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Le droit : un instrument de quelle qualité de justice ? Par Amos Maurice, Docteur en droit.
Parution : mardi 6 mars 2018
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Se basant sur la doctrine juridique relative aux finalités et objectifs du droit, sur la notion et le sentiment de justice ou d’injustice par rapport aux règles écrites et sur les fins des législations ou règles écrites, cet article analyse les genres de justice recherchés, visés ou susceptibles d’être recherchés ou visés par le droit.

1. Introduction. Les auteurs sont nombreux à considérer le droit comme : un instrument de justice ; un instrument dont l’efficacité et la première vertu sont la justice ; un instrument porteur de principes adéquats pour concrétiser ses fonctions et finalités de justice ; un instrument composé de normes justes, de normes conformes à la justice ou « qui prescrivent ce qui peut le plus contribuer à la justice » (Rawls 1997 ; Spitz 2003 ; Bergel 2012 ; Platon – Lois I : 630e, Lois V : 739a ; Lois VI : 754c et 769a ; Politique : 285c et 297b ; République II : 368a et 374e ; Aristote – Politique IV et V : 1342b ; La morale V ; Collard & Roquilly 2010). Toutes les législations visent à atteindre un objectif de justice, tenant compte de leurs motifs et de leur objet logique.

Évidemment la notion de justice reste indissociable du droit, mais de quelle qualité de justice ? D’une justice vertueuse ou d’une justice quelconque ? D’une justice incertaine ou d’une justice relative ? D’une justice parfaitement garantie ou d’une justice déterministe ? En l’absence de critères précis sur le droit et la justice, les fins de justice du droit prennent, sans être exhaustives, des sens divers selon les auteurs. C’est pourquoi je m’évertue à présenter diverses conceptions des fins de justice associées ou susceptibles d’être associées au droit, notamment la justice en tant qu’objet ni « critériée » ni standardisée ni caractérisée, les conceptions d’une justice axées sur la vertu et l’humanisme, la performance, l’équilibre, le mérite, le développement ou le développement durable, de même que celles d’une justice relative ou incertaine.

2. Une justice ni « critériée » ni standardisée ni caractérisée. Sous l’angle terminologique, le droit souffre d’une défaillance inadmissible dans une discipline scientifique ou opérationnelle. Il n’existe ni définition exhaustive ni critères juridiques spécifiques pour caractériser ou apprécier le droit et ses fins de justice. Nul ne peut indiquer en toute probité et avec précision ni ce que le droit est, ni ses limites, ni son contenu, ni ses caractères essentiels ou distinctifs, ni à quel moment il est concrétisé, le droit n’étant ni caractérisé ni standardisé par aucune convention ni aucune norme. Certains dictionnaires définissent le droit comme : « l’ensemble des règles qui régissent la conduite de l’homme en société, les rapports sociaux » (Littré 1873) ; « l’ensemble des règles imposées aux membres d’une société pour que leurs rapports sociaux échappent à l’arbitraire et à la violence des individus et soient conformes à l’éthique dominante » (Échaudemaison 2013) ; « ce qui est moral et juste, l’ensemble des principes moraux et de justice qui sont censés régir les relations entre les hommes », « ce qui est permis ou exigible selon les principes d’une morale », « le fondement des règles régissant les rapports des hommes en société, et impliquant une répartition équitable des biens, des prérogatives et des libertés » (CNRTL 2012). Cependant, ces considérations n’ont pas vocation à permettre de caractériser juridiquement le droit.

Juridiquement, les termes d’éthique dominante, de conduite de l’homme en société et de rapports sociaux restent imprécis. Il en est de même de ce qui est moral et juste, de ce qui est des principes acceptables d’une morale et de la répartition équitable. Il n’existe pas non plus de critères juridiques établis pour identifier ou caractériser les règles qualifiables de droit ou le type de conduite et de rapports sociaux qui attestent de l’existence du droit. Les règles qualifiables de droit, qui doivent régir la conduite de l’homme en société et les rapports sociaux, le type de conduite et de rapports sociaux appellent dès lors des interrogations, toutes les règles n’étant pas susceptibles recevoir la qualification de droit. L’existence de règles visant à réguler la conduite de l’homme en société et les rapports sociaux n’atteste pas non plus de la réalité du droit, d’autant que beaucoup de zones ou d’espaces communément qualifiés de non-droit font l’objet de règles de la sorte. Ainsi, en l’absence de critères juridiques pour caractériser le droit et la justice, l’objectif-justice reste subjectif et imprédictible et, par conséquent, susceptible de critiques et de faire taxer les règles juridiques d’injustes.

