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Les conditions d’exercice de Contract Manager. Par Bertrand Couette, Avocat.
Parution : lundi 5 mars 2018
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La fonction de « Contract Manager » répond à la nécessité de faire face aux dérives, en particulier de planning et de coûts, que connaissent trop souvent les grands projets.
Lorsqu’elle est externalisée elle ne peut généralement être exercée que par un cabinet d’avocat ou par un groupement dont l’un des membres est avocat.

1. Présentation de l’activité de « Contract Manager »

En pleine expansion en Europe depuis une dizaine d’années, la fonction de « Contract Manager » répond à la nécessité de faire face aux dérives, en particulier de planning et de coûts, que connaissent trop souvent les grands projets.

La prise de conscience du besoin de mieux anticiper les risques et d’en assurer la maîtrise par des leviers contractuels, après s’être développée dans le domaine industriel ou informatique, prend aujourd’hui son essor dans le domaine des grands chantiers d’infrastructure.

Le « Contract Management » ou management contractuel couvre, selon la définition issue des principaux organismes professionnels en France, l’activité qui consiste à assister son client dans la rédaction, la négociation et la mise au point des contrats, ainsi que dans leur suivi, leur application et leur évolution tout au long d’un projet, par la mise en œuvre et la coordination de moyens et processus nécessaires à la couverture et à la maîtrise des risques encourus et à la réalisation d’opportunités potentielles.

A cet effet, les principaux processus que le « Contract Manager » est susceptible de mettre en œuvre sont les suivants :
- l’assistance aux négociations ;
- l’assistance à la définition du besoin et à la mise en concurrence ;
- la sensibilisation contractuelle des équipes de réalisation ;
- la gestion des risques et difficultés ;
- la gestion des opportunités ;
- le traitement de la correspondance contractuelle ;
- la documentation et l’archivage des évènements, preuves et écarts ;
- le pilotage et le suivi des livrables ;
- le pilotage et le suivi des délais contractuels et des pénalités ;
- la gestion des écarts et des changements ;
- le traitement des réclamations ;
- la résolution des conflits ;
- la stratégie, la gouvernance et la gestion de leviers commerciaux ;
- l’administration des données sensibles telles que propriété intellectuelle, données personnelles et confidentialité.

Il s’agit ainsi, notamment sur les grandes opérations d’aménagement et de construction, de mettre en place un dispositif permettant d’intégrer étroitement les approches techniques, organisationnelles, économiques et juridiques, de manière :
- d’une part, lors de l’élaboration, de la conclusion, puis de l’exécution des contrats, à optimiser la relation contractuelle de sorte de maîtriser les risques et difficultés prévisibles,
- d’autre part à identifier, anticiper et gérer, le plus en amont possible, tout au long de l’opération, les difficultés qui n’étaient pas prévisibles lors de la conclusion des contrats et qui surviennent pendant leur exécution, de sorte d’assurer au mieux la défense des intérêts du maître d’ouvrage.

En quelques années, la sécurisation et l’optimisation des contrats est devenue un véritable enjeu stratégique. Le recours au « Contract Manager » permet d’y faire face. Il présente en outre d’importants avantages, et notamment :
- d’organiser et de budgéter, dès le début de l’opération, les moyens nécessaires au traitement des difficultés qu’un grand chantier rencontre inévitablement,
- d’anticiper ces difficultés de sorte de les éviter ou à tout le moins d’en minimiser les conséquences,
- de mettre en place un dispositif permettant d’identifier l’origine des écarts entre le projet et la réalité du terrain, d’en suivre le traitement, d’établir un retour d’expérience et disposer ainsi d’un outil d’amélioration permanent de la gestion des grands projets.

Cette assistance peut se positionner auprès du maître de l’ouvrage, mais également auprès du conducteur d’opération, voire du maître d’œuvre.

C’est une activité pluridisciplinaire qui doit réunir des compétences juridiques, de gestion des risques, de maîtrise de l’art de la négociation et de la résolution de conflit, mais également une compétence en management de projet ainsi que la compétence technique nécessaire à la compréhension des enjeux correspondants.

Elle devrait donc réunir au moins un bureau d’études disposant d’une forte compétence en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage et un cabinet d’avocat.

2. Conditions d’exercice de l’activité de « Contract Manager »

La présence d’un cabinet d’avocat est une contrainte légale qui découle des dispositions du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Les activités de consultation en matière juridique et de rédaction d’actes sous seing privé sont en effet soumises aux dispositions des articles 54 à 66 de cette loi qui énumèrent limitativement les personnes autorisées à donner des consultations juridiques et à rédiger des actes sous seing privé pour autrui de manière habituelle et rémunérée et subordonnent l’exercice de ce droit à de strictes conditions (diplôme, moralité, assurances, garantie financière…).

