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Fakes News : le gouvernement transmet sa « proposition de loi ». Par Pierre-Xavier Chomiac de Sas, Avocat.
Parution : mardi 13 mars 2018
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Le Président de la République, Emmanuel Macron, victime de campagnes de désinformation sur Internet pendant la dernière campagne présidentielle a précipité dans l’agenda législatif une proposition de loi LREM visant à lutter contre la diffusion des fausses informations dans les médias et sur Internet en période électorale par des groupes d’influences.

Préparé par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, depuis la rentrée 2017, le projet gouvernemental a vocation à se muter en proposition de loi portée par le groupe LREM de l’Assemblée nationale, permettant de se dispenser des obligations de saisie pour avis du Conseil d’état ainsi que la rédaction d’une étude d’impact pour jauger les effets économiques des futures obligations pesant sur les plateformes.

Baptisée provisoirement « Loi de fiabilité et de confiance dans l’information », la future proposition de loi limite son champ d’application au contrôle des ingérences d’une puissance étrangère dans les débats électoraux français. Le texte vise explicitement la protection des élections présidentielles, sénatoriales et parlementaires européennes. L’article 5 modifiant la loi de 1986 vise également l’élection des députés et les opérations référendaires. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la Constitution en matière d’élection présidentielle, le gouvernement a également transmis une proposition de loi organique complémentaire modifiant les articles 3 et 4 de la loi 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Les pistes de réflexion n’envisagent pas de modifier la loi du 29 juillet 1881 ou de préciser la notion même de fausses nouvelles prévue à l’article 27. Le gouvernement semble cependant exclure les contenus visant à promouvoir des biens ou services pour se focaliser sur les contenus d’informations liés à l’actualité, exception faite des contenus parodiques ou satiriques.

Le texte, transmis par le gouvernement le 7 mars dernier, consiste avant tout en une consolidation du contrôle des contenus diffusés sur Internet et sur les médias audiovisuels. La loi complète ainsi l’article 6 de la LCEN en renforçant les obligations à la charge des fournisseurs d’accès et hébergeurs de contenus. Ces derniers seraient tenus de mettre en place un dispositif accessible et visible de signalement de fausses informations. A l’image d’autres formes de contenus illicites tel l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, les intermédiaires techniques seront tenus d’informer promptement les autorités de tout contenu signalé par un internaute – principe du « notice and take down ». Une procédure en référé devant le tribunal de grande instance est ainsi mise en place pour faire cesser la diffusion par tous moyens – déréférencement, retrait des contenus et blocage des adresses IP des utilisateurs voire l’inaccessibilité au site lui-même avec un délai de 48h pour statuer.

Concernant l’audiovisuel, le CSA voit ses pouvoirs étendus lui permettant d’empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés ou sous l’influence par un état étranger portant atteinte aux intérêts de la nation ou participant à une entreprise de déstabilisation de ses institutions / jugée nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public. Le CSA pourra refuser de conclure une convention avec un service n’utilisant pas les fréquences hertziennes, suspendre en urgence la diffusion d’un service par l’intermédiaire d’un référé administratif.

Ces procédures s’inspirent du régime applicable en matière d’obligation de loyauté imposé aux opérations de plateforme à l’égard des consommateurs sur les contenus sponsorisés au-delà d’un certain seuil d’audience. La proposition de loi comprend ainsi une information loyale sur le commanditaire de promotion de contenus d’informations, le montant des rémunérations et l’origine des fonds pour les opérations effectuées à compter de la publication du décret de convocation des électeurs pour les opérateurs de plateforme en ligne dépassant un seuil de nombre de connexion.

L’opportunité de cette proposition de loi est en cause au regard des procédures existantes jugées suffisantes par certains professionnels et de la complexité, en urgence, de qualifier la fausse information. Outre son champ d’application nationalement limité, un tel encadrement législatif inquiète les juridictions qui seraient tenus dans un délai particulièrement court, dans un contexte électoral, de définir ce qui relèverait de la réalité officielle pour la juste information du public. Craignant une « démocratie illibérale », plusieurs acteurs du numérique analysent la loi comme une nouvelle restriction des libertés civiques et l’arme d’un pouvoir autoritaire. Le texte actuel remet de fait en question le principe de neutralité du net toute en permettant des atteintes à la liberté du commerce et de l’industrie à l’égard des plateformes de contenus en ligne ainsi qu’à la liberté des annonceurs commerciaux.

Dans ce contexte, d’autres pistes de réflexion alter législatives sont envisagées. Outre la promotion de l’éducation aux médias, la création d’une instance indépendante, à l’image d’autres pays européens, chargée de l’éthique et de la médiation, qui pourrait répondre aux demandes du public en matière de vérification de l’information.

Les débats parlementaires prévus dans les mois à venir, seront à même de préciser la portée réelle de cette loi en prévision des élections européennes de 2019.

Maître Pierre-Xavier Chomiac de Sas Avocat au Barreau de Paris http://pcs-avocat.com/ ✉px@chomiacdesas.com