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Erreur de TEG ou de TAEG des crédits aux particuliers, comment éviter les déconvenues. Par Jean-Simon Manoukian, Avocat.
Parution : jeudi 15 mars 2018
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Beaucoup de particuliers se sont lancés dans un contentieux du TEG TAEG la fleur au fusil pour voir leurs demandes financières réduites à peau de chagrin.
La sanction du TEG TAEG erroné des prêts aux particuliers est un régime dont la géométrie varie selon le fondement juridique de la demande en justice.
Le double plafonnement en 2016 de la sanction de l’erreur de TEG TAEG des prêts immobiliers aux particuliers à 30 % des intérêts dans la limite de 30 000 € n’est pas une fatalité. La substitution de l’intérêt contractuel par l’intérêt légal reste d’actualité.
Focus sur le régime de sanction du TEG TAEG des particuliers.

Les sanctions du TEG TAEG erroné

La dualité des sanctions

La déchéance du droit aux intérêts est prévue par les lois des 10 janvier 1978 et 13 juillet 1979 sur les crédits aux particuliers qui ont été codifiées dans le Code de la consommation en 1993.

Les lois de 78 et 79 prévoyaient la déchéance du droit aux intérêts pour le cas où la banque ne respectait pas les règles spéciales gouvernant l’offre de crédit :

  1. déchéance des intérêts pour les prêts mobiliers ;
  2. déchéance des intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge pour les prêts immobiliers.

Ces déchéances perdurent dans le code de la consommation, certaines d’entre-elles, dont la mention inexistante ou erronée du TEG TAEG, sont limitées à 30 % des intérêts plafonnées à 30 000 € par l’article L 341-25 de ce Code dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2016-351 du 25 mars 2016.

Parallèlement aux lois de 78 et 79, la Cour de cassation élaborait les conséquences juridiques qu’il convenait de titer de la création du TEG par la loi du 28 décembre 1966. Sa réflexion achevée fut délivrée dans un arrêt publié de la 1ère Chambre du 24 juin 1981 n° 80-12903 : La mention écrite du TEG dans le contrat de prêt est une condition de validité de la stipulation d’intérêt.

Déchéance du droit aux intérêts et nullité de la stipulation d’intérêt devaient alors fatalement cohabiter.

Des sanctions de nature fondamentalement différente

La 1ère Chambre a fait du TEG TAEG l’instrument de mesure du consentement à la stipulation d’intérêt : L’erreur sur le TEG TAEG révèle l’absence de consentement de l’emprunteur au coût global du crédit.

Le TEG TAEG erroné de plus de 0,1 % en défaveur de l’emprunteur démontre son absence de consentement au coût du crédit et, à ce titre, fonde une action en nullité de la clause de stipulation d’intérêt du contrat de prêt. Le juge qui constate ce défaut de consentement n’a alors d’autre choix que d’appliquer au contrat de prêt le taux de l’intérêt légal.

A l’inverse, le manquement de la banque aux règles spéciales gouvernant la formation du contrat de prêt, dont la mention d’un TEG TAEG nécessairement exact, ne relève pas du droit des obligations.

Ces règles spéciales sont assorties par la loi de la sanction particulière qu’est la déchéance d’un droit. Quatre arrêts publiés de la 1ère Chambre dessinent le contour de la déchéance du droit aux intérêts :

la déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile dont la loi laisse à la discrétion du juge tant l’application que la détermination du montant ;
 
l’emprunteur qui sollicite la déchéance du droit aux intérêts ne fait valoir qu’une prétention à l’issue incertaine qui n’est pas constitutive d’un droit.
 
la déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile laissée à la discrétion du juge, par nature incertaine et ne pouvant faire naître une espérance légitime.

Nous sommes clairement en présence de l’exercice d’une fonction répressive bien plus familière au juge correctionnel qu’au juge civil.

La nullité de la stipulation d’intérêt est la sanction d’un droit, en l’occurrence celui pour un cocontractant de ne pas se voire imposer une obligation contractuelle à laquelle il n’a pas consenti.

La déchéance du droit aux intérêts sanctionne des règles spéciales constitutives d’un véritable régime de police. L’unique dimension financière de la déchéance du droit aux intérêts lui confère la nature d’une amende civile, c’est à dire d’une fonction punitive et non-réparatrice.

