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Analyse de la gestion des moyens de paiement dans le paysage bancaire sénégalais. Par Ousseynou Mbengue.
Parution : mercredi 7 mars 2018
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L’étude de l’environnement bancaire Ouest africain permet de voir la présence de différents acteurs. Il est important de s’interroger sur la dynamique de leurs rapports.
Au cours de cette étude, je me suis intéressé au rôle prépondérant des entreprises de transfert d’argent dans le paysage bancaire sénégalais et de leur impact sur le monopole bancaire.

Quand on analyse le paysage bancaire sénégalais, on remarque une pluralité d’acteurs : il s’agit tout d’abord des établissements de crédits définis par la loi n°2008-26 du 28 juillet 2008 portant réglementation bancaire en son article 2 comme « les personnes morales qui effectuent, au titre de profession habituelle, des opérations de banque ». Il s’agit ensuite des systèmes financiers décentralisés et les établissements financiers à caractère bancaire. Récemment, de nouveaux acteurs sont apparus. Il s’agit des sociétés ou entreprises de services monétaires.
La mise à disposition et la gestion des moyens de paiements est une opération de banque. C’est-à-dire que c’est un service que propose principalement les établissements de crédit tout comme le service de crédit, et celui de caisse. Ainsi le précise l’alinéa 2 de l’article 2 de la loi bancaire de 2008 : « Constituent des opérations de banque, au sens de la présente loi, la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à disposition de la clientèle et la gestion de moyens de paiement. »
Envisagée globalement, elle peut être définie comme une opération de banque c’est-à-dire une opération encadrée par la loi et qui nécessite l’assujettissement à la réglementation bancaire. Envisagée séparément, la mise à disposition renvoie à l’opération par laquelle le titulaire d’un compte demande le transfert de fonds dans une autre agence ou chez un banquier correspondant. Cet envoi peut bénéficier au titulaire du compte (ou son mandataire) ou à des tiers. Alors que la gestion des moyens de paiements renvoie à la régie et la conduite des moyens de paiements définis comme « tout ce qui permet de régler ses dépenses : argent liquide, carte bancaire, chéquier, prélèvement. »

- Une opération soumise à la réglementation bancaire

La mise à disposition et la gestion des moyens de paiements est une opération assujettie aux règles du droit bancaire. Ainsi au terme de la loi bancaire de 2008, « les banques sont habilitées à effectuer toutes les opérations de banque définies à l’article 2, alinéa 2. ». C’est-à-dire qu’il faut impérativement être un établissement de crédit pour pouvoir procéder à ces opérations. Ce qui suppose qu’il faut obtenir l’agrément. A cet effet, l’article 13 de la loi 2008 .26 portant réglementation bancaire dispose : « Nul ne peut, sans avoir été préalablement agréé et inscrit sur la liste des banques ou sur celle des établissements financiers à caractère bancaire, exercer l’activité définie à l’article 2, ni se prévaloir de la qualité de banque, de banquier, ou établissement financier à caractère bancaire, ni créer l’apparence de cette qualité, notamment par l’emploi de termes tels que banque, banquier, bancaire ou établissement financier dans sa dénomination sociale, son nom commercial, sa publicité ou, d’une manière quelconque, dans son activité ».

Ainsi, les demandes d’agrément sont adressées au ministre des Finances et déposées auprès de la Banque Centrale qui les instruit. Elle s’assure de l’adéquation de la forme juridique de l’entreprise à l’activité de banque ou d’établissement financier. L’agrément est prononcé par arrêté du ministre des Finances, après avis conforme de la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine, ci-après dénommée la Commission Bancaire. L’agrément est réputé avoir été refusé s’il n’est pas prononcé dans un délai de six mois à compter de la réception de la demande par la Banque Centrale, sauf avis contraire donné au demandeur.
Il faut aussi préciser à la suite de ceci que les établissements financiers à caractère bancaire peuvent aussi être habilités à pratiquer certaines opérations de banques.
Par ailleurs, autant l’agrément est important, autant le compte bancaire aussi occupe une place prépondérante dans la réalisation de l’opération de banque.
Le compte bancaire est le symbole le plus fort de la relation entre le client et la banque. C’est par l’intermédiaire du compte bancaire que se réalisent une bonne partie des opérations de banque. Il occupe une place importante dans l’analyse de la mise à disposition et gestion des moyens de paiements. Les opérations de virement, de retrait se font à partir du compte bancaire.

Mais qu’en est-il de la pratique aujourd’hui ?

Le constat est que les banques commerciales sont concurrencées dans la gestion des moyens de paiements par de nouveaux acteurs. Jadis, les banques étaient les seules qui géraient tout ce qui a rapport avec les moyens de paiements, les transferts d’argents. Il existait certes quelques ténors comme Western Union ou Money Gram. Mais toujours est-il que ceux-là assuraient des services transnationaux. Difficile de ne pas remarquer ces nouveaux acteurs qui s’imposent au niveau local grâce à une méthode « révolutionnaire » dans la réalisation des services.

Qui sont-ils ?

