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Ouverture de la chasse d’une espèce protégée présumée responsable. Par Marie-Bénédicte Desvallon et Cerise Ducos, Avocats.
Parution : vendredi 2 mars 2018
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Après les débats de 2017, la forte mobilisation de la société civile et des associations, les travaux de concertation avec les groupes pastoraux, la naissance de l’Agence Française pour la Biodiversité, tout portait à croire que le nouveau plan national d’action 2018-2023 traduirait une conciliation des intérêts en présence : ceux du pastoralisme et celui de la protection de la biodiversité où le loup occupe une place particulière en tant qu’espèce protégée.
Pourtant l’esprit de ces nouveaux arrêtés pourrait se résumer par la citation de Gustave le Bon :
"L’anarchie est partout là où la responsabilité est nulle part".

Adoptés le 19 février 2018, l’arrêté fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) (ci-après l’ « Arrêté 1 ») et l’arrêté fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année (Ci-après l’ « Arrêté 2 ») maintiennent le nombre et les conditions de destruction des loups.

Rappel du cadre juridique.

En 1979, la France signe avec 46 autres États européens, la Convention de Berne, aux termes de laquelle la faune sauvage constitue "un patrimoine naturel d’intérêt majeur qui doit être préservé et transmis aux générations futures". Le loup figure parmi les espèces de faune « strictement protégées » recensées à l’annexe II de la Convention.

1992, l’Union européenne adopte la Directive 92/43/CEE du Conseil « Habitats-faune-flore », laquelle dispose que la conservation de la faune constitue un objectif essentiel, d’intérêt général poursuivi par la Communauté comme prévu à l’Art. 130 R du traité. Les mesures prises en vertu de la Directive Habitat visent à assurer le maintien ou le rétablissement dans un « état de conservation favorable [1] » des espèces d’intérêt communautaire.
Ainsi les États doivent prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte du loup visé à l’Annexe IV en interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle du loup.

Quatorze ans plus tard en 2006, la Directive est transposée dans le Code de l’environnement. L’Art. L.411-2 al 4 prévoit la délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’Art. L.411-1, aux conditions cumulatives : (i) qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et (ii) que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
a) Dans l’intérêt de la protection de la faune (…) sauvage et de la conservation des habitats naturels ;
b) Pour prévenir des dommages importants notamment à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété (…).

Par voie d’arrêté interministériel du 27 mai 2009, le loup est placé sur la liste des mammifères terrestres protégés.

Aux termes des Art. L.411-2 et R411-8 du Code de l’environnement modifié par le Décret n°2017-81 du 26 janvier 2017, les dérogations concernant le loup, en tant qu’espère protégée, relatives aux opérations d’enlèvement, capture, destruction, transport en vue d’une réintroduction dans le milieu naturel, destruction, altération ou dégradation du milieu particulier de l’espèce, sont délivrées par le ministre chargé de la protection de la nature.
En vertu des articles 16 paragraphe 1 et 6 paragraphe 4 de la Directive Habitat, incombe aux autorités nationales de démontrer l’existence des conditions nécessaires à la mise en place des dérogations en observant le principe de proportionnalité reconnu comme principe général du droit communautaire.
Les arrêtés du 19 février 2018 adoptés sans prise en compte, notamment, des contributions apportées dans le cadre de la consultation publique, témoignent d’une lecture pour le moins contestable du cadre juridique applicable au loup en tant qu’espèce protégée.

Présomption de responsabilité du loup : vers un nouveau cas original de présomption irréfragable.

Comme rappelé plus haut, la délivrance des dérogations doit répondre aux conditions visées à l’article 16 paragraphe 1 et Art. 6 paragraphe 4 de la Directive Habitat. Ainsi on aurait pu raisonnablement espérer que les autorisations visent à permettre la défense contre des attaques concrètes des loups.

Alors que (i) la destruction du loup s’inscrit dans une dérogation au principe de sa protection, (ii) que ladite dérogation ne peut être envisagée qu’à la condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, force est de constater que les arrêtés n’imposent aucune obligation de mise en œuvre de mesures de protection des troupeaux ovins, même minimales.

Ainsi pour justifier l’absence de solution satisfaisante, l’article 6 III de l’Arrêté 1 s’appuie, non pas sur la formation, la compétence et l’expérience du propriétaire ou gardien des troupeaux et des moyens mis en place par lui pour les protéger, ni de la configuration naturelle où ils sont conduits mais, sur une analyse technico-économique réalisée par les DDT et DDTM, soumise pour simple avis au préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup de sorte que les troupeaux « soient reconnus comme ne pouvant être protégés » par le Préfet du département.

Plus encore, l’article 6 II de l’Arrêté 2 prévoit la mise en place par le Préfet du département d’un suivi des dommages « dus » au loup. Aucune disposition de l’arrêté ne définit les conditions et modalités dans lesquelles la responsabilité du loup est établie, le lien de causalité entre sa présence et la mort d’un animal du troupeau.

