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Bitcoin et divorce ne font pas bon ménage ! Par Louis Laï-Kane-Chéong.
Parution : mercredi 28 février 2018
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Les crypto-monnaies en général, et le bitcoin en particulier, ne cessent de défrayer la chronique. Mais c’est sur un sujet pour le moins inattendu que le bitcoin crée encore la surprise : le divorce.

A l’étranger en effet, les instances de divorce se cristallisent déjà autour de l’épineuse question de la valorisation et du partage du bitcoin entre les époux, sans parler de l’insurmontable problématique de la preuve de l’acquisition de crypto-monnaies par l’un des conjoints, ces dernières étant justement réputées pour leur relatif anonymat [1]

Si la question venait à se poser en France, quelle(s) solution(s) notre arsenal juridique offrirait-t-il aux professionnels du droit ?

Évidemment, une telle question ne se pose que lorsque le bitcoin a été acheté pendant le mariage, sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts. Dans les autres cas, le bitcoin serait et resterait un bien personnel de l’époux acquéreur et ne soulèverait donc aucune espèce de difficultés dans le cadre du divorce.

En l’absence de règles de droit propres aux crypto-monnaies telles que le bitcoin, il sera fait application des règles de droit commun de la liquidation et du partage de la communauté en cas de divorce (I). Les incohérences découlant de l’application du droit commun permettront de proposer des solutions davantage adaptées à la spécificité des crypto-monnaies (II).

I. Le bitcoin à l’épreuve du droit commun de la liquidation et du partage de la communauté en cas de divorce.

Que le divorce soit contentieux ou par consentement mutuel, dès lors que la communauté est composée d’un actif et/ou d’un passif, il faut la liquider.

Que faire si la communauté est composée activement de bitcoins ?

Rappelons que tout bien acquis pendant le mariage au moyen de deniers communs, ou propres sans déclaration d’emploi, est un acquêt tombant en communauté (1401 C.civ).
En cas de divorce, la communauté est liquidée puis dissoute, laissant place à une indivision post-communautaire qui sera un jour ou l’autre partagée (1475 C.civ).
Dans le nouveau divorce par consentement mutuel par acte d’avocats, les époux se mettront d’accord sur la répartition des actifs et sur le règlement du passif. La convention de divorce par consentement mutuel contient un état liquidatif ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation, à peine de nullité (229-3 C.civ). Cet état liquidatif est notarié si la communauté comprend des biens soumis à la publicité foncière (229-3, 5° C. civ).

Dans la mesure où l’un des époux avouera qu’il a fait, pendant la vie commune, l’acquisition de bitcoins, il leur est loisible de préciser que cet époux conservera ses bitcoins.
Néanmoins, l’envolée de la valeur des bitcoins peut être précisément un motif de divorce contentieux, car les époux n’auront pas réussi à parvenir à un accord sur la répartition de la communauté.

Dans le cadre d’un divorce contentieux, les époux peuvent toujours s’entendre sur la liquidation de la communauté en concluant une convention liquidative (265-2 C.civ).
Cette dernière est exécutoire sous la condition suspensive du prononcé définitif du divorce (1451 C.civ), rétroagissant à la date fixée par la convention (Cass. Civ. 1ère, 26 juin 2013, n° 12-13.361).

L’accord des époux est donc une solution permettant d’éviter certaines difficultés inhérentes au bitcoin, mais pas toutes. En effet, seul le divorce par acte d’avocats faisant l’objet d’un accord total permettra d’enrayer toutes les problématiques qu’implique le bitcoin.
Dès lors que les époux s’engagent dans un divorce contentieux, même s’ils parviennent à un accord sur la liquidation de la communauté, le problème de la valorisation du bitcoin rejaillit implacablement. En effet, la convention passée pendant la procédure de divorce sur la liquidation de la communauté n’est exécutoire qu’une fois le jugement de divorce passé en force de chose jugée et elle rétroagit à la date fixée par la convention. Or, le bitcoin entrant dans l’actif commun a nécessairement été évalué au plus tard, au jour de la signature de la convention liquidative. Toutefois, la rétroactivité de cette convention à la date qu’elle fixe peut aboutir à des solutions parfaitement injustes et non voulues par les époux, au regard desquelles ils n’auraient pas consenti à conclure la convention.
En effet, la valeur du bitcoin peut avoir changé entre le moment de son évaluation, et le moment de l’exécution de la convention, et c’est pourtant au regard de cette évaluation initiale, dépassée au jour de l’exécution, que les époux ont pu s’accorder.

A défaut d’accord dans le cadre du divorce contentieux, le juge commettra un notaire afin de liquider la communauté. Les époux disposent à ce titre d’une année à compter du prononcé définitif du divorce pour faire liquider la communauté par le notaire commis. Une proposition de partage est alors faite par le notaire aux époux. Deux hypothèses s’offrent à eux : soit ils acceptent la proposition de partage et il est dressé un procès-verbal de partage ; soit ils la refusent et il est dressé un procès-verbal de difficulté. Dans ce dernier cas, le tribunal de grande instance est saisi et peut octroyer un délai supplémentaire si un accord reste envisageable, ou à défaut, il peut partager judiciairement la communauté.