Ils se nomment Wari ou Joni-Joni, ou encore Yonni ma Cash. Ce ne sont pas des banques. Ils n’ont pas le statut d’établissement de crédit. En réalité ce sont des entreprises à caractère financier ou entreprises de services monétaires. Leur mode d’opération est simple. Elles créent une plateforme et sont rattachées à un réseau de distributeur qu’elles agréent. En retour, elles perçoivent des redevances sur les opérations menées par les distributeurs. Les distributeurs ont le statut de commerçant et opèrent à partir d’un logiciel directement rattaché à l’entreprise.

- Une révolution portée par les entreprises locales de transfert d’argent

Contrairement au mode de fonctionnement des banques, marqué par un certain formalisme et une rigueur obstinée, ces entreprises de transfert d’argent font preuve d’une réelle souplesse dans l’exécution des services car elles se basent sur un atout majeur le téléphone portable. Cette souplesse dans l’exécution des services a le mérite de simplifier le quotidien de millions de personnes qui sont en marge du système bancaire.

- La souplesse dans l’exécution des services

Les entreprises de transfert opèrent avec une grande souplesse. C’est sûrement ce qui pousse les populations locales à s’orienter vers leurs services. Le mode opératoire est simple : il suffit juste de présenter sa carte d’identité et de donner son numéro de téléphone pour pouvoir envoyer ou recevoir de l’argent. De plus, il est désormais possible de recourir à une carte et de procéder aussi aux paiements de factures (eau, électricité, chaîne de télévision).

- Un atout majeur :

Le téléphone portable est l’outil principal qui est à l’origine de cette avancée majeure. Le téléphone portable facilite les opérations de transferts, de versement, de télépaiements. Les services proposés sont basés sur l’usage du téléphone portable parce qu’il permet de dématérialiser toutes les opérations.
Toutefois, il faut préciser que même si les banques commerciales n’ont plus une emprise réelle dans le domaine du transfert d’argent, il demeure qu’elles (avec la banque centrale) ont contribué à la mise en place d’un système favorisant l’émergence du téléphone portable comme support des services financiers proposés. Le rapport de la BECEAO de 2014 portant sur la situation des services financiers via la téléphonie mobile dans l’UEMOA en témoigne : « En adoptant en 2006 un cadre réglementaire souple et incitatif, la Banque Centrale a contribué à la création d’un environnement propice à la promotion des services de paiement basés sur la téléphonie mobile dans l’Union. Depuis 2009, l’offre de nouveaux modes de paiement et de services financiers, en général se diversifie, avec pour support le téléphone portable.
L’utilisation de cet instrument a contribué de manière significative, au relèvement du taux d’accès des populations aux services financiers qui s’est établit, en 2013, à 49,5% pour un taux de bancarisation au sens strict, de 12,2%. »

De même, il faut aussi préciser que loin d’être des rivales, les entreprises de transfert d’argent et les banques commerciales demeurent des partenaires de premier rang et que jusque-là seul le paiement par voie électronique connait cette attraction massive d’entreprise de transfert d’argent. Par exemple, aujourd’hui Wari compte un réseau de 107 banques et 800 institutions de finance partenaires.
Mieux, les banques commerciales se rattrapent en misant sur le mobil Banking.

- Le mobil Banking ou une banque encore plus proche de son client !

Aujourd’hui, la tendance c’est la « banque à distance » ou encore la banque « sans agence » Il s’agit principalement du téléphone mobile. Les banques ont compris l’importance de cet outil pour le client (qui lui est indispensable). De facto se développe le mobile-Banking. Le mobile Banking est défini comme l’offre de services financiers utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle se fait par l’usage de canaux et de canevas de distribution différents de ceux traditionnellement utilisés. C’est d’abord le transfert via mobile de fonds avec des services comme ORANGE MONEY ou YOBAN’TEL. II s’agit également de services de transfert de fonds (sans compte bancaire) à partir d’un téléphone portable mis en place en 2010. Le premier est le fruit d’un partenariat entre la BICIS et la SONATEL. La
BICIS est chargée de l’émission de la monnaie électronique, de la conformité et de la garantie de la bonne fin du service.

Le second est un projet de la SOCIETE GENERALE lancé en 2010. Il s’agit d’un service de transfert d’argent et de paiement de factures affilié directement à la SOCIETE GENERALE DE BANQUE DU SENEGAL à partir du téléphone mobile.
Tout bien analysé, le paysage bancaire sénégalais est en train de connaître de profonds changements. Ces changements ont surtout été impulsés par les entreprises de transfert d’argent en misant sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. A cause de ces dernières, l’image que le citoyen lambda avait des services financiers a aussi changé. La mise à disposition et la gestion des moyens de paiements n’est plus seulement l’affaire des banques. Pour autant ces changements ne sont pas nuisibles aux banques commerciales car elles s’adaptent si bien qu’il ne se crée pas entres celles-ci et les entreprises de transfert d’argent un rapport de concurrence.
Bienheureux est le client qui demeure toujours roi car disposant d’une panoplie de services financiers !

Ousseynou Mbengue
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