Les Arrêtés évoquent sans en définir les critères : les dommages importants, récurrents ou encore exceptionnels.

Le propriétaire ou gardien du troupeau est ainsi exonéré de toute responsabilité pour la protection de ses animaux qui relève de l’appréciation du préfet, et demeure dans tous les cas une victime indemnisable.

Le loup devient ainsi présumé responsable de toute perte d’animal d’un troupeau.

De la protection du loup à la définition d’un « plafond minimum » de sa destruction.

Selon l’article 12 de la Directive Habitat, les États membres ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :
a) Toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;
b) La perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration (…).

Si les aspects techniques et scientifiques de comptabilisation des loups et d’appréciation de l’état de conservation favorable ne relèvent pas du droit, pour autant la méthode proposée peut laisser circonspect quant à sa logique qui contrevient au concept d’intérêt majeur de la protection de l’espèce et de transmission aux générations futures.

Ainsi il ressort des arrêtés les éléments suivants :

- La « destruction » de femelles gestantes, louveteaux et chefs de meute est autorisée sans aucune considération de conséquences directes sur la préservation de l’espèce et son renouvellement, son organisation naturelle ainsi que les conséquences indirectes sur les comportements de prédation (Arrêté 1 : Art. 2 -I ; et Art.1er de l’Arrêté 2). La portée des femelles gestantes n’est pas comptabilisée dans le plafond des loups à détruire.

- Les chasseurs peuvent se réjouir : mieux encore que la chasse au gibier, la destruction du loup est autorisée toute l’année sans interruption.

- L’effectif moyen de loups est estimé annuellement selon les méthodes CMR et EMR (Art 1er et 5 de l’Arrêté 2). Alors que l’article 5 souligne que la valeur précise de l’estimation ne peut être connue que plusieurs années après le recueil des échantillons analysés, le dénombrement des loups selon ces méthodes ne permet pas de déterminer l’état de conservation de l’espèce à un instant T, et ne saurait justifier la fixation d’un pourcentage de destruction. Alors que la présence du loup n’est pas égalitaire dans les régions où il est détecté, la détermination d’un nombre d’animaux à abattre au niveau national sans différenciation du niveau de risque de prédation ne satisfait pas aux conditions de dérogations ni au principe de proportionnalité.

- Un plafond minimum de destruction :
Au regard (i) des seuils fixés au cours des deux dernières années (36 spécimens pouvant être détruits en 2016 puis 40 en 2017), (ii) de l’évolution de la population et (iii) des recommandations de l’expertise collective biologique, les arrêtés fixent un nombre maximum de destruction compris entre 40 spécimens et « 10% de l’effectif moyen de loups estimé annuellement ».
Toutefois si le nombre maximum de spécimens dont la destruction est autorisée est atteint avant la fin de l’année, des tirs de défense (simples ou renforcés) pouvant conduire à l’abatage de spécimens peuvent être autorisés dans la limite de 12% de l’effectif moyen.
Il en résulte que le nombre maximum de spécimens pouvant être abattus est donc en réalité déjà fixé à 12% de la population de loups présents sur le sol français (soit 43,2 donc 43 ou 44 spécimens, et non 40).
La nouvelle rédaction de l’article 3 de l’Arrêté 1 initialement rédigé comme suit : « En cas de situation exceptionnelle (non définie), les tirs de défense simple peuvent être autorisés par le préfet au-delà des plafonds de destruction (…) » prévoit désormais la possibilité de recourir aux tirs de défense alors même que le plafond de destruction serait atteint sans même que des circonstances exceptionnelles ne le justifie. De même l’article ne précise plus qui délivre l’autorisation de tirs.
Le paragraphe 2 de l’article 3 de l’Arrêté 1 dispose qu’en cas de dépassement du plafond, il en « sera tenu compte l’année suivante ». Mais encore ?
Deux interprétations possibles :
1)On peut craindre que l’autorisation de tirs supplémentaires l’année n soit interprétée comme une nécessité de revoir à la hausse le nombre de loups à détruire l’année n+1 ;
2)On peut « espérer » que le nombre de loups à abattre l’année n+1 soit réduit du nombre de loups supplémentaires abattus au-delà du plafond de l’année n.

Outre les portées non comptabilisées lors de la destruction des louves gestantes, la rédaction de l’article 5 de l’Arrêté 1 offre un panel d’options pour favoriser la destruction du loup. Ainsi le texte accorde une durée de 12 heures à ceux qui « tirent en direction du loup » avant de le déclarer aux autorités compétentes. On peine à croire que cette disposition vise les situations d’effarouchement aux fins de protection d’un troupeau ou de défense face à une menace imminente. L’exercice s’inscrit plus dans une véritable traque autorisée de l’animal pendant 12 heures.
Par ailleurs, la discrétion laissée à l’ONCFS pour évaluer la nécessité de conduire des recherches d’un loup blessé visée à l’article 5–III permet de ne pas comptabiliser dans le plafond, les animaux blessés et « accessoirement » de laisser agoniser l’animal.
Considérant ce qui précède, loin de fixer un plafond de destruction du loup, les arrêtés définissent un « plafond minimum » de loups à abattre.

