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Arbitrage : le juge d’appui étatique n’est pas le gardien de l’application du règlement d’arbitrage. Par Olivier Vibert, Avocat.
Parution : mardi 27 février 2018
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En matière d’arbitrage international, le juge d’appui de la procédure arbitrale est le président du tribunal de grande instance de Paris lorsque l’une des parties est exposée à un risque de déni de justice.
Le juge d’appui n’est pas investi d’une compétence générale pour trancher tous les litiges survenant au cours de la procédure d’arbitrage. Il n’est compétent que pour pourvoir, à titre supplétif, à la constitution d’un tribunal arbitral en cas de risque de déni de justice.

Le juge d’appui n’a pas compétence pour statuer sur un litige relatif à l’exécution fautive, par une institution d’arbitrage, du contrat d’organisation de l’arbitrage. Ce débat est de la compétence de la juridiction de droit commun.
Cour de cassation, chambre civile 1, 13 décembre 2017, n°16-22131

Un litige nait entre l’Etat du Cameroun et une société belge au sujet d’un contrat d’affermage d’une zone protégée. Le contrat est rompu.

La Société saisi la Chambre de commerce internationale (CCI) d’une demande d’arbitrage.

Dans le cadre de la procédure arbitrale, un complément de provision est demandé par la CCI. Ce complément de provision n’est pas payé par la Société Belge.

La CCI fait alors application de son règlement et plus précisément de l’article 37 6.
« Article 37 – Provision pour frais de l’arbitrage
(…) 6. Lorsqu’une demande de provision n’est pas satisfaite, le Secrétaire général peut, après consultation du tribunal arbitral, l’inviter à suspendre ses activités et fixer un délai qui ne saurait être inférieur à quinze jours, à l’expiration duquel les demandes auxquelles correspond cette provision seront considérées comme retirées. Si la partie concernée entend s’opposer à cette mesure, il lui appartient de demander, dans le délai ci-dessus, que la question soit tranchée par la Cour. Un tel retrait ne prive pas la partie concernée du droit de réintroduire ultérieurement la même demande dans une autre procédure.
 »

La CCI constatant l’absence de paiement de la provision, considère que les demandes sont retirées. Elle demande au Tribunal arbitral de suspendre ses activités.

La Société belge estime que la suspension par le tribunal arbitral de ses activités constitue un déni de justice. La société exerce alors un recours devant le président du tribunal de grande instance de Paris conformément à l’article 1505 du Code de procédure civile.

Le président du tribunal de grande instance de Paris est saisi en qualité de juge d’appui du tribunal arbitral.

Le rôle du juge d’appui est principalement de trancher tout différend lié à la constitution du tribunal arbitral, à la désignation d’un arbitre, à l’empêchement d’un arbitre ou à sa révocation (articles 1451 à 1460 du Code de procédure civile applicables à l’arbitrage interne mais également en matière d’arbitrage international).

Le président du tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance, enjoint à la CCI de rétablir les demandes et invite le tribunal à reprendre ses activités.

Le Cameroun fait appel de cette décision.

La cour d’appel (CA PARIS Pôle 1 - Chambre 1, 24 MAI 2016, RG n°15/23553) annule l’ordonnance. La cour d’appel estime que le juge d’appui ne pouvait se substituer au centre d’arbitrage pour appliquer le règlement arbitral. La Cour estime que le juge de première instance avait excédé ses pouvoirs.

« le juge d’appui a analysé les causes d’alourdissement des coûts de la procédure arbitrale, qu’il s’est prononcé sur le bien-fondé de la provision complémentaire, ainsi que sur les conditions d’application de l’article 30 du règlement permettant à la C.C.I de fixer des provisions séparées ; qu’il a déduit de ces circonstances que les décisions du centre d’arbitrage, compte tenu de la situation financière de la demanderesse, portaient atteinte au droit d’accès au juge ;

Mais considérant qu’il incombe à une partie, qui se plaint d’une exécution fautive par une institution d’arbitrage du contrat d’organisation de l’arbitrage, de saisir, non le juge d’appui statuant par ordonnance insusceptible de recours, mais le juge de droit commun des contrats ; que l’ordonnance entreprise par laquelle, contre la convention des parties, le juge d’appui se substitue aux organes du centre d’arbitrage dans l’interprétation de son règlement, censure leurs décisions et leur enjoint d’en adopter d’autres, est entachée d’excès de pouvoir ;  »

La Cour de cassation est saisie de cette question. Elle est donc interrogée sur l’étendue du pouvoir du juge d’appui et son degré d’immixtion dans le contrat d’organisation de l’arbitrage.
La Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel de Paris.

Elle rappelle que le juge d’appui n’a pas une compétence générale pour trancher les litiges survenant au cours de la procédure arbitrale. Le seul rôle du juge d’appui est de pourvoir à la constitution d’un tribunal arbitral en cas de risque de déni de justice.

En ne se limitant pas à la constitution d’un tribunal arbitral qui était constitué mais en s’immisçant dans le différend sur l’application du règlement arbitral par le centre d’arbitrage, le juge d’appui a dépassé sa mission.

La Cour de cassation censure donc le fait que le juge étatique s’immisce dans la procédure arbitrale.

La procédure arbitrale est autonome et le rôle du juge étatique doit n’être que strictement limitée aux cas prévus par les textes.

La Cour de cassation réaffirme ainsi classiquement la volonté française de ne pas étendre les pouvoirs du juge d’appui au-delà de ceux strictement conférés par l’article 1505 du Code de procédure civile.

La procédure d’arbitrage ne doit pas être sous la tutelle du juge d’appui. Le juge d’appui doit se cantonner à son rôle de pourvoir à la constitution du tribunal arbitral.

Le contrôle de l’organisation de l’arbitrage incombe ensuite au juge de droit commun saisi sur le fondement de l’article 1520 du Code de procédure civile.

Le juge étatique dispose alors d’un pouvoir de contrôle général mais limité à quelques cas strictement énumérés de violation des principes ou règles de la procédure arbitrale qui peuvent conduire à invalider une procédure arbitrale :
- Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
- Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ;
- Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée
- Le principe de la contradiction n’a pas été respecté ;
- La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international.

Cette position ne peut qu’être approuvée en ce qu’elle constitue une stricte application des textes français sur la procédure d’arbitrage et respecte le principe d’autonomie de la procédure arbitrale.

Olivier Vibert Avocat, Paris www.frenchlaw.blog