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L313-1, R313-1 et L312-8 : piliers du calcul du taux effectif global. Par Laurent Rahuel, Ingénieur.
Parution : vendredi 9 mars 2018
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Une décision récente de la Cour de cassation (Chambre civile 1, 6 décembre 2017, 16-24.620) soulève quelques questions légitimes pour l’esprit cartésien de l’interprétation que font certains du contenu de ces articles.
Il est pourtant strictement impossible de pouvoir juger si un taux effectif global est correct quand les obligations de ces trois articles ne sont pas réunies dans un tout mathématique cohérent.
A moins, bien entendu, que le magistrat se considère au dessus des mathématiques et/ou qu’il ne pense que le législateur ne savait pas trop de quoi il parlait quand il a rédigé ces articles.

La décision en question casse et annule, en toutes ces dispositions, un arrêt de cour d’appel qui avait condamné un établissement bancaire sur la base d’un TEG qu’elle jugeait erroné. Ce TEG était, pour la cour d’appel, forcement faux car tous les montants d’assurances n’avaient pas été pris en considération dans le calcul.

En effet, le coût total du crédit stipulé dans le contrat de prêt incluait, entre autre, deux postes distincts d’assurance :

Dans son arrêt, la Cour de cassation indique qu’il est clairement stipulé que les 8.100 € litigieux sont liés à une assurance facultative et qu’ils ne peuvent donc être considérés comme une condition d’octroi du prêt. Dès lors, le calcul du TEG de ce contrat de prêt ne devait pas les prendre en compte.

Comme nous l’avons vu dans un article précédent (De l’incompréhension de R313-1 et règle de la décimale), la Cour de cassation s’autorise quelques largesses avec les mathématiques et la notion d’égalité. Il est heureux de constater que certaines juridictions font preuve d’un esprit critique envers ces pratiques et qu’elles demandent à en savoir plus sur le bien fondé de ces méthodes (cf L’interprétation discutable de la notion de décimale.).

Avec l’arrêt que nous étudions dans cet article, elle considère maintenant que les conditions particulières ou les énoncés stylisés d’un contrat de prêt sont suffisants pour ne pas respecter les mathématiques et la logique booléenne de base imposées par le Code de la consommation.

La démonstration est pourtant triviale.

L’article L313-1 du Code de la consommation indique de façon précise ce qui doit être pris en compte dans le calcul du taux effectif global. Son premier alinéa est limpide :

Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels.

Le calcul du TEG se fait donc sur la base de tous les frais qui sont une condition d’octroi du prêt. Si l’emprunteur refuse de s’y plier, la banque ne lui accordera pas le prêt.

L’article R313-1 de ce même code réaffirme ce point :

Le taux de période est calculé actuariellement, à partir d’une période unitaire correspondant à la périodicité des versements effectués par l’emprunteur. Il assure, selon la méthode des intérêts composés, l’égalité entre, d’une part, les sommes prêtées et, d’autre part, tous les versements dus par l’emprunteur au titre de ce prêt, en capital, intérêts et frais divers, ces éléments étant, le cas échéant, estimés.

Là encore, il est bien clair que le calcul du TEG se fait sur la base de tous les coûts qui conditionnent l’octroi du prêt.

Le lecteur qui sera arrivé jusqu’à cette ligne aura sûrement le réflexe suivant : Donc si l’assurance en question est stipulée comme facultative, elle n’est pas obligatoire. Elle n’est pas une condition d’octroi du prêt et la Cour de cassation a bien fait. En résumé, cet article ne sert à rien.

Et bien, non. Cet article ne sert pas à rien et cette assurance n’est pas aussi facultative qu’il n’y parait.

Pourquoi ?

Simplement car nous sommes arrivés à un point où nous ne savons qu’une chose : On calcule le TEG sur la base de tous les frais qui conditionnent l’octroi du prêt.

Bref, le législateur aurait-il laissé au bon vouloir du prêteur et à sa probité légendaire le soin de déterminer lui-même, dans son coin, ce qui rentre dans l’assiette de calcul du TEG sans que le consommateur ne puisse avoir un regard critique et un décompte précis de cette assiette ?

La réponse est non.

Le TEG n’est pas une notion abstraite de droit, il s’agit uniquement de mathématiques. Pour que deux personnes tombent d’accord sur un calcul mathématique, il ne suffit pas qu’ils utilisent tous les deux la même formule. Il faut aussi qu’ils utilisent tous les deux les mêmes hypothèses.

Par exemple, si deux personnes doivent vérifier que le temps nécessaire pour se rendre à vitesse constante à Paris est bien celui indiqué sur le prospectus de la compagnie de transport, il faut qu’ils partent tous les deux du même point et suivent le même trajet. Si un part de Rennes et l’autre de Marseille, il ne pourront jamais tomber d’accord. Pourtant ils utilisent la même formule. Temps = Distance / Vitesse.

Dans le cadre du TEG, c’est exactement la même chose. Les hypothèses de calcul doivent être les mêmes que l’on soit emprunteur ou prêteur. Il faut donc que ces hypothèses soient décrites et vérifiables précisément dans le contrat de prêt.

Dans un article précédent (Le T(A)EG : Outil de mesure du coût réel du crédit.), nous avons démontré que TEG et TAEG n’ont qu’un seul but : afficher, sous forme d’un taux, le coût total du crédit à l’emprunteur.