3. Une justice axée sur la vertu et l’humanisme ? Selon Platon et Aristote, la justice résulterait d’un droit qui sert d’instrument de perfectionnement de l’homme et de la cité, de bien-être, de bien-vivre, de bonheur maximal, de vertu totale, de triomphe pour le juste, du convenable, du possible. Ce droit serait composé : de normes vraies, justes, perfectionnistes et nécessaires, pour une cité idéale (Platon – Lois I : 630e, Lois V : 739a ; Lois VI : 754c et 769a ; Politique : 285c et 297b ; République II : 368a et 374e) ; de règles axées sur la proportionnalité, l’égalité, un milieu entre les actes dommageables et la réparation de ces actes par leurs auteurs, entre le plus, ou le trop d’un côté, et le moins, ou le trop peu de l’autre, sur la bienveillance des législations (Aristote – Politique IV et V : 1342b ; La morale V). Pour More, cette justice résulterait, de plus : d’un droit modéré, mesuré ou axé sur le juste milieu au service d’une cité idéale, de la célérité des procès ; d’un droit qui apporte des remèdes adéquats aux maux politiques, économiques et sociaux ; d’un droit préventif et permettant de résoudre les problèmes divers ; d’un droit qui ne sert pas à envenimer les plaies sociales, accentuer les inégalités et la misère publique, les [abus de pouvoir] ; de peines utiles et proportionnelles aux actes ; d’une bonne administration des États et d’un système pénitentiaire optimal, l’extrême droit étant, pour lui, une injustice extrême (summum jus, summa injuria) (More 1516 : 12-18). Comme s’interroge More (1516 : 16), « [savants légistes, au lieu de faire] souffrir aux voleurs des tourments affreux ; ne vaudrait-il pas mieux assurer l’existence à tous les membres de la société, afin que personne ne se trouvât dans la nécessité de voler d’abord et de périr après ? ». [Savants légistes], « Si vous ne portez pas remède aux maux que je vous signale, ne me vantez pas votre justice ; c’est un mensonge féroce et stupide » (More 1516 : 16). Chez More, les dispositions du droit pénal doivent permettre d’assurer la transformation du condamné ou du délinquant en honnête homme, la réparation des maux causés à la société par l’auteur de l’infraction et la résorption des causes de la criminalité et de la délinquance. « La loi frappe pour tuer le crime, permettre au condamné de devenir honnête et de réparer le mal qu’il a fait à la société » (More 1516 : 19).

4. Une justice axée sur la performance ou les résultats ? Selon le Conseil d’État et la juridiction administrative en France (2009), les dispositions juridiques seraient un instrument de performance juridictionnelle, pour une justice de qualité. Elles devraient garantir : 1. L’accès à la justice ; 2. La célérité du procès et l’optimisation du temps judiciaire ; 3. La stabilité et la prévisibilité des jugements qui sont source de sécurité juridique pour les justiciables ; 4. La qualité de la relation entre le juge et les parties ; 5. L’intelligibilité des décisions rendues ; 6. La possibilité d’obtenir l’exécution des décisions ; et 7. L’acceptabilité sociale de la justice rendue, c’est-à-dire la légitimité de cette justice et la confiance qu’elle suscite auprès des justiciables. D’autres auteurs (National Center for States Courts 2005 ; Mbongo 2007 : 33), qui vont dans le même sens, pensent que le droit devrait permettre de gérer entre autres : l’impartialité des juges, l’âge des affaires en stocks et les contentieux, les taux respectifs d’évacuation des affaires (ratio affaires entrées, affaires sorties), de satisfaction, la qualité du dossier, le coût par dossier. Toutefois, ces modèles de pensées méritent d’être approfondis davantage, tenant compte de l’altérabilité de la notion de performance ou de résultats. Tout au moins, cette performance devrait poser les critères de qualité et d’efficience des résultats et s’attaquer au système juridictionnel archaïque incompatible à la performance juridictionnelle, notamment aux procédures et voies de recours traditionnelles et anormalement longues qui mettent en péril la justice.

