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Egalité hommes/femmes : combattre les stéréotypes pour un meilleur management.
Parution : lundi 19 mars 2018
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Proclamée comme grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron, l’égalité homme-femme est une thématique régulièrement abordée lors de la journée internationale des droits des femmes. Au cours de la matinée du 8 mars 2018, le Conseil supérieur du notariat a ainsi organisé une conférence-débat l’affichant comme « un enjeu au cœur des professions du droit ». Avec un panel d’intervenantes qui en sont issues, le constat reste le même : les inégalités perdurent et pénalisent les femmes, quelle que soit la profession.
Outre les mesures qui peuvent être mises en place pour favoriser l’égalité et lutter contre les discriminations, une première approche peut déjà permettre un travail en amont : comprendre, et combattre, les stéréotypes.

« L’évolution en matière d’égalité et de juste représentation des femmes demande de déconstruire les stéréotypes de genre » a ainsi déclaré Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat pour introduire la conférence de Pete Stone, fontadeur de Just Different. Si lutter contre les stéréotypes se fonde dans un premier temps sur une base morale, celui-ci avance également l’argument de « l’efficacité ». En l’abordant sous cet angle, il montre ainsi que les stéréotypes peuvent nuire aux structures tout autant qu’aux individus.

Pour mieux comprendre le processus, il faut d’abord distinguer les différents termes qui entourent la problématique. « Tout commence par la notion de catégorie » explique ainsi Pete Stone : impossible de procéder autrement, car notre cerveau a besoin de cette catégorisation « pour savoir comment interagir avec la réalité ». Et les premières catégories appliquées est alors « homme » ou « femme ». Vient ensuite le stéréotype, qui désigne les attributs que l’on associe à une catégorie. Puis le préjugé, qui est le jugement que l’on associe à ce stéréotype, et enfin la discrimination, qui consiste à mettre en pratique ce préjugé.
Il faut ensuite distinguer trois types de stéréotype, et les conséquences qui s’y rattachent :
- L’hétérostéréotype, qui désigne ce que les femmes pensent des hommes et les hommes des femmes, et qui mène à terme à la discrimination et au rejet ;
- L’autostéréotype, impliquant ce que le groupe pense de son propre groupe, et mène au manque de confiance en soi ;
- Le métastéréotype, désignant ce qu’une catégorie pense que l’autre groupe pense d’eux, et ayant pour conséquence l’autocensure.

Avoir ces notions en tête permet alors de prendre conscience des stéréotypes et des préjugés que nous avons, afin « de réduire leur influence » et de les dépasser, pour « se rendre compte que l’on a face à nous un individu qui peut être différent de la catégorie dans laquelle on l’a mis », explique Pete Stone. Car attribuer des qualités ou des défauts à un individu uniquement par son genre va induire en erreur, notamment lors d’un recrutement : on va rejeter une candidature pour des attributs faussés, ou au contraire le recruter en imaginant qu’il possède les qualités recherchées.

L’autre conséquence est le phénomène d’autocensure, qui se traduit notamment quand on aborde la question du « plafond de verre », expression désignant les obstacles que rencontre une minorité, et notamment les femmes, pour accéder à des postes plus élevés dans la hiérarchie professionnelle. Si certaines femmes le percent, soit au cours d’une évolution normale, soit dans « le déni de soi », c’est-à-dire en adoptant les codes masculins, d’autres en sont empêchées par la discrimination, ou par l’autocensure. Cette dernière est favorisée par « deux facteurs complètement intériorisés : l’autocensure par compétence, les femmes considérant qu’elles n’ont pas les compétences nécessaires pour le poste, et l’autocensure par appétence, par laquelle elles se convainquent qu’elles n’ont pas envie d’occuper le poste en question. » Partant de ce constat, on peut donc en déduire que les structures – entreprises comme cabinets ou études – perdent l’occasion d’avoir à des postes décisionnaires des femmes qui seraient des éléments importants dans leur développement, du fait d’un environnement qui les découragent. Lutter contre les stéréotypes pourrait donc démontrer aux femmes qu’elles peuvent aussi aspirer à des postes à responsabilité. Et dans ces configurations, l’importance de la représentativité n’est pas à négliger.

