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Quel avenir pour les smart contracts ?
Parution : mercredi 14 mars 2018
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Fonctionnant avec la blockchain, les smart contracts sont un sujet qui intéresse et interroge les professions juridiques. Ils désignent en effet des programmes qui permettent d’automatiser l’exécution des contrats. Comment fonctionnent-ils ? A quoi peuvent-ils concrètement servir ? Mais surtout, quelles problématiques juridiques soulèvent-ils ?
La Smart Contract Academy a été justement créée pour réfléchir et analyse les questionnements juridiques qui entourent les smart contract. En partenariat avec l’association Open Law* Le droit ouvert, elle réunit une vingtaine de membres sélectionnés sur candidatures. Juristes, développeurs, mais aussi professeurs d’université ont ainsi participé à ces séances de travaux durant l’année 2017, résumés dans un livre blanc. Le collectif a également participé au rapport de France Stratégie consacré à la blockchain, en intervenant sur le volet juridique.
Xavier Lavayssière, co-fondateur de ECAN et président des Bricodeurs, a accepté de nous en dire plus sur le travail qui a été mené, et les premières conclusions qu’ils en ont tirées.

Clarisse Andry : Pouvez-vous nous expliquer la différence entre la blockchain et les smart contracts ?

Xavier Lavayssière : L’objectif de la blockchain est de créer de la rareté dans le monde numérique. Dans le monde physique, pour qu’un bien ait de la valeur, il faut qu’il soit en quantité limitée, afin de jauger les flux. Dans le monde numérique, c’est tout l’inverse, puisque tout est infiniment reproductible. Il fallait donc un procédé technique pour engendrer cette rareté. C’est l’idée du bitcoin, qui est le point de départ de la blockchain. Parler de la « technologie blockchain » est à mon sens un abus de langage : c’est une structure conçue pour résoudre cette problématique pour le bitcoin.

« Les smart contracts visent à utiliser la blockchain pour exécuter du code. »

A chaque fois que l’on envoie une transaction sur le réseau, certains acteurs, appelés les mineurs, vont les regrouper dans des blocs, constituer une liste de toutes ces transactions et indiquer leur valeur. On voit alors qui a transféré quel montant à qui. On trouve finalement d’autres usages à cette structure, mais c’est une construction des briques existantes, pas une invention scientifiquement nouvelle.
Les smart contracts visent justement à utiliser la blockchain pour exécuter du code. Il faut les visualiser comme deux couches : la blockchain en est la base, telle qu’elle fonctionne sur le bitcoin, et le smart contract est un programme informatique tel qu’il s’exécuterait sur un ordinateur. L’idée de smart contract est plus ancienne, puisqu’elle a été développée dans les années 90, et visait déjà à utiliser un processus informatisé pour établir une relation contractuelle.

Pourquoi avez-vous concentré vos travaux sur les smart contracts ?

Xavier Lavayssière

Travailler sur les smart contracts signifie s’intéresser aux aspects pratiques et techniques de la blockchain, mais aussi aller au delà de la monnaie. C’est de cette manière que nous avons déterminé nos trois sujets : un thème sur le transfert d’œuvre d’art – comment on identifie une œuvre d’art, comment on l’enregistre sur la blockchain, quelle valeur a cette transcription sur la blockchain, ce qui plus généralement concerne toutes les questions de traçabilité, quel que soit le domaine ; un thème sur le transfert d’actifs financiers, issu de l’actualité législative ; et le troisième thème aborde les ICO (Initial Coin Offering). Nous souhaitions qu’ils abordent une dimension concrète de la blockchain, et présentent des axes différents. L’œuvre d’art montre comment suivre un objet, et permet de développer la question de son lien avec le monde physique. L’outil financier pose la question de la crédibilité de l’inscription, et de la façon dont les acteurs qui utilisent la blockchain doivent connecter leurs systèmes ensemble. Et pour les ICO, il nous fallait clairement étudier la question juridique qui entoure ce thème.

Quelles sont les principales conclusions de votre livrable ?

Du côté des œuvres d’art, l’aspect le plus intéressant de cette technologie est aussi celui qui va être le plus difficile à mettre en place parce qu’il pose des questions infrastructurelles. Un certain nombre d’acteurs devront se mettre d’accord pour la mise en place et la connexion de leurs systèmes informatiques. Même si l’organisation est plutôt horizontale, il faudrait quand même quelqu’un qui sera responsable de la mise à jour, de quelle façon changer les données, etc. Cette technologie incite au collaboratif, car cela fait partie de son fonctionnement, mais cela reste difficile selon les secteurs. Sans compter le coût que demanderait l’adaptation des systèmes d’information internes des entreprises. Le volet le plus transformatif sera long à mettre en place.
Les travaux autour de l’œuvre d’art pose aussi la question du lien avec le monde physique. Le fait que ce soit inscrit dans la blockchain ne résout en rien le problème de l’authenticité de l’œuvre elle-même par exemple. Autre problématique, celle liée à la transparence et à l’anonymat, pour un marché où une certaine opacité est parfois nécessaire.

Concernant le transfert des actifs fonciers, la principale problématique est que les décrets ne n’ont toujours pas été publiés. Il est facile de dire que l’on va utiliser un registre distribué, mais quelles conditions techniques vont permettre de reconnaître sa validité ?

Quelles problématiques posent les smart contracts et plus généralement la blockchain au droit français ?

« De vieux concepts juridiques vont pouvoir s’appliquer. »


Il n’y a pas besoin de beaucoup d’ajustement. Les principes sont les mêmes et les besoins humains ne changent pas : la seule nuance, c’est la technique. De vieux concepts juridiques vont pouvoir s’appliquer, comme ceux encadrant la preuve qui sera inscrite dans la blockchain. La loi pourra cependant faciliter la mise en place de l’écosystème, car une validation de chaque cas par la jurisprudence risque d’être long.

Comment s’annonce le futur des professions juridiques face à la blockchain ?

« Le monde juridique va devoir se réorganiser, en repensant son positionnement. »


Il est clair qu’il va y avoir d’importants changements pour les professions juridiques d’ici quelques années. Avant même de parler de blockchain, le numérique a complètement changé le marché. Toute l’économie a été chamboulée et il n’y a aucune chance que le monde juridique soit épargné. C’est une question d’efficacité : nous nous sommes habitués à pouvoir consommer des biens et services à des prix proches des coûts, et cela devient valable pour les services juridiques.
Le monde juridique va devoir se réorganiser, en repensant son positionnement. Quel est le métier exercé ? Comment produire efficacement le service ? Reste ensuite la question de la formation. Par exemple, tous les avocats n’ont pas besoin d’utiliser chaque nouvelle technologie, mais il est indispensable de la comprendre et d’être capable de se positionner dans son métier par rapport à cet outil.
La blockchain ne va pas modifier leur métier. Par exemple, la rédaction d’un contrat ne change pas, puisque qu’il faut en connaître les règles, comprendre les normes, ce que veulent les parties ou les besoins d’une société ... Cela reste le métier du juriste.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice