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Franchise : Quoi de neuf en matière d’obligation d’information précontractuelle (DIP) ? Par Pierre Langlais et Hélène Chauveau, Avocats.
Parution : mardi 20 mars 2018
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Afin de permettre au franchisé candidat à l’intégration d’un réseau de franchise de s’engager en connaissance de cause, et de le protéger contre la réticence dolosive du franchiseur, la Loi n°89-1008 du 31 décembre 1989 (dite « Loi Doubin ») codifiée à l’article L.330-3 du Code de commerce, impose à la tête de réseau, en cas d’engagement d’exclusivité, de fournir au franchisé potentiel un document (plus connu sous le nom de Document d’Information Précontractuelle ou « DIP »), comprenant des informations sincères détaillées minutieusement par décret n°91-337 du 4 avril 1991 (R.330-1 du Code de commerce).

Ce document d’information précontractuelle doit notamment faire état de l’ancienneté de l’entreprise, des perspectives de développement du marché, de la durée du contrat, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat, et des champs d’exclusivité.

Malgré ce cadre légal et réglementaire, un abondant contentieux s’est développé sur le caractère exact et/ou complet des informations renseignées dans ce document d’information pré-contractuelle par les enseignes.

Par une série d’arrêts du 23 novembre 2017 [1], la Cour d’appel de Paris est ici venue apprécier in concreto si le franchiseur avait rempli son obligation d’information précontractuelle à la lumière du degré d’expérience et de connaissance de ses franchisés et du caractère novateur de la franchise.

Le franchiseur est une société spécialisée dans la distribution conjointe de contrats d’assurance et de crédits à la consommation.

Courant 2010, des franchisés ont assigné le franchiseur devant le Tribunal de commerce de Paris, sollicitant l’allocation de dommages et intérêts pour manquement de ce dernier à son obligation d’information précontractuelle (concernant la présentation de l’état du marché local et des perspectives de développement du réseau).

Par une série de jugements rendus en 2010 et 2011, le Tribunal de commerce de Paris les a déboutés de leurs demandes. Les franchisés ont alors fait appel de ces décisions.

Le 19 février 2014, la Cour d’appel de Paris a rendu six arrêts [2], confirmant les jugements de première instance. Les six franchisés ont formé un pourvoi en cassation.

Saisie de ces affaires, la Cour de cassation a cassé les arrêts de Cour d’appel pour manque de motivation au visa des articles L. 330-3 et R.330-1 du Code de commerce, comme suit : « qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l’expérience du franchisé était suffisante pour lui permettre d’apprécier l’état du marché local d’un concept novateur alliant crédit et assurance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (Cass. com., 5 janvier 2016) [3].

La Cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, a rendu six arrêts le 23 novembre 2017 reprenant tous un raisonnement analogue.

Elle a considéré en premier lieu, à l’instar d’une jurisprudence constante en la matière, que pour remplir son obligation d’information précontractuelle, le franchiseur n’avait pas l’obligation de fournir un compte d’exploitation prévisionnel [4], ni une étude du marché local [5] mais seulement des informations sur les perspectives de développement du marché, permettant au franchisé de s’engager « en connaissance de cause ».

Sur ce dernier point, elle est venue préciser dans chacun de ses arrêts que le franchiseur avait l’obligation de mettre le franchisé en mesure de s’engager en connaissance de cause, impliquant de tenir compte du degré d’expérience et de connaissance dont disposait le franchisé et du caractère novateur de la franchise.

En conséquence, elle a motivé ses décisions en détaillant avec précision les raisons pour lesquelles la demande des franchisés ne pouvait prospérer.

Sur l’expérience des franchisés : la Cour d’appel a tout d’abord constaté que les franchisés étaient choisis par la tête de réseau sur la base de leur expérience acquise en matière d’assurance et de crédit, en énonçant pour chacun d’eux, leur degré d’expérience dans le domaine sur le secteur géographique concerné, par référence à leur curriculum vitae ou à la fiche de renseignement remplie lors de la remise de leur dossier candidature. Par ailleurs, elle a relevé que les franchisés n’avaient pas de leurs côtés respecté leur engagement de réaliser par eux-mêmes une étude de marché et une étude d’implantation.

Sur le caractère novateur de la franchise : la Cour d’appel de Paris a jugé qu’au regard du document d’information précontractuelle remis par le franchiseur, les franchisés avaient été informés des aléas liés à l’absence d’exploitation préalable du concept. Dès lors, les franchisés ne pouvaient se méprendre sur l’absence de résultats chiffrés produits par le franchiseur, qui de surcroît, n’avait assuré aucune garantie de rentabilité. Par ailleurs, la Cour a relevé qu’au regard du caractère original du concept, provenant de l’association inédite de l’assurance et du crédit, le franchiseur n’était pas en mesure de recruter des candidats disposant de cette double expérience et que chacun des franchisés ne pouvaient ignorer qu’ils devaient se former dans le domaine dans lequel ils n’avaient pas d’expérience.

