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La codification du contrat saisonnier et l’encadrement de sa reconduction par les dispositions de la loi du 8 août 2016 et l’ordonnance du 27 avril 2017. Par Xavière Caporal, Avocat, et Lisa Mahe, Stagiaire.
Parution : lundi 26 février 2018
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La Loi El Khomri n°2016-1088 du 8 août 2016 et l’ordonnance du 27 avril 2017 ont institué des mesures de nature à lutter contre le caractère précaire de l’emploi saisonnier (contrats à durée déterminée qui se caractérisent par une alternance entre une période de travail et une période de non emploi : vendanges, travail saisonnier en station de ski ou club de vacances) qui concernent aujourd’hui près de 700 000 salariés en France.

Désormais, le contrat saisonnier a sa propre définition, selon l’article L 1242-2 3°, les emplois saisonniers peuvent être conclus pour des tâches « appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie ».

L’intervention du législateur était justifiée par le fait que ces contrats saisonniers faisaient l’objet de dispositions dérogatoires par rapport à celles appliquées aux contrats à durée déterminée classiques. En effet, les contrats saisonniers ne sont pas soumis à la durée maximale de dix-huit mois renouvellement inclus et peuvent donc se succéder de façon répétitive pendant de nombreuses années, sans que le salarié bénéficie des avantages reconnus par le Code du travail aux contrats à durée indéterminée.

Les juridictions sociales devaient faire face à de nombreuses demandes de travailleurs saisonniers souhaitant obtenir non seulement la requalification de leurs contrats de travail successifs à durée déterminée avec le même employeur, en un contrat de travail à durée indéterminée mais également la reconnaissance d’une ancienneté juste et effective lorsque la reconduction se faisait de façon régulière et continue.

La jurisprudence considérait par principe que « la faculté pour un employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n’est assortie d’aucune limite » (Cass, Soc., 31 janvier 1985, n°82-42.580).

Par exception, une requalification des contrats saisonniers en contrat de travail à durée indéterminée n’était possible, qu’à la seule condition d’une concordance absolue entre le fonctionnement de l’entreprise et l’engagement saisonnier et répété du salarié. L’employé devait alors occuper un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Ainsi, il a été jugé que des contrats répétés 14 années de suite dans une station thermale pendant toutes les périodes d’activités saisonnières (10 mois) forment, même en l’absence de clause de reconduction, un contrat d’une durée globalement indéterminée (Cass, Soc., 10 mai 1984, 83-63.180).

De même, la reconduction systématique pendant 26 ans, des contrats saisonniers d’un aide cuisinier, chaque fois pour toute la durée de la saison, entraîne la requalification en contrat à durée indéterminée dès l’origine (Cass, Soc., 2 février 1994, n°89-44.219).

A l’inverse, un salarié embauché sous contrats saisonniers plusieurs années de suite pendant la saison d’hiver par une société dont l’activité était maintenue en été mais qui ne recourait pas pendant cette période, à de tels contrats, ne pouvait se prévaloir d’une requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée (Cass, Soc., 16 novembre 2004, n°02-46.77).

C’est pourquoi, afin de lutter contre cette précarité, la loi El Khomri a appelé les branches professionnelles dans lesquelles l’emploi saisonnier est particulièrement développé à la négociation. Celles-ci doivent déterminer les modalités de reconduction de contrat saisonnier lorsque rien n’est prévu par un éventuel accord antérieur à défaut de quoi, sont appliquées les dispositions supplétives prévues par l’ordonnance du 27 avril 2017 (I).
Toutefois, lorsque le contrat saisonnier est conclu dans une branche autre que celles visées par les dispositions de la loi El Khomri, le Code du travail envisage toujours la possibilité d’une clause de reconduction insérée dans le contrat saisonnier à la seule initiative de l’employeur (II).

I – L’obligation de négociation dans les branches où l’emploi saisonnier est particulièrement développé

1. L’encouragement du législateur à négocier au sein des branches dans lesquelles l’emploi saisonnier est particulièrement développé

Conscient d’une prépondérance des contrats saisonniers dans plusieurs secteurs, le législateur en 2016, a souhaité encourager la négociation dans les branches professionnelles dans lesquelles l’emploi saisonnier est particulièrement développé, afin que ces dernières définissent les modalités de reconduction du contrat de travail et la prise en considération de l’ancienneté.

