussi, le fait générateur de la variation et le pourcentage de cette variation. A l’inverse, elles peuvent aussi prévoir d’en déterminer le montant par voie d’accords périodiques. Mais une clause ne peut réserver le droit à l’employeur de modifier à tout moment ou en début d’année les modalités de la rémunération variable.

II - Les modes de détermination des objectifs : une évolution jurisprudentielle justifiée passant de la contractualisation obligatoire à la possible détermination unilatérale de l’employeur

A - L’évolution jurisprudentielle

Précédemment, la contractualisation préalable des objectifs était la seule possibilité pour l’employeur de les opposer au salarié. Un arrêt rendu le 18 janvier 2000 a illustré cette jurisprudence constante. Selon la Cour de cassation, le licenciement d’une salariée cueilleuse de champignons en raison d’un rendement médiocre au-dessous des performances raisonnablement attendus était sans cause réelle sérieuse, faute pour cette dernière d’avoir négocié sa cadence de rendement (2).

Cette jurisprudence visait à éviter deux écueils : que l’employeur se réserve la faculté d’agir à tout moment sur la partie variable du salaire, en changeant les taux et les bases de ce variable et qu’il ait ensuite beau jeu de licencier du personnel pour résultat non atteint.

Seulement, l’effet pervers de cette contractualisation a été de mener le débat systématiquement sur le terrain de la modification du contrat de travail, le « tout-contractuel », ce qui aboutissait à apporter de la rigidité là où la rémunération variable devait rester un outil de flexibilité.

La Cour de cassation a donc révisé sa position dans un arrêt du 14 novembre 2000 (3) : « Lorsque les objectifs sont définis, que ce soit ou non par le contrat, le juge doit rechercher s’ils sont réalistes et si le salarié est en faute de ne pas les avoir atteints ».

Restait à franchir un dernier pas dans un arrêt du 22 mai 2001 (4) :« Les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction ».

Désormais, la contractualisation des objectifs n’est plus la seule possibilité pour l’employeur de les opposer au salarié. La fixation des objectifs peut aussi relever du pouvoir de direction de l’employeur. De l’aveu du conseiller doyen Waquet, la notion d’objectifs relève en effet des choix de gestion du chef d’entreprise. Il est seul habilité à adapter les performances du salarié à la situation du marché.

B - Le bien fondé de cette solution

La contractualisation des objectifs impose à l’employeur de recueillir l’accord du salarié pour toute modification en cours d’exécution du contrat (conséquence du célèbre arrêt Raquin). Se profilait alors l’inquiétude d’un possible refus du salarié et des effets d’un tel refus. Sur le terrain de la modification du contrat de travail, le raisonnement conduit, en effet, à considérer le refus comme légitime. L’employeur entendant maintenir sa position n’avait d’autre choix que d’engager une procédure de licenciement pour un motif nécessairement non inhérent à la personne. Se posait alors le problème épineux de déterminer la cause justificative d’un licenciement pour motif économique. Autant dire qu’il n’était pas évident que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse compte tenu de l’appréciation restrictive que retient la Cour de cassation des motifs économiques.

Etant désormais admis que les objectifs relèvent aussi du pouvoir de direction de l’employeur, tout changement dans le niveau des objectifs, à défaut d’être défini dans le contrat, s’impose au salarié. Le refus fautif de ce dernier l’exposera au risque d’un licenciement présentant, cette fois-ci, un caractère disciplinaire.

Mais l’articulation n’est pas dans la pratique aussi simple qu’il n’y paraît. La rémunération étant un élément essentiel du contrat de travail, une distinction demeure entre la définition des objectifs (nature et critères, autrement dit la règle du jeu) qui reste dans la sphère contractuelle et le niveau des objectifs qui peut relever du pouvoir de décision de l’employeur.

III - Le non-respect des objectifs : peut-on licencier ?

A - L’inopposabilité des clauses de résiliation automatique

Lorsque l’employeur envisage de faire peser sur le salarié une obligation d’atteinte des objectifs, se pose la question de la force obligatoire de la clause de résiliation de plein droit du contrat assortissant l’insuffisance de résultats. La non-atteinte des objectifs constitue-t-elle automatiquement une cause réelle et sérieuse de licenciement en vertu du principe de la force obligatoire du contrat ?
De telles clauses sont aujourd’hui condamnées par la Cour de cassation, ne serait-ce qu’au motif qu’elles privent en définitive le juge de tout pouvoir de contrôle de l’existence d’une cause réelle et sérieux du licenciement (5), ce qui est contraire aux dispositions de l’article L.122-14-3 du Code du travail.

B - Le contrôle judiciaire approfondi des objectifs

Pour éviter tout licenciement arbitraire et dépendant de l’appréciation subjective de l’employeur, la Cour de cassation invite clairement les juges du fond à vérifier si les objectifs sont raisonnables ou réalistes et compatibles avec le marché. Il s’agit de vérifier le réalisme des objectifs pas seulement au moment de leur fixation mais aussi lors du licenciement. A cet égard, le temps, constitue un premier indice d’appréciation : l’évolution des objectifs dans le temps, le délai imparti pour les réaliser. De même la comparaison des résultats obtenus avec les performances des collègues (6). Le juge peut aussi se convertir en expert économique et tenir compte de facteurs extérieurs aux parties, telle la situation économique et son évolution en cours d’exécution de la cause. Il s’agit de déterminer si la non-atteinte des objectifs est imputable au salarié, résultant le cas échéant soit d’une insuffisance professionnelle, soit de carences fautives (7). Le juge est seul arbitre, in fine, de l’opportunité de ce type de licenciement et de sa proportionnalité au regard des motifs invoqués (8).

François-Pierre Lani, Avocat associés

Sabine Saint Sans, Avocat

Derriennic Associés

(1) Cass.soc. 13 mars 2001, BC V n°86

(2) Cass.soc.18 janv.2000 : JSL, n°52-12 du 22 février 2000, p.23

(3) Cass.soc.14 nov. 2000 : RJS 1/2001 n°22

(4) Cass.soc.22 mai 2001 : JSL n°90 p.6

(5) Cass.soc.18 nov.1998 :RJS 1/99 n°22

(6) Cass.soc. 6 janv.1999 : RJS 2/99 n°173

(7) CA Orléans 19 mai 2005, n°314105, n°Jurisdata 2005-289641

(8) CA Paris 17 novembre 2004, n°348000 n°Jurisdata 2004-263654