Nous avons démontré que le calcul du TEG revient à calculer le taux qui appliqué au capital réellement disponible produira le même coût total pour l’emprunteur.

Il est donc simple de déterminer le montant des frais qui ont été pris en compte dans le calcul du TEG : Coût total du crédit - Montant emprunté

Nous connaissons maintenant un moyen de connaître le montant global des frais qui a été utilisé par le prêteur pour effectuer son calcul du TEG mais comment vérifier ce qu’il prend en compte unitairement ?

Le législateur est un fin mathématicien dans ce cas, car il a tout a fait prévu ce besoin d’énumération des frais à utiliser dans le calcul du TEG. Il l’a même indiqué noir sur blanc dans l’article L312-8 de ce même Code de la Consommation.

Il s’agit d’un article qui précise ce qu’un contrat de crédit immobilier doit à minima définir.

L’alinéa n°3 indique :

Indique, outre le montant du crédit susceptible d’être consenti, et, le cas échéant, celui de ses fractions périodiquement disponibles, son coût total, son taux défini conformément à l’article L. 313-1 ainsi que, s’il y a lieu, les modalités de l’indexation ;

L’alinéa n°4 indique :

Énonce, en donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances et les sûretés réelles ou personnelles exigées, qui conditionnent la conclusion du prêt ;

Donc en combinant ces deux alinéas, il faut que l’offre de prêt indique dans le coût total (objet mathématique représenté par le TEG), l’ensemble des frais qui conditionnent la conclusion du prêt.

Dès lors, si des frais sont indiqués dans le coût total du crédit, quelque soit l’intitulé que le prêteur à bien voulu lui donner, ils doivent être pris en compte dans le calcul du TEG puisqu’ils apparaissent dans un élément contractuel réglementé par le Code de la consommation. Autoriser le contraire reviendrait à admettre que des frais seraient facultatoires (facultatifs et/ou obligatoires). Ce qui rapprocherait le Code de la consommation d’un traité de physique quantique. Difficile à admettre.

D’ailleurs, la méthode de calcul étant équivalente pour les prêts à la consommation, il est aussi possible de se référer à l’article L311-1 de ce même Code de la consommation qui indique encore plus clairement les choses :

Coût total du crédit dû par l’emprunteur, tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes et autres frais que l’emprunteur est tenu de payer pour la conclusion et l’exécution du contrat de crédit et qui sont connus du prêteur, à l’exception des frais d’acte notarié. Ce coût comprend également les coûts relatifs aux services accessoires au contrat de crédit s’ils sont exigés par le prêteur pour l’obtention du crédit, notamment les primes d’assurance. Ce coût ne comprend pas les frais dont l’emprunteur est redevable en cas d’inexécution de l’une de ses obligations prévue au contrat de crédit ;

Et si le juge avait encore un doute sur ce que doit contenir le coût total du crédit, nous le renvoyons à l’article 3 de la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 (concernant les contrats de crédit aux consommateurs) qui indique en n°20 la définition précise du coût total pour le consommateur :

Le coût total du crédit pour le consommateur devrait inclure tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes, la rémunération des intermédiaires de crédit et les autres frais éventuels que le consommateur est tenu de payer dans le cadre du contrat de crédit, à l’exception des frais de notaire. La connaissance réelle que le prêteur a des coûts devrait être évaluée objectivement en tenant compte des règles de diligence professionnelle.

Les mathématiques ne s’attardant pas aux circonvolutions sémantiques des plaidoiries, et sachant que le but d’un TEG ou d’un TAEG est d’exprimer le coût total du crédit, les obligations faites à l’emprunteur et au prêteur lors du calcul de ces taux sont strictement les mêmes :

Déterminer la valeur du taux, calculé sur la base de tous les frais obligatoires énumérés dans le coût total contractuel du crédit, qui produira au centime prêt le même coût réel pour l’emprunteur.

Imaginer le contraire reviendrait à admettre que la notion de coût total du crédit serait variable en fonction du type de crédit et du temps (dates auxquelles ces définitions du coût total du crédit ont été écrites). Ce qui impliquerait aussi que la définition du TEG serait elle aussi variable dans le temps. Ce qui est impossible puisqu’il s’agit d’un objet mathématique sur lequel le temps n’a pas de prise.

Laisser croire aux prêteurs qu’ils peuvent indiquer ce qu’ils veulent dans le coût total du crédit amènera forcement à des dérives contractuelles importantes. En effet, il est facile d’imaginer que pour paraître plus attractive auprès d’emprunteurs profanes, une banque indique dans le coût total du crédit des montants (par exemple d’assurance), et que, par ailleurs, dans une section bien lointaine de ses conditions particulières elle indique que ces mêmes frais sont facultatifs. Nous en revenons à la notion de facultatoire. Elle calculera alors son TEG sans ces montants alors que l’emprunteur profane pense que le TEG proposé embarque ces frais.

Dès lors, le consommateur profane se voit afficher un taux effectif global sans aucune corrélation avec le coût total du crédit inscrit au contrat. Ce qui est mathématiquement impossible.

De plus, accepter cette pratique revient à fausser les règles de la concurrence en acceptant que les établissements qui respectent scrupuleusement les textes soient désavantagés au profit des établissements qui trichent avec les mathématiques.

Il est fort probable que le but premier du Code de la consommation n’est pas celui-ci.

Ingénieur en informatique, Rennes
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