2.1. Consultation juridique ?

Il apparaît clairement, selon la jurisprudence, que la consultation juridique est une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant par les éléments qu’il apporte à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation. Le consultant recommande une ou des solutions en fonction du problème qui lui a été posé. Le bénéficiaire de ces conseils est ainsi orienté dans sa prise de décision (cf. : réponse ministérielle du 28 mai 1992, TGI Auxerre 3 janvier 1995 ; CA Versailles 11 septembre 2008, n°07-03343 ; CA Lyon, 5 octobre 2010, n°09-05190 ; Cass. civ., 15 novembre 2010, 09-66319 ; Cass., civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-28292 ; CA Versailles, 6 mars 2014, n° 12-02981 ; CA Paris, 4 novembre 2016, n° 15-03272, CA Dijon, 30 mai 2017, n°14-00180).

2.2. Rédaction d’acte sous seing privé pour autrui ?

La rédaction d’actes sous seing privé recouvre « les actes unilatéraux et les contrats, non revêtus de la forme authentique, rédigés pour autrui et créateurs de droits ou d’obligations ».

Une réponse ministérielle (Rép. min. no 46703 : JO AN, Q, 20 juillet 1992, p. 3291) confirme que les marchés de travaux et autres contrats que les architectes et bureaux d’études sont amenés à rédiger pour partie, entrent dans le champ d’application de la législation ; la rédaction, notamment des CCTP, constitue pour ces prestataires une activité accessoire nécessaire.

2.3. Exercice d’une activité à titre habituel et rémunéré

L’exercice d’une activité juridique à titre occasionnel et gratuit ne rentre pas dans le champ d’application de la loi. Quant au caractère occasionnel, la jurisprudence en matière pénale considère que, concernant les infractions d’habitudes, le caractère occasionnel cesse à compter du deuxième acte inclus (cf. par exemple : Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-85054).

2.4. Personnes habilitées

2.4.1. Activité principale

Les articles 56 à 66 de la loi définissent limitativement les personnes habilitées à exercer une activité juridique à titre habituel et rémunéré ainsi que le cadre de leur intervention. Ils visent :
- Les avocats, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs en respectant le cadre des activités définies par leurs statuts respectifs (art.56) ;
- Les enseignants des disciplines juridiques des établissements publics et privés d’enseignement supérieur reconnus par l’Etat (art.57) ;
- Les juristes d’entreprises mais uniquement pour l’entreprise qui les emploie et en vertu de leur contrat de travail. Ils ne peuvent donc pratiquer ces activités pour d’autres personnes que leur entreprise.

2.4.2. Activité accessoire

D’autres professions peuvent effectuer des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé mais uniquement dans le cadre d’une activité accessoire. Plus précisément, en application des articles 59 et 60 de la loi de 1971, de telles consultations juridiques ne peuvent être données que dans le cadre de l’activité principale du professionnel, qui ne peut en ce cas être une activité juridique, tandis que la rédaction d’actes sous seing privé ne peut constituer que l’accessoire nécessaire de cette activité. Tel est le cas, par exemple, de l’expert-comptable.

En d’autres termes, les professionnels qui ne sont pas énumérés aux articles 56 et 57 de la loi du 31 décembre 1971 ne peuvent jamais avoir une activité principale qui consisterait à donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privés ne manière habituelle et rémunérée. La jurisprudence est très stricte dans l’appréciation de ces conditions.

2.5. Activité de « Contract Manager »

Sauf exception, l’activité de « Contract Manager », pour la plupart des professionnels qui la proposent, ne constitue pas une activité accessoire d’une autre activité qui serait exercée à titre principal.

Pourtant, cette activité consiste, à l’évidence à donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privés ne manière habituelle et rémunérée et doit donc être exercée dans des conditions conformes aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971.

Outre les sanctions pénales qui sont éventuellement encourues par les entreprises ou les professionnels qui prétendraient fournir de tels services sans remplir les conditions posées par la loi, il importe de souligner que le contrat conclu avec ce prestataire en violation de la loi du 31 décembre 1971, est nul (CA Versailles, 6 mars 2014, n°12-02981).

Les juridictions administratives sont ainsi amenées à annuler les procédures de mises en concurrences qui viseraient à attribuer un contrat en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 (CAA Nancy, 23 mars 2009, n° 08NC00594 ; CAA Nantes, 1er décembre 2015, n° 13NT03406 confirmé par CE, 14 décembre 2016 n°396620 et 396627 ; TA Rennes, 15 juin 2017, 1600383,1600450).

Il est donc du plus grand intérêt, pour la sécurité juridique de leur propre contrat, que les entreprises dites de « Contract Management » respectent strictement ces conditions.

A cet égard il semble n’exister que deux solutions :
- justifier d’une qualification reconnue et attestée par un organisme public et n’exercer l’activité de Contract Manager que comme l’accessoire nécessaire de celle-ci : ce qui ne le différencie alors pas sensiblement d’un assistant à maîtrise d’ouvrage au sens classique du terme ;
- former un groupement avec un cabinet d’avocat pour exercer la mission en laissant à ce dernier le soin de donner les consultations juridiques et de rédiger les actes sous seing privé.

Bertrand COUETTE - CBC Avocats