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Vous avez dit Brexit ? Le sort des cabinets anglo-saxons. Par Jérôme Depondt.
Parution : lundi 12 mars 2018
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Face à l’hypothèse augurée d’un « hard Brexit », et, par conséquent, d’une sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne sans même se maintenir dans l’espace économique européen, le sort des cabinets d’avocats britanniques installés en France et notamment à Paris est un sujet majeur, pour lequel il ne faut pas pour autant tirer de conclusions alarmistes.

Sans revenir de façon détaillée sur le droit positif permettant l’installation des cabinets anglo-saxons à Paris, rappelons simplement que la directive 98/5/CE offre la possibilité à tout avocat ou toute société d’avocats exerçant dans un pays membre de l’Union Européenne, de s’établir dans un autre État membre, sous son titre d’origine. Au surplus, l’article 11 de cette même directive prévoit la possibilité d’exercer en groupe par le biais d’une structure d’exercice, soit par l’établissement d’une succursale dans l’État membre d’accueil (le cas des Limited Liability Partnership), soit par le recours à une structure d’exercice de droit interne.
Le Brexit ferait alors perdre aux avocats britanniques le bénéfice de cette directive européenne, puisque la condition de son application est l’appartenance de l’État d’origine à l’Union Européenne.

Au vu de de la chronique annoncée d’un « hard Brexit », certains évoquent des hypothèses radicales, estimant notamment que les LLP inscrites au barreau de Paris seront contraintes de fermer leurs bureaux parisiens, désertant la place parisienne.
Ce pessimisme doit être tempéré à plusieurs titres.
La réalité n’est-elle pas plutôt à traiter en fonction de la théorie des droits acquis, selon laquelle il est impossible de retirer à une personne, fût-t-elle morale, un droit entré dans son patrimoine de façon durable ? En sus de l’analyse purement juridique, l’analyse économique démontre clairement qu’il est sans doute excessif de penser que les cabinets d’avocats anglo-saxons installés à Paris ne pourront plus être en mesure d’y exercer.

Rappelons à titre d’exemple que lors de la fusion des avocats et des conseils juridiques, les droits acquis ont été préservés. En effet, antérieurement à la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990, des cabinets anglo-saxons (tant britanniques qu’américains) étaient installés à Paris sous le bénéfice des dispositions propres à la profession de conseil juridique. Le législateur, soucieux d’appréhender le sort de ces entités, a permis leur intégration en tant que conseil juridique en leur demandant de régulariser leur situation. De cette façon, la loi a opéré une reconnaissance des droits acquis en maintenant ces cabinets sur le sol français.
D’autres imaginent une temporalité s’appliquer au processus, prévoyant trois périodes différentes : celle qui précède le déclenchement de l’article 50 par le Royaume Uni, la période entre le déclenchement et la sortie effective, et enfin la période post-brexit. Or, raisonner ainsi reviendrait finalement à nier les droits acquis ; ce qui paraît impossible puisque le texte des directives continue de s’appliquer à tous jusqu’à la sortie effective. Prévoir plusieurs temps distincts contreviendrait à la liberté de circulation qui constitue l’un des piliers de l’Union européenne.
Deux problématiques doivent alors être dissociées, celle du sort des structures d’exercice anglo-saxonnes et celle du sort des solicitors exerçant en France.

I- Le maintien des structures d’exercice anglo-saxonnes à Paris

Dans l’hypothèse où les droits acquis seraient préservés, aucune conséquence n’est à prévoir pour les cabinets déjà installés à Paris. Tout au plus, il pourrait être enjoint aux LLP de transformer leur structure d’exercice afin de s’adapter au droit français. La solution de l’Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle (AARPI) pourrait sans doute être envisagée comme véhicule juridique permettant la pérennisation des cabinets anglo-saxons. Il s’agirait alors d’envisager l’habillage juridique d’une transformation de la branche parisienne de la structure en AARPI.
Des transformations similaires ont déjà été observées. En effet, des transformations de sociétés civiles professionnelles d’avocats en AARPI ont déjà pu être constatées au Barreau de Paris. L’opération juridique s’est traduite par une transformation constatée par la réunion de l’assemblée générale extraordinaire de la SCP, statuant d’une part sur sa dissolution et d’autre part sur l’appréhension par les associés de façon indivise de la clientèle et du matériel dont ils ont conféré la jouissance à l’AARPI. Le contrat d’ARRPI régissant la structure transformée expose alors dans son préambule, que cette nouvelle structure regroupe les mêmes associés que ceux de la SCP, et que le patrimoine de l’AARPI est repris. Cette reprise s’effectue à périmètre constant, dans la mesure où les associés de la précédente structure restent les mêmes que dans la nouvelle structure constituée. On observe une véritable substitution de l’AARPI à la SCP, l’AARPI reprend le patrimoine de la SCP.