Une fois encore la France se distingue de ses voisins italiens ou espagnols entre autres où la cohabitation avec les loups fait l’objet de réflexions constructives autour du tourisme en cohérence avec la notion de développement durable et le principe de non régression, pourtant rappelé par le Projet de Pacte Mondial pour l’environnement porté par la France.
Récemment appliqué par le Conseil d’Etat (14 décembre 2017), le principe de non régression est codifié à l’article L.110-1 al 9 du Code de l’environnement comme suit : « Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

Adrien Favre© Photographe

Deux grands absents dans la mise en œuvre du plan national d’actions : les acteurs du pastoralisme et l’agence française pour la biodiversité.

Concernant l’Agence Française pour la Biodiversité (ci-après désignée l’« AFB ») : Aux termes de l’article L.110-1 du Code de l’environnement -modifié par la Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages- les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation.
On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres. Elle comprend notamment la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.

En matière de police judiciaire, l’AFB a pour mission de vérifier le respect de la réglementation relative à la protection de la biodiversité.
Pour autant, il n’est fait aucune référence aux missions de l’Agence dans les arrêtés.
Aucune sanction n’est prévue en cas de dépassement non autorisé du nombre de loups prélevés.

Première démonstration des limites des répartitions conflictuelles de compétences entre l’ONCFS et l’AFB, l’intervention de l’AFB semblait pourtant essentielle pour garantir la défense du patrimoine commun de la nation dont fait partie le loup.

- Sur les obligations de protection par les éleveurs ou groupes pastoraux : comme développé plus haut, aucune obligation de protection de leur troupeau à la charge des éleveurs -ne serait ce que par leur présence- la présence humaine constituant à elle seule une méthode d’effarouchement du loup.
L’option de déplacer les troupeaux n’est à aucun moment envisagée comme un moyen de protection du troupeau.
Les arrêtés occultent purement et simplement la question de la protection des troupeaux. Sans obligation, pas de responsabilité des éleveurs ou des groupes pastoraux.

Mélange des genres : protection des espèces protégées et chasse au gibier.

L’article 12 III (sous le chapitre relatif aux tirs pour « défendre » les troupeaux), autorise, avec l’accord de l’ONCFS, le recours à tous moyens pour « détecter » la présence de loup. On peut s’interroger sur la situation de défense à laquelle les bénéficiaires de dérogations peuvent être exposés si les moyens utilisés visent à détecter la présence de loups.

La rédaction de cet article est pour le moins ambivalente : ainsi un tir de défense pourrait être réalisé, non pas pour se défendre mais pour détecter la présence de loup. La lecture à contrario du paragraphe 2 du III laisse entendre que la mise en œuvre de moyens pour détecter les loups pourrait ne pas être intentionnelle…

L’article 17 de l’Arrêté 1 permet d’organiser une véritable battue aux loups en autorisant les opérations de tirs de défense renforcée par groupe de 10 …chasseurs. L’arrêté va jusqu’à prévoir la formation des chasseurs pour assurer les tirs.

L’article 24 permet la reconduction -sans limitation- des opérations de tirs de prélèvements simples.

L’article 26 autorise les tirs de prélèvements alors même que les troupeaux ne sont plus exposés au risque de prédation du loup.

Les articles 27 et 28 consacrent l’ouverture de la chasse aux loups. Ainsi les bénéficiaires auxquels sont accordés les dérogations s’étendent aux présidents de société de chasse, et responsables de grands gibier selon l’article 6 de l’Arrêté 1.

L’arrêté confère aux chasseurs le droit de détruire leur « concurrent » en matière de « régulation » de la faune sauvage et plus particulièrement le grand gibier.

Silence on tue ! Avec la récente autorisation donnée aux chasseurs d’utiliser des silencieux, les mesures d’effarouchements laissent la place à un carnage.
L’homme ne laisse ainsi aucune option de survie à l’espèce protégée qu’est le loup, sauf peut-être à devenir herbivore….

Ces deux arrêtés ne sont pas sans rappeler plusieurs arrêts de la CJUE où les Etats ont été condamnés pour manquement aux obligations visées aux articles 12 paragraphe 1, et 16 paragraphe 1 de la Directive Habitat en ce qu’ils autorisent la chasse aux loups sans avoir démontrer que les conditions pour une dérogation étaient remplies.

A suivre…

Co-rédigé par Marie-Bénédicte DESVALLON et Cerise Ducos – Avocats au Barreau de Paris Membres du Groupe de travail dédié à l’élaboration d’un Code autonome des droits de l’animal. {Les positions exprimées dans la présente note n'engagent en rien les structures auxquelles les avocats collaborent par ailleurs.}

[1L’état de conservation sera considéré comme « favorable », lorsque : — les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient et — l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible et — il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme (Article 1er i) de la Directive Habitat).

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