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Assistance aux victimes d’accident de la circulation : expert d’assuré c/ avocat en dommages corporels. Par Michel Benezra, Avocat.
Parution : jeudi 15 mars 2018
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Expert d’assuré ou avocat spécialisé en dommages corporels ? Traumatisés crâniens, traumatisés médullaires, tétraplégiques, paraplégiques, amputés ou autres accidentés de la route, des bouleversements jurisprudentiels nous imposent de vous rappeler les limites d’une profession créée de toutes pièces, sans qualification nécessaire, sans assurance exigée, sans même parfois de compétence contrôlée : l’expert d’assuré.

L’expert d’assuré, une profession accessible à tout le monde

L’expert d’assuré est une personne (ou une société commerciale) qui se dit compétente en matière d’assurance, d’indemnisation du dommage corporel de victimes d’accident.
L’expert d’assuré défend les droits de l’assuré face à sa compagnie d’assurance dans le processus d’évaluation d’une indemnisation (Définition Wikipédia). Il s’oppose à l’expert d’assurances qui défend lui les intérêts de la compagnie d’assurance. Il n’existe pas de diplôme d’expert d’assuré et chacun peut alors s’improviser expert d’assuré et pratiquer les tarifs qu’il souhaite.

Néanmoins, cette profession est souvent l’accessoire d’autres métiers et il existe alors des conflits d’intérêts non avoués.
Beaucoup de courtiers en assurance exercent en parallèle cette profession d’expert d’assuré soit directement et officiellement, soit en parallèle via une société commerciale créée pour les besoins, en toute discrétion. Aussi, si les courtiers en assurances avaient quelques avantages à traiter avec tels assureurs, ils seraient mal venus à tenter de négocier une indemnité la plus haute pour leur client victime de la route… avec leur partenaire de toujours.

L’avocat dommages corporels, une profession réglementée

Les avocats sont des juristes qui exercent une profession règlementée définie par la Loi 71-1130 du 31 décembre 1971. L’avocat spécialisé en réparation des dommages corporels est un auxiliaire de justice dont la mission consiste à assister et à représenter en justice une personne qui se présente à lui et à défendre ses intérêts devant les différentes juridictions.
L’avocat dommages corporels dispose alors d’une arme redoutable : il est le « maître » du contentieux et d’une simple négociation amiable, il peut basculer dans le contentieux en faisant délivrer une assignation à l’assurance. L’avocat en dommages corporels est indépendant mais il faudra s’attacher à vérifier si votre avocat « désigné » intervient bien exclusivement pour les victimes et en aucun cas pour les assureurs.

La confrontation du professionnel avec les victimes de dommages corporels

L’avocat, à la différence de l’expert d’assuré, est soumis à une déontologie qui dirigera ses actes et surtout son approche des victimes. L’expert d’assuré, plus libre forcément, pourra utiliser des arguments… commerciaux !
Si les avocats ont le droit désormais de communiquer, de passer dans la presse ou autres c’est sous le contrôle de l’ordre des avocats dirigé par le Bâtonnier qui peut prendre toutes sanctions contre celui qui outrepasserait ses possibilités de communiquer sur ses spécialités et autres.
L’expert d’assuré, au contraire de l’avocat, n’est soumis qu’aux règles de concurrence loyale et n’hésitera pas alors à utiliser tous les arguments commerciaux pour que la victime de l’accident signe sa convention (entre 8% et 15% !!!). C’est à coups de messages publicitaires attractifs que l’expert d’assurés tente de se constituer une « clientèle ». Malheureusement comme dans tous les commerces, celui qui communique le mieux n’est peut-être pas le meilleur commerçant et souvent les victimes signent des conventions dont les montants exorbitants sont au-delà des tarifs pratiqués par des avocats spécialistes en réparation du dommage corporel.

Les limites pratiques de la profession d’expert d’assuré

L’expert d’assuré n’est peut-être pas aussi bien assuré que son nom le laisse entendre. Comme toute société commerciale, cette dernière peut faire faillite et la structure sera soumise alors aux règles classiques des faillites d’entreprises.
L’avocat, profession réglementée, bénéficie d’une assurance professionnelle souscrite par l’ordre des avocats, payée par les cotisations de ses membres, afin de pallier toutes erreurs, toutes faillites et ce dans un seul but : protéger les intérêts des victimes de la route qui ne pourront alors être lésées.
Pour accéder à la profession d’avocat, il faut montrer patte blanche, tant au niveau de son casier judiciaire (désolé, impossible d’épouser cette noble profession pour les délinquants), qu’au niveau de ses connaissances (des diplômes sanctionnent chaque étape universitaire et surtout l’école de formation des avocats veille à l’excellence renforcée).