De la même façon, la transformation des succursales françaises de LLP de droit anglais en AARPI pourrait être juridiquement envisagée. Au plan fiscal, et sous certaines conditions, cette transformation pourrait bénéficier d’un régime de neutralité. En effet, l’administration fiscale a déjà eu à commenter ces opérations de transformation et à acter sur la base des dispositions de l’article 151 octies C du Code général des impôts, que lesdites transformations pouvaient, en principe, ne pas emporter les conséquences attachées à une cessation d’activité. Ces opérations pourraient néanmoins être soumises à certaines obligations. Par ailleurs et afin de ne pas bouleverser les modalités de rémunération et de remontée des résultats, il faudrait que l’Ordre autorise un LLP de droit anglais à être membre d’une AARPI sans pour autant y exercer. En toute hypothèse et compte tenu du contexte, il est souhaitable que des discussions soient menées avec l’administration fiscale en parallèle de celles conduites avec l’Ordre afin de donner un maximum de sécurité aux opérations de transformations envisagées.

II- L’inévitable procédure de l’article 100 applicable aux solicitors

Force est de constater que la plupart des avocats exerçant dans les cabinets anglo-saxons détiennent le titre de solicitor, mais également celui d’avocat français. Les solicitors exerçant à Paris ont majoritairement la double qualification de solicitor et d’avocat au Barreau de Paris ; ce qui minimisera de facto l’impact du Brexit.
Rappelons également à toutes fins utiles que jusqu’à la sortie effective de la Grande Bretagne de l’Union européenne, les solicitors inscrits en France depuis plus de trois ans pourront demander à bénéficier de la directive pour être assimilés en tant qu’avocat français. Le sort d’un certain nombre de solicitors sera ainsi d’ores et déjà réglé d’ici au Brexit.
Toutefois, notons que les solicitors souhaitant venir s’installer à Paris après le Brexit devront s’inscrire au Barreau de Paris en qualité d’avocat, quand bien même ils exerceraient au sein d’une structure de type AARPI, puisqu’ils ne pourront désormais plus exercer sous leur titre d’origine.

La procédure de l’article 100 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, applicable aux États tiers à l’Union Européenne, sera alors applicable. Afin d’obtenir le titre d’avocat français, l’avocat étranger devra d’une part, attester de son succès à un examen de contrôle des connaissances (sanctionné par la délivrance d’une attestation permettant de prêter serment en France) et d’autre part, justifier de la condition de réciprocité selon laquelle son État d’origine accorde aux français la faculté d’exercer sous les mêmes conditions l’activité professionnelle que l’intéressé se propose lui-même d’exercer en France.

III- Conclusion

Incontestablement et même dans l’hypothèse d’un « hard brexit, » les structures anglo-saxonnes ne pourront plus venir s’établir à Paris au bénéfice de la directive. Il serait nécessaire d’opter pour un véhicule juridique de droit français avec lequel un accord serait passé (à l’exemple de la convention organique, du cabinet groupé, etc… ).

En somme, si la majorité s’accorde à penser que l’hypothèse du « hard brexit » est un sujet auquel il convient de prêter attention, la théorie des droits acquis ne doit pas être évincée et il convient d’éviter tout constat trop alarmiste.
La fermeture des cabinets anglo-saxons, comme certains l’évoquent, apparaît une hypothèse excessive face au poids économique qu’ils représentent et face au fait qu’ils sont constitués d’avocats français ou de solicitors déjà inscrits depuis au moins trois ans au Barreau de Paris. La seule problématique qui pourrait se poser serait celle de la transformation de ces structures. Il y a fort à parier que des dispositions transitoires seront édictées à cet effet.
Quoiqu’il en soit, au vu de ce qui a déjà été constaté par le passé, il est vraisemblable que les cabinets déjà installés ne seront pas priés de fermer purement et simplement leur établissement, ainsi que certains le prédisent. Si le législateur raisonne comme il l’avait fait en 1990, un statut transitoire sera adopté et la place juridique du Barreau de Paris ne devrait pas souffrir outre mesure du Brexit.

Une piste reste également à considérer, celle des accords transnationaux, à l’image de ceux existant entre l’Angleterre et la République d’Irlande, qui permettraient d’attribuer la nationalité européenne à une structure établie en Irlande.

Jérôme Depondt IFL-Avocats
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