La Cour d’appel de Paris est venue rappeler à ce titre que le franchisé est un « commerçant indépendant et responsable de sa gestion, bénéficiant certes d’un cadre légal protecteur, mais libre d’exercer son choix d’adhérer ou non à un réseau de franchise ».

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel de Paris a considéré que les franchisés s’étaient engagés en pleine connaissance de cause. Aucune faute du franchiseur n’ayant été caractérisée, les demandes de dommages et intérêts formulées par les franchisés ont donc été rejetées.

Ces arrêts sont une illustration des contentieux les plus souvent portés devant les juridictions en matière de franchise, relatifs à des informations subjectives tels que la présentation de l’état du marché et des perspectives de son développement, en raison de l’aléa inhérent aux prévisionnels.

Les sanctions sont parfois très lourdes comme le démontre l’arrêt récent rendu le 17 janvier 2018 par la Cour d’appel de Paris [6] par lequel les juges ont prononcé la nullité du contrat de franchise et l’allocation de dommages et intérêts au profit de la franchisée en raison de l’absence d’information complète et sincère sur l’historique du réseau d’exploitants, l’état réel du marché local et les perspectives de développement, en prenant en considération l’âge et le fait que la franchisée était novice en affaires.

L’expérience du franchisé est donc prise en considération dans l’appréciation du respect de son obligation d’information précontractuelle par la tête de réseau, comme l’illustrent les arrêts précités.

Il ne convient pas pour autant, en présence d’un professionnel aguerri, de négliger cette obligation d’information précontractuelle. Un franchiseur s’en est récemment mordu les doigts dans un arrêt également très récent (Cass. com., 10 janvier 2018) [7] par lequel les juges de cassation ont cassé l’arrêt d’appel, considérant que la nullité du contrat de franchise pour manquement du franchiseur à son obligation d’information pouvait être retenue, alors même que le franchisé était un ancien directeur administratif et financier du franchiseur qui avait donc une connaissance pointue du réseau. L’affaire est désormais renvoyée devant la Cour d’appel d’Agen.

Pour aller plus loin…

A l’heure actuelle, les plaignants se prévalent essentiellement des textes spéciaux en la matière (L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce) et des textes du Code civil portant sur les vices du consentement. Cependant, le nouvel article 1112-1 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations pourrait être invoqué plus régulièrement dans les contentieux à venir.

L’alinéa 1 de cet article 1112-1 du Code civil dispose, en effet, que « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Dans la mesure où l’article L. 330-3 du Code de commerce ne précise pas expressément qu’il s’agit des seules informations que le franchiseur doit donner au franchisé, il ne peut être exclu que d’autres informations considérées comme déterminantes de son consentement puissent être sollicitées par le franchisé sur le fondement de ce nouvel article.

Cette « nouvelle  » obligation d’information n’incombe pas seulement au franchiseur contrairement aux articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce. Le franchisé doit donc lui aussi être vigilant s’il a lui aussi connaissance d’une information qui pourrait être déterminante du consentement du franchiseur.
Balle au centre donc ! Nous attendons désormais que la jurisprudence se prononce sur l’articulation de ces différents textes qui peuvent être invoqués conjointement. Affaire à suivre…

Dans ce contexte, le franchiseur étant celui qui est susceptible de fournir le plus d’informations au franchisé, il est fortement recommandé en pratique qu’il sollicite du franchisé par écrit un détail des informations qu’il estime déterminantes de son consentement au cours de la phase précontractuelle. Dans le cas contraire, le franchisé pourrait, sous prétexte qu’une information déterminante ne lui serait pas parvenue, solliciter a posteriori la nullité du contrat ou l’allocation de dommages et intérêts.

Pierre LANGLAIS et Hélène CHAUVEAU, Avocats LANGLAIS Avocats (Nantes-Paris) - http://langlais-avocats.com

[1RG n°16/12350, RG n°16/03188, RG n°16/03312, RG n°16/12347, RG n°16/05681 et RG n°16/03315.

[2CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 19 février 2014, RG n°10/24823, RG n°10/24829, RG n°11/20167, RG n°11/19855, RG n°10/19868 et RG n°10/24828.

[3Pourvoi n°14-15.700, Pourvoi n°14-15.703, Pourvoi n°14-15.704, Pourvoi n°14-15.706, Pourvoi n°14-15.707 et 14-15.708.

[4Voir en ce sens : Cass.com., 21 octobre 2014, Pourvoi n°13-11.186 ; CA Angers, 17 mars 2015, RG n°12/01605.

[5Voir en ce sens : CA Paris, 23 Juin 2006, RG n° 04/15403 ; Cass. Com., 28 mai 2013, Pourvoi n°11-27.256.

[6RG n°15/17647.

[7Pourvoi n°15-25.287.