Pour évaluer les biens de la communauté, le notaire se place au jour de la jouissance divise (au jour le plus proche du partage). Cette solution a le mérite d’éviter autant que faire se peut, les changements de valeur ; mais les fluctuations sont inhérentes aux crypto-monnaies et une fois encore, ce régime peut aboutir à des solutions inéquitables.

Pour appliquer ces règles de droit commun, encore faut-il que l’époux titulaire de bitcoins le divulgue. Compte tenu de la flambée de leurs cours et de leur relatif anonymat, l’époux peut être tenté de le dissimuler pour que son conjoint soit privé de la moitié de la valeur en cas de partage.
En ce cas, l’époux peut être sanctionné pour recel de communauté et perdre ses droits sur le bien à hauteur de ce qu’il a tenté de dissimuler (1477 C.civ). Encore faut-il prouver l’intention frauduleuse de l’époux à qui l’on tente d’imputer le recel de communauté (Cass. Civ. 1ère, 21 septembre 2016, n° 15-20.744).
En cas d’omission involontaire, l’ex-époux est fondé à saisir le tribunal de grande instance d’une demande de partage des bitcoins oubliés (Cass. Civ. 1ère, 22 février 2005, n° 398).
Si les époux ont conclu une convention liquidative ou ont adopté un divorce par consentement mutuel, il serait prudent de prévoir une clause selon laquelle tout bien omis serait partagé par moitié.

Le droit commun de la liquidation et du partage de la communauté en cas de divorce est donc applicable aux bitcoins, à défaut de règles spéciales. Pourtant, des règles spéciales auraient le mérite d’épouser les spécificités des crypto-monnaies, comme le fait si bien le droit des sociétés quant au sort des parts et actions sociales en cas de divorce ou décès d’un des époux.

II. Des solutions adaptées à la spécificité du bitcoin.

Deux difficultés majeures s’érigent quand les bitcoins rencontrent le divorce : leur valorisation et leur preuve.
Trois pistes sont à envisager pour balayer ces difficultés.

La première consiste à faire abstraction de la cotation des bitcoins lorsqu’il s’agit de les liquider et partager. Le portefeuille serait ainsi divisé par moitié. Libre ensuite aux époux de les convertir en monnaie légale, chacun assumant alors les risques de la volatilité du cours.
Cette solution présente toutefois trois inconvénients. Le premier tient au fait que cette solution n’est applicable qu’en présence d’un portefeuille de crypto-monnaies de même genre. Le deuxième tient au fait que cette solution est totalement déconnectée de la réalité du cours des crypto-monnaies. Le dernier tient au fait qu’elle fait voler en éclats le lien personnel qui peut exister entre les bitcoins acquis et leur titulaire. En outre, cette solution ne s’accommode pas des difficultés que rajoutent les éventuels droits à récompense et les éventuels droits à prélèvement effectués par les époux.

La deuxième piste consiste à assimiler les bitcoins à des valeurs mobilières et à étoffer, non pas le droit des régimes matrimoniaux, mais le droit numérique en prévoyant, comme le permet le droit des sociétés au travers des statuts d’une société, le sort réservé aux bitcoins lorsque le titulaire marié lors de l’acquisition, divorce. La technologie de la « blockchain » est en mesure de fournir des moyens contractuels efficaces pour prévoir le sort des bitcoins en cas de divorce, notamment par le biais de « smart contracts ».

La dernière piste, dans l’attente de règles juridiques plus précises, serait de traiter les bitcoins comme des stock-options. Depuis 2014 [2], l’attribution gratuite d’actions est soumise à un traitement particulier : les stock-options attribuées pendant la vie commune sont des biens propres, sauf si l’époux titulaire lève l’option pendant la communauté, auquel cas, les actions seront ainsi communes.
De la même manière, l’on pourrait considérer que les bitcoins acquis pendant la vie commune sont propres à l’époux titulaire, sauf en cas de conversion en euro, auquel cas, la somme ainsi obtenue tomberait en communauté.
Il subsiste dans cette hypothèse, une différence par rapport aux stock-options : les bitcoins sont acquis onéreusement, tandis que les stock-options sont attribuées à titre gratuit.
Il convient donc d’ajouter à ce traitement particulier un garde-fou qui consisterait en la reconnaissance d’un droit à récompense au profit de la communauté si l’époux utilise des fonds communs pour acheter des bitcoins qu’il ne convertira jamais en euro pendant la vie commune, lequel droit à récompense ne pourra être inférieure à la dépense faite. Inversement, si l’époux a financé des bitcoins au moyen de fonds propres sans déclaration d’emploi et qu’il les a ensuite convertis en euro, il aura droit à une récompense qui ne pourra être inférieure au profit subsistant.

Louis Laï-Kane-Chéong

[2Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2014, n° 13-15.948.