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DSP2 : fondement d’un revirement jurisprudentiel en matière de responsabilité en cas de mauvaise exécution d’un virement bancaire ? Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : lundi 26 février 2018
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La Directive sur les services de paiements, autrement appelée DSP2, a plongé la place bancaire dans un émoi sans précédent. Depuis le 13 janvier 2018, la majorité des dispositions de la directive sont entrées en application en France. Le projet de loi de ratification de l’ordonnance n°2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive n’a pas encore été entériné.
C’est dans ce contexte, que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 21 janvier 2018, faisant application directe du nouvel article L 133-21 du Code monétaire et financier (CMF), issu de la transposition de la directive européenne.

Dans cet arrêt inédit, la chambre commerciale a décidé que la banque du bénéficiaire d’un virement n’avait pas à vérifier la concordance entre l’identifiant unique de virement dont elle était réceptrice et le numéro de compte du bénéficiaire désigné.

L’enjeu qui apparait ici est évidement la question de la responsabilité des banquiers notamment au regard des opérations de virement. Cet enjeu tend à évoluer en fonction des circonstances et si nous nous en referons à cet arrêt qui ressemble bel et bien à un revirement de jurisprudence, la DSP2 devrait apporter son lot de bouleversements.

Avant toute chose, il est important de revenir aux fondamentaux. Ainsi, un virement consiste en un jeu d’écritures, avec une double inscription : au débit d’un compte et corrélativement au crédit d’un autre compte. C’est un ordre « simple » donné par le titulaire du compte à son banquier, qui va déclencher le jeu d’écriture.
Dès que le banquier effectue le virement, un transfert de fonds s’opère, ce qui suppose donc l’existence de deux comptes.

Il faut noter que tant la doctrine, que la jurisprudence, analysent l’ordre de virement comme un mandat, donné par le titulaire du compte à son banquier de débiter son compte et de créditer le compte du bénéficiaire.

Lorsque le compte du bénéficiaire n’est pas domicilié dans la même banque que le compte du donneur d’ordre, se posent alors plusieurs questions juridiques dont notamment celui de savoir quelle est la responsabilité du banquier destinataire si le virement ne parvient pas à son client bénéficiaire ?

Jusqu’alors, il était possible de considérer que si deux banquiers intervenaient, le banquier du bénéficiaire du virement avait une double qualité. Il était mandataire de son client pour le compte duquel il reçoit les fonds ; et mandataire substitué du banquier du donneur d’ordre qui le charge d’inscrire le montant de la somme virée au crédit du compte du bénéficiaire.

Il en résultait que les dispositions de l’article 1994 du Code civil trouvaient à s’appliquer. Ainsi, le banquier pouvait être tenu responsable dans certains cas ou les fonds virés ne parvenaient pas sur le compte du client bénéficiaire.

Et ce fut notamment le cas dans un arrêt récent de la Cour de cassation (Chambre commerciale 02/11/2016, n° 15-12.325), ou les juges du droit avaient jugé que la banque réceptionnaire des fonds transférés par virement ne pouvait pas se borner à effectuer un traitement automatique de ce virement, afin d’en affecter les fonds au client bénéficiaire. Il est précisé que la banque aurait dû vérifier le nom du bénéficiaire associé au numéro de compte sur lequel le donneur d’ordre avait ordonné à sa banque d’effectuer le virement, d’autant plus que cette information était inclue dans les informations transmises par le donneur d’ordre.

Avec la DSP 2 et l’introduction du nouvel article L 133-21 dans le CMF, la position de la chambre commerciale vient de changer radicalement. En effet, à peine dix jours après l’entrée en application des nouvelles dispositions de la directrice en France, la Haute cour s’est saisit du nouvel article, en réalisant ce qui ressemble véritablement à un revirement de jurisprudence fondé sur les dispositions du nouveau texte.

L’article L 133-21 du CMF dispose que « un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique.

Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement. […] Si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement. »

Dès lors, l’avancée est de taille puisque le donneur d’ordre, s’il a fourni un identifiant inexact, cela sera de sa seule responsabilité et de la responsabilité éventuelle de sa banque, dans la mesure ou la banque réceptionnaire n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément aux coordonnées ou à l’identifiant fournit par le donneur d’ordre.

C’est notamment ce qu’a décidé la chambre commerciale dans son arrêt du 24/01/2018 (n° 16-22.336). En l’espèce, les juges ont en effet estimé que la banque réceptionnaire ne pouvait être tenue responsable de la mauvaise exécution du virement si l’identifiant unique fourni par le donneur d’ordre à sa banque et transmis par celle-ci à la banque du bénéficiaire désigné, est erroné. L’argumentaire repose précisément sur le deuxième alinéa du nouvel article L 133-21.

Ce revirement est probablement annonciateur d’autres solutions inédites à venir dans la mesure où, le dernier alinéa de l’article L 133-21 va encore plus loin puisqu’il sous-entend que même en présence d’informations complémentaires à l’identifiant unique du client, le prestataire de paiement n’est tenu que de l’exécution de l’opération de paiement, ce qui de facto le libère du devoir de vigilance et de « vérification » qui avait été développé par la jurisprudence jusqu’alors.

Dans le cadre de la DSP 2 et de sa transposition, il faut s’attendre à d’autres mouvements jurisprudentiels car si les principales dispositions de la directive sont entrées en application depuis janvier 2018, les dispositions relatives à la sécurité des opérations comme le principe d’authentification forte du client par exemple, n’entreront en vigueur qu’à l’été 2019.

Alexandre Peron Legal Counsel
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