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La fin de la « vocation naturelle » du délégué syndical à participer aux accords collectifs. Par Olivia Reulier, Etudiante.
Parution : jeudi 8 mars 2018
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La sixième ordonnance 2017-1718, destinée à corriger et à préciser certains points prévus par les cinq ordonnances de septembre 2017, a été publiée au Journal Officiel du 21 décembre 2017.
En son article 1er, 111°, celle-ci offre désormais la possibilité au conseil d’entreprise de négocier et de conclure tout type d’accord ; prérogative qui appartenait, auparavant, aux seuls délégués syndicaux. Par conséquent, se pose la question de la fin de la place privilégiée des délégués syndicaux dans la négociation et la conclusion des accords et conventions d’entreprise, et d’établissement.

L’auteure est membre de la Clinique juridique de la Sorbonne.

Les délégués syndicaux poussés vers la sortie de leur statut privilégié.

Le délégué syndical est l’interlocuteur privilégié de l’employeur lors des négociations et conclusions d’accords collectifs.
Il est mis en place dans les entreprises de plus de 50 salariés. Il doit obtenir au moins 10% des suffrages, en son nom propre [1], lors du premier tour des élections des titulaires du comité social et économique [2].
Il est désigné par le syndicat représentatif qui a lui-même obtenu 10% des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles.

Si le délégué syndical est le partenaire privilégié de l’employeur lors des négociations, il n’a pas « un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective » mais une « vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs » (décision 96-383 DC du 6 novembre 2006 rendue par le Conseil constitutionnel).
En effet, il est possible pour l’employeur de négocier avec des salariés mandatés, élus ou non (voir sur ce point les articles L. 2232-23-1 et L. 2232-24 suivants du Code du travail).

Cette « vocation naturelle » du délégué syndical à participer à la négociation et à la conclusion des conventions et accords collectifs pourrait être concurrencée par un nouvel acteur : le conseil d’entreprise.
La mise en place de cette nouvelle instance, introduite par l’article 1er de l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 est subordonnée à la mise en place du comité social économique.

La mise en place du conseil d’entreprise.

Pour être institué, le conseil d’entreprise doit résulter d’un accord (article L. 2321-2 Code du travail). La nature de cet accord diffère selon que l’entreprise est pourvue, ou non, de délégué syndical.

Pour les entreprises dépourvues de délégué syndical, il s’agit d’un accord de branche étendu (accord ayant fait l’objet d’un arrêté d’extension de la part du ministre du travail et qui s’applique à tous les employeurs relevant de son champ d’application - géographique et professionnel - alors même qu’ils ne sont pas affiliés à un groupement d’employeurs signataires).

Pour les entreprises pourvues de délégué syndical :

Jusqu’au 1er mai 2018, le conseil d’entreprise peut être institué selon l’ancien régime de l’article L. 2232-12 du Code de travail : la validité de l’accord est subordonnée à sa signature « par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel, ou, à défaut des délégués du personnel (…) et en l’absence d’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés à ces mêmes élections ».

A partir du 1er mai 2018, le nouveau régime de l’article L. 2232-12 alinéa 1 du Code de travail s’applique : « La validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement est subordonnée à sa signature par, d’une part, l’employeur ou son représentant et, d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique ».

Attention : L’article L. 2321-2 du Code du travail ne renvoie qu’au premier alinéa de l’article L. 2232-12 du Code du travail. Par conséquent, si la condition prévue par cet alinéa n’est pas remplie, il n’est pas possible de conclure l’accord instituant le conseil d’entreprise en recourant au référendum : « Si cette condition n’est pas remplie et si l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages disposent d’un délai d’un mois à compter de la signature de l’accord pour indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l’accord. Au terme de ce délai, l’employeur peut demander l’organisation de cette consultation, en l’absence d’opposition de l’ensemble de ces organisations ».

Les accords négociables par le conseil d’entreprise.

Le conseil d’entreprise sera également une instance ayant capacité à négocier tout type d’accords, puisque les exceptions qui étaient mentionnées sous l’ancien article L. 2321-1 du Code de travail ont été supprimées par la sixième ordonnance.

Les délégués syndicaux voteront-ils l’accord mettant fin à leur privilège ?

Des contreparties sont prévues en échange de la mise en place du conseil d’entreprise telles que la « hausse de la subvention versée au conseil économique et social ou une valorisation des parcours syndicaux » [3].
Il s’agit surtout de l’obligation pour l’employeur, de prendre en compte « l’avis conforme » du conseil d’entreprise dans les décisions qu’il prendra en matière de formation.

Si l’on ignore encore si les délégués syndicaux décideront, par accord, du partage de leurs prérogatives, l’intention de l’ordonnance est affirmée : accorder à l’institution (le conseil d’entreprise) un « pouvoir de codécision » [4].

Ainsi, l’objectif des ordonnances est d’établir un partage du statut privilégié des délégués syndicaux avec le conseil d’entreprise dans la négociation et la conclusion d’accords collectifs. Cependant, reste à savoir si les délégués syndicaux voteront la mise en place du conseil d’entreprise, ce qui sonnerait le glas de l’époque de leur « vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs » [5].

Olivia Reulier, Master 1 Droit social, Membre du Pôle Social de la Clinique juridique de la Sorbonne

[1L’article L. 2143-3 alinéa 2 du Code du travail prévoit une dérogation au principe de l’obtention des 10% par le délégué syndical en son nom propre : « Si aucun des candidats présentés par l’organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement. »

[2L’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 prévoit la mise en place du « comité social et économique » (CSE) qui reprend certaines attributions des délégués du personnel, tels que le comité d’entreprise, le comité d’hygiène et de sécurité. Il doit être mis en place dans toutes les entreprises de plus de 11 salariés à partir du 1er janvier 2018 et au plus tard le 1er janvier 2020.

[3ean-Emmanuel RAY, « Pourquoi instaurer un conseil d’entreprise ? », Le Monde, 8 janvier 2018.

[4Selon les termes du rapport accompagnant l’ordonnance publié au Journal Officiel.

[5Décision 96-383 DC du 6 novembre 2006 rendue par le Conseil constitutionnel.