5. Une justice axée sur le mérite et la proportionnalité ? La justice peut être considérée comme l’acte ou le fait de rendre à chacun ce qui lui est dû, de punir, traiter ou récompenser quelqu’un comme il le mérite (de manière proportionnelle à ses actes, faits et efforts, son talent, ses qualités professionnelles, morales ou intellectuelles), dans les conditions raisonnables ou les meilleures possible, dans les meilleurs délais possibles, de la façon la plus intelligible, la plus prévisible, la plus préventive, la plus acceptable, la plus simplifiée, la plus fiable, la plus impartiale et la moins préjudiciable, de façon à ne pas dénier, violer ou préjudicier aux droits de la personne, aux libertés fondamentales et à l’égalité devant les règles, de sorte que le dû rendu, la peine infligée, le traitement ou la récompense accordé puisse contribuer le plus possible au bien-vivre, au bonheur maximal des citoyens, à la vertu, à l’unité, à la paix sociale et à l’ordre public. La justice n’est pas un objectif abstrait comme on tend souvent à le faire croire. Elle est simplement un objectif imparfaitement caractérisé. Dans le système français, par exemple, il est tout à fait possible d’obtenir une justice avec certains de ces critères dans certains cas. La possibilité de rechercher la responsabilité de l’État français dans les dommages causés par le fait des lois ou le fonctionnement défectueux du service de justice (COJ : art. L141-1) est un aspect considérable dans les efforts vers l’objectif de justice. Le seul bémol, c’est que le temps à mettre, les procédures à accomplir et les voies de recours à épuiser avant d’obtenir cette justice sont anormalement complexes.

6. Une justice axée sur l’équilibre, la pondération et l’impartialité ? Si l’on se réfère au symbole de la Justice et du droit, généralement représentée par une déesse aux yeux bandés avec une épée ou un glaive (à double tranchant) à une main, une balance dans l’autre, on admettra que le droit symbolise l’équilibre ou l’harmonie, l’impartialité, l’ordre équitable. La balance symbolise le principe d’équilibre, de mesure des forces, de densité et un mécanisme de pesée, la pondération, l’impartialité, qui implique de ne pas avantager ou désavantager les uns par rapport aux autres dans la société, de ne pas créer de déséquilibres entre les couches sociales, les catégories professionnelles. Au regard de cette allégorie, le droit n’est rien d’autre que l’ensemble des règles qui permettent d’assurer l’équilibre parfait entre les forces et classes opposées naturellement ou qui sont susceptibles d’être en opposition sur la balance, à savoir : entre dirigeants et dirigés, entre administration et administrés, entre assureurs et assurés, entre banquiers ou établissements bancaires et leurs clients, entre employeur et employé ou salarié, entre riches et pauvres, entre juges et justiciables, entre législateur et sujets d’une législation, entre producteurs, fournisseurs, distributeurs et consommateurs, entre pasteurs et fidèles, entre vendeurs et acheteurs, entre formateurs et élèves, entre commerçants et clients, entre personnes de sexe opposé, entre les professions…
Au regard de l’allégorie ou du symbole du droit, le droit digne est celui qui prévient ou qui permet de faire l’équilibre entre le dommage et sa réparation, entre le coût, la qualité et l’utilité des produits ou services et leur prix de vente, de prévenir les déséquilibres et injustices, de même que les sentiments d’injustice ou de déséquilibre. Au regard de son symbole, le droit n’est pas simplement un ensemble de règles à caractère contraignant, régissant le comportement et les rapports des hommes en société. Tout au moins, les règles doivent reposer sur un « juste rapport, une proportion harmonieuse entre les forces ou classes opposées », une « convenable pondération ». La contrainte créée ou exercée par les règles doit être équilibrée, proportionnée, impartiale et équitable. Les comportements et rapports des hommes doivent reposer sur l’équilibre, le partage égal des chances, l’harmonie, la proportionnalité des sanctions, de sorte que les règles « ne basculent ni d’un côté ni de l’autre », qu’aucune classe ou force économique ne soit ni avantagée ni désavantagée par rapport à une autre. Pourtant, les législations actuelles sont encore très loin du symbole du droit.

