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Conflits d’associés et abus de majorité : définition et sanctions. Alexandra Six, Avocat.
Parution : lundi 5 mars 2018
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L’associé minoritaire est contraint de se conformer aux décisions prises par les majoritaires, sauf si ces derniers ont abusé de leurs droits.

L’associé minoritaire peut alors saisir le juge s’il estime que la décision adoptée par le ou les majoritaires est contraire à l’intérêt social d’une part, et a été prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité d’autre part (Cass. com., 18 avril 1861 Schuman Picard).

Il a même été admis, par la Cour de cassation, l’action en nullité d’un minoritaire contre une décision à propos de laquelle il avait pourtant voté favorablement (Cass. com., 13 novembre 2003, n°00-20646).

En pratique, l’existence de cet abus est conditionnée par la réunion de deux éléments :
- un élément objectif : la contrariété de la décision à l’intérêt social ou, à tout le moins, non conforme.
- un élément subjectif : la volonté unique de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. La rupture d’égalité des associés doit être intentionnelle, même si la jurisprudence n’exige plus la caractérisation d’une intention de nuire.

Quant à la charge de la preuve, c’est à l’associé qui se prétend victime d’un abus de majorité d’en prouver l’existence, sous peine de rejet de sa demande (CA Bordeaux, 7 décembre 1989).

En pratique, l’abus de majorité est surtout retenu lors d’une prise de décision de l’assemblée des associés statuant sur la mise en réserve systématique des bénéfices, au détriment de la distribution de dividendes (Cass. com., 22 avril 1976, n°75-10735 et Cass. com., 8 juillet 2015, n°13-14348). Il faut avoir à l’esprit que celle-ci constitue, de facto, l’un des intérêts principaux de la participation des minoritaires.

L’abus de majorité peut également être invoquée à l’occasion d’opérations de restructuration du capital, notamment lors d’un « coup d’accordéon ». Celui-ci n’est toutefois, sauf exception, pas considéré comme constitutif d’un abus de majorité même s’il a pour conséquence d’écarter les minoritaires du pacte social (Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11999). Néanmoins, la Cour de cassation a retenu qu’une telle opération doit être annulée, dans le cas où, malgré l’apurement des dettes de la société, elle a pour unique objectif d’évincer des minoritaires (Cass. com., 11 janvier 2017, n°14-27052).

D’une manière générale, le juge qui constate l’abus de majorité prononce généralement la nullité de la décision prise au cours de l’assemblée ordinaire ou extraordinaire.

Le fondement de cette sanction n’est toutefois pas prévu par les textes légaux. La nullité de la décision prise par abus résulte, en effet, d’une conception doctrinale et d’une pratique jurisprudentielle.

Néanmoins, les tribunaux n’ont pas le pouvoir de modifier une résolution, même prise abusivement à la majorité, sous réserve que l’assemblée soit légalement constituée. En effet, cela reviendrait à ce que l’assemblée souveraine soit substituée dans ses prérogatives (TC Paris, ord. réf., 12 février 1991).

S’agissant de la mise en cause des auteurs, l’action en nullité doit être intentée contre la société puisqu’il s’agit de l’entité ayant pris la décision litigieuse, et ce à travers l’un de ses organes.

Toutefois, il est également possible d’engager la responsabilité des majoritaires afin d’obtenir l’allocation de dommages-intérêts au profit des associés victimes de l’abus. Ces derniers doivent alors se soumettre à la règle du triptyque : démontrer existence d’un abus ainsi que l’existence du lien de causalité entre celui-ci et le préjudice qui en résulte.

Par ailleurs, la crainte d’un abus imminent peut justifier la demande d’administration judiciaire provisoire tandis que la suspicion d’un abus peut légitimer la nomination d’un expert de gestion afin d’en établir la preuve.

Force est de constater que le droit de participer aux décisions collectives, et tout particulièrement de voter lors des assemblées générales, est un droit fondamental de l’associé. Toutefois, l’exercice de ce vote, protégé par le principe de liberté, ne saurait être discrétionnaire. Les tribunaux semblent ainsi apporter une sorte de correctif au pouvoir de la majorité.

Alexandra SIX Avocat en droit des affaires Cabinet ELOQUENCE Avocats Lille et Paris www.eloquence-avocats.com
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