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Provoquer une situation de stress et de souffrance au travail constitue une faute grave. Par Sébastien Lagoutte.
Parution : mercredi 14 mars 2018
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La faute grave qui peut seule justifier la mise à pied conservatoire est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la période de préavis. L’enjeu de cette affaire, plaidée devant la cour d’appel de Rennes (9 Mars 2018, n°15/09711), était de savoir si le fait pour un salarié, de provoquer une situation de stress auprès de ses collègues de travail, pouvait entraîner son licenciement pour faute grave.

Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour faute grave après que l’employeur ait appris la souffrance de l’une des collaboratrices qui se plaignait de la pression exercée par le salarié et qu’il ait recueilli divers témoignages relatifs à son comportement, à savoir des menaces, des altercations, l’instauration d’une mauvaise ambiance, le dénigrement, un abus de pouvoir.

La lettre de licenciement était ainsi rédigée en ces termes :
« Les motifs qui m’amènent à devoir prendre cette décision et qui vous ont été présentés lors de l’entretien sont les suivants : votre management inadapté et violent, lequel conduit le personnel à un état de stress et de souffrance morale et qui entraîne un climat insupportable au sein de l’entreprise.

C’est à l’occasion de mon absence cet été que j’ai été sérieusement alerté à l’occasion de l’arrêt maladie de mon assistante Madame G..., laquelle m’a averti par téléphone à cette occasion qu’elle ne supportait plus la pression que vous exerciez sur elle, et que vous ne vous exprimiez plus avec elle que par « post-it » A cette occasion, je me suis rendu dans l’entreprise et ai dû prendre connaissance de tout un enchaînement de plaintes de salariés qui m’ont avoué s’être tus auparavant de peur de perdre leur emploi ; ces personnes m’ont remis des témoignages écrits hélas significatifs de la situation telle qu’elle m’a alors été décrite.

C’est dans ce contexte que lors de l’entretien je vous ai fait part des craintes que j’avais eues déjà suite à des départs récurrents au sein de l’entreprise. En effet, quatre cuisiniers n’ont pas souhaité rester dans la société m’expliquant que vous étiez un chef trop exigeant, très limite dans vos propos verbaux de management, voire insultant.

Votre comportement aussi avec un apprenti m’avait déjà interpellé puisque j’ai dû intervenir face aux durs propos que vous teniez à son égard.

Je vous ai rappelé aussi que mon assistante m’avait donné sa démission en septembre 2013 alors qu’elle était la deuxième personne recrutée après vous.

J’en comprends aujourd’hui les raisons sachant que manifestement vous abusiez de vos pouvoirs particulièrement pendant mes absences, comme cet été pendant que j’étais en congé ».

Saisi du litige, le Conseil des Prud’hommes a estimé que le comportement du salarié n’était pas constitutif d’une faute et que le licenciement était, par conséquent, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Devant la cour d’appel de Rennes, l’employeur a soutenu qu’en vertu de l’obligation de sécurité à laquelle il est soumis, il devait protéger les salariés et qu’en l’espèce, seul le licenciement pour faute grave se justifiait.

Pour le salarié, son comportement n’était en rien constitutif d’une faute et il ajoute que, quand bien même il l’aurait été, l’absence de passé disciplinaire interdisait à l’employeur de prononcer un licenciement pour faute.

La cour d’appel s’est appuyée sur les attestations versées aux débats pour rendre sa décision :

Un cuisinier de la société attestait ainsi que le salarié proférait des menaces comme « se bouger le cul » sinon il l’enverrait en dépression comme il l’avait déjà fait pour d’autres ou « aujourd’hui, si tu me fais chier, je t’éclate » et que, lorsqu’il lui posait une question, soit il le regardait avec un air narquois, soit il faisait une réponse du genre « tu te fous de ma gueule » puis parlait de longues minutes, n’apportant que rarement des réponses claires et précises aux questions qui lui étaient posées.

Une employée administrative de la société déclarait quant à elle que le salarié lui mettait la pression et cherchait à la rabaisser par ses propos, qu’il remettait en cause la façon dont elle travaillait, qu’il lui avait dit qu’il allait lui pourrir la vie, qu’il la dénigrait auprès de ses collègues en proférant de fausses accusations, qu’il ne lui adressait plus la parole depuis le mois de juillet, qu’elle avait été en arrêt maladie une semaine à cause de son comportement, qu’il lui demandait de choisir son camp pour ou contre le patron, ce qu’elle refusait de faire.

Une autre employée indiquait pour sa part que les relations s’étaient dégradées entre le salarié et les autres employés depuis plusieurs mois parce qu’il avait instauré une ambiance malsaine en raison de propos déplacés (« on ne peut pas discuter avec le chef de cuisine »), ne répondait pas aux questions, n’hésitait pas à répondre à un employé « démerde-toi », « il nous prend pour des imbéciles et traite l’ensemble de l’équipe de nul », travaillait de manière solitaire avec le casque sur les oreilles, communiquait avec la secrétaire par post-it et cherche à la discréditer, en particulier auprès de la hiérarchie.

Une dernière employée témoignait enfin que le salarié lui parlait sèchement ainsi qu’à d’autres salariés et qu’elle terminait la journée avec la hantise de revenir le lendemain.

Pour la cour d’appel, ces attestations convergeaient sur la description d’un salarié tenant des propos dévalorisants, n’écoutant pas, communiquant de manière inadaptée, cherchant à discréditer la secrétaire et ayant instauré un climat de tensions et de peur.

Le salarié occupait un poste de responsabilité et d’encadrement. Le comportement décrit a provoqué une situation de stress et de souffrance au travail chez une partie des salariés placés sous son autorité ou de salariés avec lesquels il était en contact.

Pour la cour d’appel de Rennes, ce comportement constitue une faute grave qui justifiait la rupture immédiate du contrat de travail, peu important qu’il n’ait jamais été sanctionné par le passé.

Sébastien LAGOUTTE Président Cabinet CONSILIUM www.cabinet-consilium.com contact@cabinet-consilium.com