7. Une justice axée sur le développement ? Au regard du paragraphe 2 de la Déclaration sur le droit au développement, une justice axée sur le développement se matérialise à partir de trois indicateurs : le bien-être ou la quête incessante de bien-être (politique, économique, culturel, social…) pour l’ensemble de la population et de tous les individus ; le partage équitable des droits, biens et richesses ; la participation active, libre et significative de tous à l’élaboration du droit. Cette justice résulte nécessairement d’un développement des États, des institutions interétatiques, étatiques, communautaires, régionales, locales (publiques comme privées), des législations publiques ou privées, c’est-à-dire de les formater de façon à ce qu’ils puissent constituer des instruments de bien-être pour leur public et tous leurs individus, que leurs bienfaits puissent être équitablement partagés et qu’ils soient le fruit de la participation active, libre et significative de tous. Ce sera probablement l’un des grands chantiers de réforme du 21e siècle et la réforme la plus complète de l’histoire des peuples et des États. Plus précisément, cette justice se matérialise, entre autres, par l’éradication des phénomènes de SDF (sans domicile fixe), de la faim, de la pauvreté et de l’insécurité.

8. Une justice axée sur le développement durable ? Le terme de développement durable semble être utilisé pour renforcer le caractère préventif du développement, étant entendu que tout développement implique nécessairement la prévention des risques et la prise en compte des générations et besoins futurs. Au regard de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, une justice axée sur le développement durable implique, entre autres : de placer les êtres humains au centre du développement durable ; d’éradiquer convenablement et durablement les maux politiques, économiques et sociaux, la pauvreté, les facteurs de frustrations et de déséquilibres sociaux, les modes de production et de consommation non viables ; de satisfaire équitablement les besoins des générations présentes en tenant compte de ceux des générations futures ; de sécuriser durablement les hommes sur les plans environnemental, économique et social ; de prévenir les risques provenant des institutions et des législations pour l’homme ; de garantir un avenir meilleur pour tous. Cette justice exige que toutes les politiques publiques concilient « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » (Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 : art. 6), et qu’elles permettent de résoudre les problèmes et les grands maux à partir de leurs causes. Elle devrait permettre de trouver des solutions durables à la problématique du terrorisme (politique, administratif, économique, social…), des migrations humaines, des instabilités politiques et des conflits. Cette justice passera nécessairement par une réforme profonde des législations destinées à régir les relations entre les personnes privées, en vue de faire en sorte qu’elles reposent sur l’équilibre.

9. Une justice distincte de celle des régimes de non-droit ? Nombreuses sont les personnes qui pensent que le droit n’est pas toujours juste ou qu’il est injuste. Leur constatation de la réalité juridique peut se comprendre, tenant compte de la mauvaise qualité de certaines législations, mais le droit (idéal ou écrit) n’a d’autres fins que la justice. Celle-ci ne constitue pas un Saint Graal ou un rêve hors d’atteinte et auquel on devrait renoncer par résignation. Les régimes qui établissent et régissent l’esclavage, l’apartheid, le déséquilibre entre les hommes et les femmes, le statut d’infériorité des femmes et les formes de statuts et d’exploitations apparentés servaient à régir l’injustice et le non-droit. Ces régimes et leur époque étant révolus, des législations justes deviennent un impératif. Cet objectif demeure possible à la condition que les législations ne dépendent plus des spéculations, choix et votes politiques et qu’elles ne soient plus susceptibles d’être utilisées à des fins particularistes, électoralistes ou incertaines. Sans aucun doute, la justice attendue des régimes actuels diffère de celle des régimes anciens de non-droit, mais c’est une justice relative.

