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Salariés, cadres, cadres dirigeants : combien négocier sa rupture conventionnelle après les ordonnances Macron ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.
Parution : mardi 27 février 2018
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Les ordonnances dites Macron du 22 septembre 2017 ainsi que le décret du 25 septembre 2017 (n°2017-1398) portant revalorisation de l’indemnité légale de licenciement sont venues changer la donne en termes d’indemnité de rupture conventionnelle.

Depuis sa création en 2008, la rupture conventionnelle a connu un succès phénoménal.
Sur l’année 2017, près de 421.000 ruptures conventionnelles ont été homologuées.

En pratique, la rupture conventionnelle s’est tellement généralisée que, désormais, les employeurs tentent quasi-systématiquement de négocier une rupture conventionnelle avant de déclencher une procédure de licenciement.

Pourtant, dans cette négociation, employeur et salariés ne se trouvent pas sur un pied d’égalité.

Il est en effet difficile pour un salarié de savoir ce à quoi il a droit et ce jusqu’où il peut aller dans le cadre de la négociation de sa rupture conventionnelle. D’autant plus qu’en pratique, dans 50% des cas, la rupture conventionnelle est en réalité un licenciement déguisé.

Les salariés doivent donc impérativement savoir négocier leur départ.

Bien entendu, dans tous les cas, il est fortement recommandé de se faire assister par un avocat afin de garantir la préservation de ses droits.

1) Quel montant minimum mon employeur doit-il me verser ?

Au minimum, votre employeur doit vous verser une indemnité spécifique de rupture conventionnelle dont le montant équivaut à celui de l’indemnité légale qui vous serait due en cas de licenciement, ou de l’indemnité conventionnelle de licenciement si celle-ci vous est plus favorable.

NB : l’indemnité conventionnelle de licenciement n’est toutefois pas applicable et seule l’indemnité légale est due 1) dans les entreprises qui ne relèvent pas du champ d’application de l’ANI du 11 janvier 2008 ; 2) dans les entreprises qui auraient conclu un accord d’entreprise prévoyant expressément le versement de la seule indemnité légale en cas de rupture conventionnelle.

Exemple : Pour les salariés relevant du secteur de l’édition et dont l’employeur n’est adhérent ni au Medef, ni à la CGPME ni à l’UPA, l’indemnité minimale de rupture conventionnelle est l’indemnité légale et non l’indemnité conventionnelle de licenciement (CA Nancy, Ch. Soc., 30 août 2017, n°16/02668).

Pour l’indemnité conventionnelle de licenciement, il convient de se reporter aux dispositions de la Convention collective applicable dans l’entreprise.

Pour l’indemnité légale de licenciement, celle-ci est due dès lors que le salarié justifie de 8 mois d’ancienneté auprès de son employeur.

Elle s’élève à 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans et 1/3 au-delà. (C. trav. Art. R. 1234-2)

Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour vous, soit le douzième de votre rémunération brute des douze derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois (C. trav. Art. R. 1234-4).

Ce montant n’est cependant qu’un minimum et il est donc parfaitement possible de négocier une indemnité de rupture conventionnelle supralégale.

N.B : Vous devrez également obtenir le solde de vos congés payés acquis et non pris ainsi que de vos RTT le cas échéant.

2) Quel montant je peux négocier en supralégal ?

Pour négocier au mieux, il faut se «  benchmarker » en fonction de la somme que vous pourriez obtenir en cas de licenciement jugé abusif/sans cause réelle et sérieuse devant un Conseil de prud’hommes ou une cour d’appel.

Ainsi, l’indemnité de rupture conventionnelle à négocier pourra s’élever à la somme des montants suivants :

1. L’indemnité compensatrice de préavis : la durée de votre préavis est prévue par la Convention collective applicable dans votre entreprise (généralement 1 à 3 mois selon que vous êtes employé ou cadre) ou, à défaut, par l’article L. 1234-1 du Code du travail (1 à 2 mois selon votre ancienneté) ;