« You cannot be what you cannot see »

Dans un environnement de travail imprégné de stéréotypes, l’impact des « role models » est en effet majeur. « Les femmes dans les positions de pouvoir montrent aux autres femmes ce qu’elles peuvent devenir » confirme Pete Stone. Et le manque de représentativité est une problématique qui touche aussi les professions du droit … dans lesquelles les femmes sont pourtant très présentes, voire majoritaires. Directions juridiques, associations de cabinets d’avocats ou d’études notariales, chefs de juridiction … Les femmes disparaissent au fur et à mesure que se rapprochent les postes à responsabilité. Gwenola Joly-Coz, présidente du Tribunal de grande instance de Pontoise et également secrétaire générale de Femmes de Justice [1], explique que le réseau propose ainsi des cessions d’accompagnement pour déterminer les freins qui pourraient retenir les jeunes magistrates. « Mais il est difficile de leur démontrer qu’elles peuvent accéder à tous les postes, quand en 70 ans de féminisation, des postes à responsabilité n’ont jamais été occupés par des femmes… » L’exemple de la magistrature est particulièrement probant. Face à la linéarité du fonctionnement de carrière, les femmes, mises à l’écart du système principalement par la maternité, sont moins présentes, confortant ensuite les plus jeunes dans le fait que les postes plus élevés ne seront pas faites pour elles … « dans un monde avec 65% de femmes » rappelle Gwenola Joly-Coz.

Dans un tel contexte, comment changer la donne ? Si chacune des intervenantes n’y étaient pas favorables il y a quelques années, elles avouent être toutes aujourd’hui pour l’application de quotas, « qui ont fait leurs preuves en entreprise » souligne Sarah Leroy, administratrice de l’AFJE. « Les quotas permettent de bouger les lignes, confirme Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux. Je crois aussi beaucoup au lien intergénérationnel. C’est toute l’évolution de pensée qui est importante, des hommes comme des femmes. » Un levier que défend aussi Marie-Pierre Péré, membre du bureau du CSN, qui croit au « retour d’expérience ». Dernier élément, avancé par Sarah Leroy, notamment vis-à-vis des professions libérales : instaurer l’égalité comme une « bonne pratique » à mettre en avant : « Je pense qu’en tant que clients, nous avons aussi un rôle à jouer pour que le critère de féminisation soit l’un des premiers pour choisir un cabinet. » L’ensemble de ces mesures, par le biais du législatif ou des pratiques, pourrait permettre de désamorcer peu à peu les verrous auxquels les femmes sont encore confrontées.

Ce 8 mars 2018 a également été l’occasion pour les différentes instances représentatives d’annoncer leurs actions futures. Le Conseil national des barreaux a ainsi affirmé sa volonté de mettre en place une protection renforcée des victimes de harcèlement, d’agressions, d’outrages sexuels et sexistes au sein de la profession, et le lancement d’un programme d’éducation au droit et à l’égalité femme homme dispensé par des avocats au sein des écoles lors de la première fête du droit & des avocats le 4 octobre 2018. Il a également proposé à la ministre de la Justice la création d’un fonds d’accès au droit dédié aux victimes d’agressions sexuelles. Enfin, une convention d’engagement pour la communication sans stéréotype de sexes a été signée entre Danielle Bousquet, présidente du HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) et Christiane Féral-Schuhl.

De son côté, le barreau de Paris a notamment lancé une campagne de sensibilisation sur les questions d’inégalités professionnelles, de harcèlement et de sexisme au sein de la profession, et annoncé la prise en charge de 365 dossiers par des avocats bénévoles sur une année en partenariat avec la Fondation des femmes.

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Femmes de justice est une association née le 20 juin 2014 de la volonté de quelques femmes appartenant au ministère de la justice et souhaitant favoriser, promouvoir et consolider la parité entre les femmes et les hommes au sein du ministère de la Justice.