10. Une justice relative ? Sous l’angle de la notion et du sentiment de justice et des attentes souvent quelconques des justiciables, les fins de justice du droit sont très relatives. Le droit peut constituer un instrument de légitimation de l’injustice, d’autant que le processus (politique) de son instrumentation (technique de fabrique, d’élaboration, d’utilisation, de mise en œuvre ou d’application du droit) ne permet pas d’objectiver et d’atteindre convenablement la justice comme fins. La mobilisation des ressources disproportionnées et d’un nombre trop important de personnes pour élaborer des lois à des fins de justice incertaines, sans leur exiger une expertise juridique, accentue le sentiment d’injustice du droit. À cela s’ajoutent les juridictions, qui ne sont pas faites de façon à rendre la justice suivant les besoins et convenances, mais à appliquer les règles établies. Maître Éric Dupond Moretti avait peut-être raison lorsque, dans une récente plaidoirie devant la cour d’appel de Paris, il s’est adressé à la cour en disant : « [j]e vous supplie de ne pas l’envoyer en prison. […] [Mon client] en prison, ce n’est pas une décision de justice ». Au regard de la justice espérée par More, ce n’est pas une décision de justice, mais une décision rendue par une juridiction, qui n’a ni un objectif, ni une obligation, ni une responsabilité de justice, encore moins de prévenir l’injustice et les risques de ses décisions. Au regard de cette conception de justice, aucune décision de justice ne saurait condamner à la prison ferme un homme dont la liberté ne constitue pas un danger pour la société. Aucune décision de justice ne saurait ignorer l’efficience ou l’inefficience d’une peine d’emprisonnement et des peines alternatives éventuellement plus efficientes et plus dissuasives que l’emprisonnement ferme. En revanche, au regard de la conception qui présente la justice comme l’acte de rendre à chacun ce qui lui est dû, l’acte de punir ou de traiter quelqu’un comme il le mérite, la décision rendue par la cour d’appel de Paris à l’encontre du client de Maître Dupond-Moretti est bel et bien une décision de justice. C’est une décision de justice, dès lors que le condamné mérite la peine prononcée à son encontre. En ce sens, la justice qui résulte des législations actuelles reste très relative.

11. Une justice incertaine au regard des législations et du processus législatif et réglementaire. Il ne faut tout de même pas se leurrer. Les fins de justice du droit ne sont garanties ni par les procédures législatives et réglementaires ni par le système de mise en œuvre et d’application des règles. Les moyens employés présentement ne permettent pas nécessairement d’atteindre ces fins. Les termes de droit et de justice ne sont pas caractérisés juridiquement. Nombreuses législations contiennent des règles injustes ou apparentées au non-droit, à l’instar des régimes de contrôle de l’utilisation du sol qui permettent l’octroi de permis de construire sans aucune garantie de construction ni prévention des mesures rectificatives, de mise en conformité des travaux ou de démolition, qui sont très préjudiciables à l’économie des bénéficiaires de ces permis ou usagers d’urbanisme. Il en est de même des législations sur les assurances risques qui tiennent les sujets tenus de prendre une couverture d’assurance risques, sous peine de poursuites pénales et de pénalités de retard, et de verser des sommes pouvant être supérieures à la valeur du bien couvert, sans aucun droit à un remboursement en cas de non-survenance du risque et sans une garantie certaine du droit de jouir ou de bénéficier de la police d’assurance en cas de survenance du risque couvert. Il en serait de même des régimes bancaires qui avantagent anormalement les banquiers ou établissements bancaires au détriment de leurs clients. À bien juger, les régimes, qui avantagent une force, une classe ou un secteur contre un autre, n’ont pas une fin de justice, mais ils n’ont pas non plus une fin délibérée d’injustice.

12. Une justice axée sur les procédures et non sur la raison. Les règles juridiques se révèlent très injustes lorsqu’elles fondent la justice sur les procédures et non sur la raison. En réalité, les règles de procédures ne sont pas toujours compatibles à la notion de justice, à l’équité, la logique du droit, la vérité, la réalité, encore moins au bon jugement et au bon sens. Ainsi, les décisions qui en résultent dénaturent les fins du droit. Certains délais de prescription et de procédures sont trop courts. Dans certains systèmes juridiques, il existe même des codes de délais de procédures ; ces délais ne suivent pas toujours un principe d’organisation permettant de les mémoriser facilement. Souvent trop complexes, ils entraînent des conséquences désastreuses ; à la moindre erreur sur un délai de procédure, c’est la perte assurée d’un procès. Par ailleurs, certaines procédures ne sont pas nécessaires. D’autres ne font qu’entraver la notion ou l’objectif de rendre des décisions justes. Pour cause, beaucoup d’innocents sont souvent condamnés, beaucoup de criminels, souvent relaxés. De petites erreurs de procédures causent de grands préjudices de justice. Or, les systèmes juridictionnels ne permettent pas toujours de prévenir ces erreurs. À cela s’ajoutent les risques de crocs-en-jambe procéduraux, de procédures soufflées et de jugements et arrêts illégaux. Pire encore, dans les systèmes où la responsabilité des auxiliaires de justice n’est pas garantie c’est aux clients de payer le pot cassé. Une justice axée sur les procédures et pas sur la raison est donc une justice indigne, qui détermine les sentiments d’injustice du droit et les frustrations sociales à l’égard du droit, des juridictions et de l’administration.