Par ailleurs, les experts d’assurés sont tenus par leur incapacité à représenter les victimes devant les juridictions et auront alors tendance à faire accepter à leurs clients-victimes des propositions en dessous de la pratique. Pire, les assurances connaissant ce « talon d’Achille », en usent et abusent lorsqu’elles négocient avec un expert d’assuré.
Enfin, les fonds transitent par la CARPA, caisse sécurisée des avocats, lorsque vous l’aurez compris, la victime a recours aux services des robes noires, ce qui est un gage de sécurité pour les victimes elles-mêmes. Un organisme va alors contrôler les mouvements de fonds réalisé par l’avocat. Cette garantie n’existe pas avec l’expert d’assuré qui fera peut-être transiter les fonds par son compte professionnel ou celui de sa société commerciale. Un risque majeur d’évaporation des capitaux nous impose de tirer alors la sonnette d’alarme.

Les limites jurisprudentielles de la profession d’expert d’assuré

- Cass. civ. 1, 9 décembre 2015, n° 14-24.268

Un courtier et conseil en assurance avait en parallèle une activité de « consultant en règlement amiable des litiges d’assurances ». Il avait alors accepté d’aider trois victimes d’accident de la route, contre rémunération au pourcentage dont les conditions étaient fixées dans une convention.
La cour d’appel de Grenoble, (CA Grenoble, 3 juillet 2014, n° 13/05 517), avait alors retenu que « qu’une telle intervention, rémunérée et répétée, caractérisait l’exercice illégal de la consultation juridique ». La Cour de cassation a alors rendu un arrêt de rejet contre le pourvoi du courtier.

- Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-26.353

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 20 octobre 2015), que, suivant un mandat et une convention de rémunération du 13 juillet 2001, Mme X... a confié à la société Stephan Y...(la société), la mission de l’assister au cours de la procédure d’offre obligatoire mise en oeuvre, en application de l’article L. 211-9 du code des assurances, par l’assureur du responsable d’un accident de la circulation dont elle avait été victime le 15 juin précédent ; qu’après avoir révoqué ce mandat, le 12 octobre 2009, Mme X..., M. X..., son époux, et leurs trois enfants communs, estimant que cette mission recouvrait l’exercice illicite d’une activité de conseil juridique, ont assigné la société en nullité de cet acte et de l’engagement de rémunération, et en restitution des honoraires versés ; que la société, soutenant que la procédure transactionnelle instituée par la loi du 5 juillet 1985 échapperait " au monopole " des avocats durant sa phase non contentieuse, par application des articles R. 221-39 et A. 211-11 du code des assurances qui prévoient que la victime peut confier la défense de ses intérêts à toute personne de son choix jusqu’au procès, a formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
(…)
Mais attendu qu’en application de l’article L. 211-10 du code des assurances, l’assureur du conducteur responsable d’un accident de la circulation doit, à peine de nullité de la transaction susceptible d’intervenir avec la victime, informer celle-ci qu’elle peut, dès l’ouverture de la procédure d’offre obligatoire, se faire assister par un avocat de son choix ; que l’article R. 211-39 de ce code prévoit que, pour satisfaire à cette obligation légale d’information, l’assureur doit encore accompagner sa première correspondance avec la victime d’une notice relative à l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation ; que, si le modèle type de cette notice, figurant en annexe à l’article A. 211-11 du même code, issu de l’arrêté du 20 novembre 1987, mentionne, au titre des " conseils utiles ", que la victime peut confier la défense de ses intérêts à toute personne de son choix et devra se faire représenter par un avocat en cas de procès, aucune de ces dispositions réglementaires n’autorisent un tiers prestataire, autre qu’un professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
Et attendu que c’est par l’exacte application des dispositions combinées de ces textes que la cour d’appel, après avoir, à bon droit, retenu que les diligences accomplies par la société, qui avait reçu pour mission d’accompagner les consorts X... depuis l’étude du dossier jusqu’à la régularisation d’une transaction, recouvraient des prestations de conseil en matière juridique, dès lors qu’elles impliquaient de procéder à la qualification juridique de leur situation au regard du régime indemnitaire applicable et à la définition de chaque poste de préjudice susceptible d’indemnisation, en tenant compte des éventuelles créances des tiers payeurs et des recours que ceux-ci peuvent exercer, a jugé qu’une telle activité d’assistance exercée, fût-ce durant la phase non contentieuse de la procédure d’offre, à titre principal, habituel et rémunéré, était illicite, justifiant ainsi sa décision d’annuler, par application de l’article 1108 du code civil, alors en vigueur, le mandat litigieux, comme la convention de rémunération qui en était indivisible ; que le moyen n’est pas fondé ;

Conclusions : le risque de l’intervention de l’expert d’assuré dans la procédure

La Cour de cassation a rappelé qu’aucune disposition réglementaire n’autorisait un tiers prestataire autre qu’un professionnel du droit à assister la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire. Par ailleurs, elle estime que les diligences accomplies étaient des prestations de « conseil » en droit car elles impliquaient de procéder à la qualification juridique de la situation au regard du régime.

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