Nous retrouvons d’ailleurs dans les arrêts publiés de la 1ère Chambre deux principes cardinaux du droit pénal :

  1. le principe de légalité : 10 mai 2000 n°97-17412 et 6 juin 2000 n°98-13164,
  2. le principe d’interprétation stricte : 29 octobre 2002 n°99-17333 et 13 novembre 2002 n°99-20579,
    et le juge civil de la déchéance du droit aux intérêts peut pratiquer la dispense de peine : Civ 1ère 30 septembre 2015 n°14-19266.

Des fondements juridiques aux conséquences financières hétérogènes

La déchéance des intérêts, par nature incertaine, ne présente aucune sécurité juridique pour l’emprunteur car c’est la gravité du manquement par la banque aux règles de police qui doit être la mesure de la déchéance.

Pour les prêts immobiliers, l’article L 341-27 du Code de la consommation prévoit ainsi le cumul des amendes civiles pour le manquement au devoir de mise en garde, au devoir de prudence et au devoir d’évaluation de solvabilité. La banque qui manque à ces 3 devoirs encourt une déchéance maximale de 90 % des intérêts plafonnés à 90 000 €.

C’est donc l’importance de l’erreur de calcul du TEG TAEG qui doit déterminer le montant de la déchéance.

A titre d’illustration, juge civil et plaideur peuvent adopter l’approche quantitative de certains tribunaux de police et graduer la déchéance par décimale d’erreur jusqu’à la déchéance maximale, ou préférer une approche qualitative pouvant être prise dans la volonté délibérée de masquer le coût réel du crédit, voire mixer les deux approches.

La nullité de la stipulation d’intérêt et la réduction du taux contractuel au taux légal est en revanche un droit pour l’emprunteur que le juge est tenu de lui reconnaître dès lors que l’erreur sur le TEG TAEG est avérée.

Le choix par le plaideur de l’une ou l’autre de ces sanctions de l’erreur de TEG TAEG et, partant, de l’un ou l’autre des ses fondements juridiques, est une question de stratégie judiciaire propre à chaque dossier dont le plaideur conviendra avec son conseil.

L’exercice de ce choix sera toujours facilité par l’évaluation de l’écart d’intérêt entre le taux contractuel et le taux légal.

Pour un prêt immobilier de 150 000 € sur 25 ans :

  1. au taux contractuel de 2 %, le total des intérêts est de 40 734, 59 €,
  2. au taux légal de 0,9 %, le total des intérêts est de 17 563, 46 €,
  3. la nullité de la stipulation d’intérêt génère un droit de restitution de 23 171, 13 €.

Mais attention, le taux de l’intérêt légal est par nature un taux variable qui ne peut pas être estimé sur toute la durée du prêt :

"lorsqu’il est substitué au taux conventionnel d’un prêt mentionnant un taux effectif global erroné, l’intérêt au taux légal court, à compter de la souscription de ce prêt, au taux alors en vigueur, et obéit aux variations auxquelles la loi le soumet

". Civ 1ère 11 mai 2017 n°14-27253

L’évaluation du droit de restitution sera toujours faite sous cette réserve.

Des fondements juridiques différents qui ne modifient pas l’objet du litige

Entre droit du prêt à intérêt et police du crédit de consommation, l’office du juge est parfois un art délicat lorsque les demandes sont mêlées. Il n’est pas rare qu’un plaideur saisisse le juge d’une demande de déchéance des intérêts avec application du taux de l’intérêt légal...

Le juge civil peut-il appliquer, sur un même fait, une sanction de police et une nullité du droit des obligations ?

La réponse est clairement négative. Les principes directeurs du procès civil imposent au juge, lorsque deux fondements juridiques distincts sont invoqués sur les même faits, de déterminer celui sur le fondement duquel il statue, et de s’en expliquer.

Le juge, et le plaideur, doivent choisir entre faute de police et faute du droit des obligations, comme il doit être choisi entre responsabilité contractuelle et délictuelle.

Mais l’idée de cumul reste pertinente lorsque les fondements sont complémentaires.

Le droit général des contrats et le droit des contrats de consommation connaissent le cumul de la nullité avec la responsabilité extracontractuelle, et la 1ère Chambre n’exclut pas le cumul de la déchéance des intérêts avec la responsabilité extracontractuelle :

Un plaideur reprochait à une cour d’appel qui a fait droit à sa demande de déchéance du droit aux intérêts d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts. Il se pourvoit, faisant essentiellement valoir que le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation.