13. Une justice dépendante d’une mauvaise organisation juridictionnelle. Il y a lieu de faire remarquer que le système juridictionnel, mal managé, ne répond pas aux finalités et objectifs de justice du droit. Les juges ne sont pas convenablement responsabilisés. Les attributions juridictionnelles et le mode d’organisation des degrés de juridiction et des voies de recours ne sont pas de nature à permettre de rendre des décisions justes et dans les délais raisonnables. La profession d’avocat est d’ailleurs organisée de manière antinomique avec la notion de justice et les besoins des justiciables. Monsieur ou Madame le Législateur, moi, administré, lorsque je réclame un droit ou un service de l’administration, je ne m’attends pas à une décision quelconque susceptible de recours, mais à une décision dont la qualité et régularité soient préalablement assurées dès le premier degré. Dès lors qu’il est possible d’assurer ou de garantir préalablement la régularité ou la légalité d’une décision administrative, toute décision administrative irrégulière ou illégale est pour moi une décision délibérément injuste. Moi, sujet de droit, je ne m’attends pas à devoir déterminer quelle juridiction est compétente pour trancher mes différends. Si la juridiction saisie est incompétente, c’est à elle de transmettre mon dossier devant celle qu’elle croit compétente. C’est aux juridictions de résoudre entre elles les questions de compétence ou préjudicielles pour éviter de me balader ou me transformer en balle de ping-pong entre elles. Lorsque je demande à une juridiction de me rendre justice, je ne m’attends pas à une décision quelconque qui puisse m’exposer à d’autres voies de recours et susceptible d’être réformée ou annulée en appel, encore moins d’être révisée ou censurée par une Cour suprême pour non-conformité aux règles de droit. Je m’attends à une décision digne qui puisse prévenir les défauts qui la rendraient susceptible d’être réformée, annulée ou censurée pour non-conformité aux règles de droit. Lorsque je saisis une juridiction, je ne m’attends pas à faire plusieurs degrés ou tous les degrés de juridiction ou à épuiser plusieurs voies de recours pour pouvoir obtenir une décision acceptable. S’il existe des risques qu’une décision rendue par une juridiction de premier degré soit défectueuse ou injuste, c’est au droit de prévenir ces risques, de prévoir les possibilités de correction préalable des décisions de justice par des juges de contrôle préalable de la qualité, des juges de cour d’appel et des juges de cassation ? Il est anormal et insensé qu’une juridiction me remette une décision susceptible d’être réformée, annulée ou cassée par une autre pour non-conformité aux règles de droit, dès lors qu’il est possible à ce degré de juridiction de rendre une décision conforme aux règles de droit et de manière à ce qu’elle soit la moins susceptible possible de réformation, d’annulation, de cassation ou de censure. Moi, je m’attends à une décision totale et la moins susceptible possible de réformation, d’annulation, de cassation ou de censure pour violation des droits de l’homme. Une telle décision me paraît un dû de l’État à tout sujet de droit, un droit à garantir dès le premier degré de juridiction, un droit qu’aucune législation ne devrait se permettre de trahir.

14. Conclusion : une justice souvent préjudiciable par déterminisme. À bien des égards, les fins de justice du droit peuvent être considérées comme relatives ou incertaines, mais aucune législation n’apparaît avoir une fin d’injustice ou de malveillance délibérée. En théorie, les fins du droit sont toutes bienveillantes. Les aspirations à un droit juste sont tout à fait fondées, cet objectif étant réalisable. L’évolution actuelle des législations dans de nombreux pays permet d’espérer un droit plus juste ou proche du droit idéal, même s’il reste encore beaucoup d’efforts à faire. En revanche, les fins du droit sont souvent altérées par les mécanismes législatifs, exécutifs, administratifs et juridictionnels. Les injustices résultant des législations ont pour causes le mauvais management public des systèmes législatif, exécutif, administratif et juridictionnel. Une réforme systémique axée sur l’objet-justice et une convention sur les critères précis de cet objet permettront de se rapprocher du droit juste idéal. Tout au moins, il convient d’être prudent pour ne pas basculer dans un extrême droit, pour ne pas passer d’un régime oppressant à l’égard des femmes à un autre offensant à l’égard des hommes ou d’un régime préjudiciable aux pauvres à un autre dangereux pour les personnes fortunées.

Bibliographie

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Docteur en droit public (Université de Poitiers)