- Les branches concernées :

Les branches dans lesquels l’emploi saisonnier est particulièrement développé sont citées dans une liste établie par un arrêté du 5 mai 2017, paru au journal officiel le 6 mai 2017. Cette liste est la suivante :
- Sociétés d’assistance (IDCC 1801)
- Casinos (IDCC 2257),
- Détaillants et détaillants-fabricants de la confiserie, chocolaterie, biscuiterie (IDCC 1286),
- Activités de production des eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière (IDCC 1513),
- Espaces des loisirs, d’attractions et culturels (IDCC 1790),
- Hôtellerie de plein air (IDCC 1631),
- Hôtels, cafés, restaurants (IDCC 1979),
- Centres de plongée (Sport IDCC 2511)
- Jardineries et graineteries (IDCC 1760),
- Personnels des ports de plaisance (IDCC 1182),
- Entreprises du négoce et de l’industrie des produits du sol, engrais et produits connexes (IDCC 1077),
- Remontées mécaniques et domaines skiables (IDCC 454),
- Commerce des articles de sports et d’équipements de loisirs (IDCC 1557),
- Thermalisme (IDCC 2104),
- Tourisme social et familial (IDCC 1316),
- Transports routiers et activités auxiliaires du transport (IDCC 16),
- Vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France (IDCC 493).

A ce jour, seule la branche regroupant les centres de plongée (sport) a mentionné avoir débuté les négociations en janvier 2017, certaines de ces branches disposant déjà de dispositions conventionnelles protectrices.

- Les modalités de négociation dans les branches susvisées :

Les partenaires sociaux peuvent conclure une convention ou un accord collectif prévoyant que tout employeur ayant occupé un salarié dans un emploi à caractère saisonnier doit lui proposer, sauf motif réel et sérieux, un emploi de même nature, pour la même saison de l’année suivante, en application de l’article L 1244-2 alinéa 2 du Code du travail.

Cette convention ou accord doit définir les conditions de reconduction et notamment ce qui concerne :
- la période d’essai
- le délai dans lequel cette proposition est faite au salarié avant le début de la saison
- le montant minimal de l’indemnité perçue par le salarié s’il n’a pas de proposition de réemploi.

2. En cas d’ineffectivité du dialogue social : la mise en œuvre de dispositions supplétives

- La reconduction du contrat saisonnier :

Conformément à la nouvelle articulation des dispositions du Code du travail, est prévu la mise en œuvre de dispositions supplétives, organisées par l’ordonnance du 27 avril 2017 (entrée en vigueur le 28 avril 2017) et codifiées aux articles L 1244-2-1 et L 1244-2-2 du Code du travail. Il s’agit de protéger la situation des salariés, même en l’absence de négociation.
Ces dispositions sont applicables dans les branches dans lesquelles l’emploi saisonnier est particulièrement développé et dans lesquels aucun accord n’a été mis en œuvre.
Ainsi, en application de ces dispositions, l’employeur devra informer personnellement le salarié sous contrat de travail saisonnier, des conditions de reconduction de son contrat avant son échéance (si reconduction il doit y avoir).

Plus encore et en l’absence de négociations contraires, tout salarié ayant été embauché sous contrat de travail à caractère saisonnier dans la même entreprise bénéficiera d’un droit à la reconduction de son contrat si deux conditions sont réunies :
- le salarié a effectué au moins deux mêmes saisons dans cette entreprise sur 2 années consécutives,
- employeur dispose l’année suivante, d’un emploi saisonnier à pourvoir, compatible avec la qualification du salarié.

Dans ce cas, l’employeur devra informer le salarié de son droit à reconduction par tout moyen conférant date certaine à cette information.

- Le calcul de l’ancienneté :

Si le calcul de l’ancienneté de tout salarié saisonnier s’effectue en prenant en considération la durée des contrats de travail à caractère saisonnier successifs dans une même entreprise, (article L 1244-2 du Code du travail), en l’absence de dispositions conventionnelles dans les branches où l’emploi saisonnier est particulièrement développé, les contrats de travail saisonniers dans une même entreprise seront considérés comme successifs lorsqu’ils sont conclus sur une ou plusieurs saisons, y compris lorsqu’ils auront été interrompus par des périodes sans activités dans cette entreprise (article L 1244-2-1 du Code du travail).

II – La clause de reconduction issue de la seule volonté de l’employeur dans les branches non visées par les dispositions de la Loi du 8 août 2016

Même en l’absence de convention collective ou d’accord collectif en ce sens, le contrat de travail à caractère saisonnier peut comporter une clause de reconduction pour la saison suivante, en application de l’article L 1244-2 alinéa 1 du Code du travail.

Cependant, cette clause contractuelle de reconduction, a seulement pour effet d’imposer à l’employeur une priorité d’emploi en faveur du salarié et ne peut être assimilée à la clause du contrat de travail qui prévoirait la reconduction automatique du contrat de travail pour la saison suivant et n’a pas pour effet, de transformer la relation de travail en une relation à durée indéterminée (Cass., Soc., 30 mai 2000, n°98-41.134).

Maître Xavière CAPORAL - AVOLEX AVOCATS [->xcaporal@avolex-avocats.com] 26, rue du Boccage - 44000 NANTES