Par un arrêt non publié rendu le 4 février 2015 n° 14-10238, la 1ére Chambre répond qu’en l’espèce la cour a procédé à la recherche de responsabilité prétendument omise, et estimé dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’il n’était justifié d’aucun préjudice, fût-il moral, en lien avec le manquement au devoir d’information imputé à la banque.

La demande ambiguë

La simple demande de déchéance du droit aux intérêts n’est pas ambiguë, elle est implicitement mais nécessairement fondée sur la violation des règles de police des crédits de consommation et le juge a l’obligation de prononcer la sanction civile prévue par le législateur dès lors que la faute est avérée.

La demande ambiguë est en revanche celle qui mobilise des fondements distincts qui ne sont pas complémentaires.
Saisi d’une pareille demande, le juge choisira l’un des fondements juridiques mobilisés par le plaideur en fonction des seuls fondements juridiques exprimés dans ses conclusions car il est tenu de statuer sur le texte invoqué.

Dans le cas d’une demande de nullité de la clause de stipulation d’intérêt avec application du taux légal fondée sur un manquement à l’article L 341-25 du code de la consommation, le juge prononcera la déchéance des intérêts avec l’aléa que l’on sait.

L’articulation principale/subsidiaire

La pluralité de fondement peut encore se rencontrer lorsque le plaideur hiérarchise ses demandes, laquelle s’impose au juge.

Ainsi lorsque le TEG erroné fait l’objet d’une demande principale de déchéance des intérêts et subsidiaire de nullité de la stipulation d’intérêt, le juge ne peut prononcer que la seule (et unique) sanction civile (Civ 1ère 25 février 2016 n°14-29838).

En première instance, jusqu’à clôture du débat et sauf prescription, le plaideur aura toujours la possibilité de corriger les effets pervers d’une demande initiale ambiguë ou mal articulée.

L’articulation première instance/instance d’appel

Cette correction des demandes, toujours sous réserve de prescription, reste possible en cause d’appel, comme l’illustre deux arrêts de la 1ère Chambre.

Dans la première espèce un plaideur, débouté en première instance de ses demandes de nullité du contrat de prêt et de déchéance du droit aux intérêts, formule pour la première fois en cause d’appel une demande de nullité de la stipulation d’intérêt fondée sur un TEG erroné. Il en est débouté sur le fond au motif d’une erreur inférieure à la décimale.

Par un arrêt non publié rendu le 9 avril 2015 n°14-14216, la 1ère Chambre rejète le pourvoi mais relève, sur pourvoi incident de la banque quant à la prescription, que la banque ne formule aucune critique contre les motifs par lesquels la cour a jugé que la demande de nullité de la stipulation d’intérêt ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l’article 563 CPC.

Dans la seconde espèce un plaideur formule en première instance une demande principale en dommages-intérêts et nullité du contrat de prêt, et une demande subsidiaire de déchéance des intérêts. Il se voit débouté des deux demandes.

En cause d’appel ce plaideur formule les demandes suivantes :

  1. le remplacement du taux contractuel par le taux légal au motif que le TEG s’avère être erroné et l’imputation des intérêts dépassant le seuil de l’usure sur les intérêts au taux légal ;
  2. la nullité du contrat au titre du manquement au devoir de mise en garde et subsidiairement la déchéance des intérêts ;
  3. la sanction du défaut des mentions obligatoires des prêts à taux variable.

Sur ce la cour d’appel juge irrecevables comme constitutives de demandes nouvelles celles relatives :

  1. à la déchéance des intérêts,
  2. à l’irrégularité duTEG,
  3. à l’existence d’un taux usuraire,
    et confirme le jugement.

Par un arrêt non publié rendu le 1er mars 2017 n°15-28904, la 1ère Chambre casse partiellement l’arrêt au visa des articles 564 et 565 CPC en ce qu’il a déclaré irrecevables comme nouvelles les demandes relatives à la déchéance du droit aux intérêts, à l’irrégularité du TEG et à l’existence d’un taux usuraire.

La 1ère Chambre relève qu’aucune de ces prétentions n’est nouvelle pour avoir toutes pour même fin de priver le prêteur des intérêts contractuels.

La 3ème Chambre adopte une position identique (Civ 3ème 26 octobre 2017 n°16-21331).

Dès lors qu’il interrompt la prescription de l’erreur de TEG TAEG, le plaideur est toujours en mesure d’éviter les déconvenues.

Jean-Simon Manoukian, avocat au barreau de Nantes, [->http://teg-taeg-jsmanoukian.com]
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