2. L’indemnité de congés payés sur préavis, égale à 10% du montant brut de votre indemnité compensatrice de préavis ;

3. L’indemnité conventionnelle de licenciement ou, à défaut, de l’indemnité légale de licenciement ;

4. Une indemnité « supra-légale » calculée sur la base de l’indemnité maximale prévue par le barème des indemnités prud’homales de licenciement (cf. notre précédente brève :
- Si vous avez moins d’1 an d’ancienneté : l’équivalent de 1 mois de salaire ;
- Si vous avez 1 an d’ancienneté : l’équivalent de 2 mois de salaire ;
- Si vous avez 2 ans d’ancienneté : l’équivalent de 3,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 3 ans d’ancienneté : l’équivalent de 4 mois de salaire ;
- Si vous avez 4 ans d’ancienneté : l’équivalent de 5 mois de salaire ;
- Si vous avez 5 ans d’ancienneté : l’équivalent de 6 mois de salaire ;
- Si vous avez 6 ans d’ancienneté : l’équivalent de 7 mois de salaire ;
- Si vous avez 7 à 8 ans d’ancienneté : l’équivalent de 8 mois de salaire ;
- Si vous avez 9 ans d’ancienneté : l’équivalent de 9 mois de salaire ;
- Si vous avez 10 ans d’ancienneté : l’équivalent de 10 mois de salaire ;
- Si vous avez 11 ans d’ancienneté : l’équivalent de 10,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 12 ans d’ancienneté : l’équivalent de 11 mois de salaire ;
- Si vous avez 13 ans d’ancienneté : l’équivalent de 11,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 14 ans d’ancienneté : l’équivalent de 12 mois de salaire ;
- Si vous avez 15 ans d’ancienneté : l’équivalent de 13 mois de salaire ;
- Si vous avez 16 ans d’ancienneté : l’équivalent de 13,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 17 ans d’ancienneté : l’équivalent de 14 mois de salaire ;
- Si vous avez 18 ans d’ancienneté : l’équivalent de 14,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 19 ans d’ancienneté : l’équivalent de 15 mois de salaire ;
- Si vous avez 20 ans d’ancienneté : l’équivalent de 15,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 21 ans d’ancienneté : l’équivalent de 16 mois de salaire ;
- Si vous avez 22 ans d’ancienneté : l’équivalent de 16,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 23 ans d’ancienneté : l’équivalent de 17 mois de salaire ;
- Si vous avez 24 ans d’ancienneté : l’équivalent de 17,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 25 ans d’ancienneté : l’équivalent de 18 mois de salaire ;
- Si vous avez 26 ans d’ancienneté : l’équivalent de 18,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 27 ans d’ancienneté : l’équivalent de 19 mois de salaire ;
- Si vous avez 28 ans d’ancienneté : l’équivalent de 19,5 mois de salaire ;
- Si vous avez 29 ans d’ancienneté ou plus : l’équivalent de 20 mois de salaire.

5. Quid si vous êtes victime de harcèlement ?

L’existence d’une situation de harcèlement moral permet de déplafonner les indemnités allouées en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse devant le Conseil de prud’hommes.

En effet, dans une telle hypothèse, le salarié est fondé à réclamer une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire et ce quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise (C. trav. art. L. 1235-3-1).

Ainsi, ce peut-être un bon argument pour augmenter le montant de l’indemnité supralégale dans le cadre de la négociation d’une rupture conventionnelle.

Il faut toutefois être prudent car cette stratégie peut aussi être l’origine d’un blocage de la négociation.

En effet, un employeur peut rapidement devenir méfiant lorsque le salarié évoque le terme de harcèlement au cours du processus de négociation puisque, dans une telle hypothèse, la rupture conventionnelle est frappée de nullité (Voir notamment Cass. Soc. 09 juin 2015 : n° 14-101.92).

En pratique, la rupture conventionnelle s’accompagne alors souvent de la signature d’une transaction qui assure l’employeur contre tout risque de contentieux qui pourrait en découler.

3) Quel est le régime fiscal et social de l’indemnité de rupture conventionnelle ?

Le régime fiscal et social de l’indemnité versée dans le cadre d’une rupture conventionnelle diffère grandement selon que le salarié a atteint ou non l’âge de départ à la retraite.

On peut d’ailleurs relever que cette distinction n’a pas été reprise pour le régime de l’indemnité versée dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective (RCC), celle-ci bénéficiant toujours d’un régime de faveur que le salarié soit ou non en âge de partir en retraite.

Hypothèse 1 : Cas général

Impôt sur le revenu : L’indemnité de rupture conventionnelle est exonérée d’impôt dans la limite du plus élevé des montants suivants :
- Soit le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
- Soit 2 fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat de travail ;
- Soit 50 % du montant de l’indemnité versée.

Dans tous les cas, la fraction de l’indemnité qui excède 6 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (238.392 euros en 2018) est soumise à impôt sur le revenu. (C. général des impôts art. 80 duodecies)

Cotisations sociales : La fraction de l’indemnité de rupture conventionnelle exonérée d’impôt sur le revenu est également exonérée de cotisations sociales mais dans la limite de 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (79.464 euros en 2018).

En revanche, si le montant total de l’indemnité excède 10 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (397.320 euros en 2018), celle-ci sera soumise à cotisations sociales dès le 1er euro. (C. sécu. sociale art. L. 242-1, 1., 6°)

CSG-CRDS : La CSG-CRDS ne s’appliquera que sur la fraction de l’indemnité excédant le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. Elle s’appliquera dès le premier euro si le montant total de l’indemnité versée excède 10 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (238.392 euros en 2018).

Hypothèse 2 : Vous avez atteint l’âge légal de départ à la retraite

Impôt sur le revenu : L’indemnité de rupture conventionnelle est intégralement soumise à impôt sur le revenu. (C. sécu. sociale art. L. 242-1, 1., 6°)

Cotisations sociales : L’indemnité de rupture conventionnelle est intégralement soumise à cotisations sociales.

CSG-CRDS : La CSG-CRDS s’applique sur l’intégralité du montant de l’indemnité de rupture conventionnelle.

Dans ce cas, il est préférable de « revenir » à un licenciement/transaction qui seul permet de défiscaliser les indemnités de rupture conformément à l’article 80 duodecies du Code général des impôts.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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