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Responsabilité de l’organisateur de chasse : obligation de résultat. Par Francis Poirier, Avocat.
Parution : mercredi 21 mars 2018
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Dans un arrêt du 28 juin 2017, la Cour de cassation consacre la responsabilité de l’organisateur de chasse en une obligation de résultat.

Rappel des faits :

Un accident de chasse aux conséquences particulièrement dramatiques va conduire à rechercher la responsabilité de tous les acteurs qui ont participé à cet acte de chasse.

Un accident de chasse va se produire en début d’après-midi, après le déjeuner, au début de la deuxième traque.

Avant le début de cette deuxième traque et alors que les instructions avaient été données le matin, à nouveau et de façon précise, le directeur de chasse va rappeler les consignes de sécurité, va présenter la carte du domaine et préciser le sens de la traque.

Les tireurs vont être positionnés par les responsables de ligne, de chaque côté de cette traque sur deux lignes séparées par une distance de 600 mètres.

Il sera précisé que les tireurs sont autorisés à tirer dans la traque, dès lors que le tir est proche, de l’ordre de 20 à 30 m, et qu’il s’agit d’un tir fichant.

Un chasseur de nationalité étrangère va tirer dans la traque sur une ligne coupe-feu. Il semble que ce tireur se soit déplacé de quelques mètres afin d’avoir une meilleure visibilité, la forêt est composée de taillis et d’arbres de haut futaie. Des chevreuils vont être tirés à trois reprises et la troisième balle va passer au-dessus d’une ligne de crête et va rencontrer un obstacle à 580m du lieu de tir, en l’espèce une branche d’arbre à 2m80 du sol.

La balle va alors fragmenter et un fragment de cette balle va atteindre la malheureuse victime en plein thorax, laquelle est située à 15m du lieu d’impact.

Une instruction va être ouverte et une enquête particulièrement complète va être menée avec le concours des services de l’ONCFS et la Gendarmerie scientifique d’Aulnay-sous-Bois.

Cette enquête va conduire à la mise en examen du tireur, du Directeur de chasse et de l’adjudicataire et à leurs poursuites devant la juridiction répressive.

Le fondement juridique des poursuites à l’encontre du tireur est simple : il s’agit d’un homicide involontaire par imprudence.

Le Directeur de chasse ainsi que l’adjudicataire étaient poursuivis sur le même fondement.

Quelles sont les imprudences que l’on peut reprocher tant au directeur de chasse, qu’à l’adjudicataire ?

Devant le 1er juge, il était reproché au directeur et à l’adjudicataire :

1. D’avoir placé en vis-à-vis deux lignes de chasseurs, lesquelles étaient autorisées à tirer dans la traque, étant cependant précisé que ces deux lignes de chasseurs se trouvaient à une distance, l’une de l’autre, de 600m.

Ce manquement a été retenu par la Cour d’Appel, laquelle précise « […] le premier élément est la présence de deux lignes placées à une distance d’environ 600m. Si une telle position n’est pas inhabituelle malgré la portée supérieure des armes utilisées, elle implique des précautions particulières, d’autant qu’en l’espèce, la configuration des lieux empêchait les chasseurs placés sur ces deux lignes de se voir. Pourtant, à l’époque des faits, les postes n’étaient pas matérialisés, ce qui signifie que même les chasseurs habitués ne savaient pas, précisément, où se trouvaient les autres. Il existait donc une dangerosité intrinsèque à laquelle l’association aurait dû remédier ».

2. De ne pas s’être assuré que le tireur de nationalité étrangère avait bien compris les instructions.

« …L’encadrement du chasseur invité a manifestement été défaillant ; que bien que sa connaissance de la langue française ait été insuffisante, personne n’était en mesure de communiquer avec lui en espagnol et aucun effort particulier n’a été fait dans la transmission des consignes de chasse ;
Que la délivrance des consignes contre signature n’a donc eu qu’un aspect formel, aucune vérification n’ayant été effectuée sur leur compréhension réelle…
 »

En conséquence, en retenant ces éléments comme étant des manquements aux règles de sécurité, la Cour va imposer de nouvelles règles.

Il faut donc être particulièrement vigilant lorsqu’un chasseur, de nationalité étrangère, participe à une chasse collective. Il faudra lui donner des consignes particulières et au besoin qu’il se fasse accompagner d’un interprète !

Dans le cas d’espèce, il convient de savoir que ce ressortissant étranger était marié avec une française, venait fréquemment en France et était venu sur cette chasse cinq fois. Il a d’ailleurs indiqué, dans le cadre de son audition, que les règles de sécurité en France étaient identiques à celles de son propre pays.

La Cour semble également vouloir imposer la mise en place de postes de tir.
Il est vrai que certains schémas départementaux prévoient la matérialisation de ce type de postes. Dans le cas d’espèce, le schéma départemental n’imposait pas ce dispositif.

Toutefois, dès lors que le tireur ne respecte pas les instructions qui lui sont données par l’organisateur, ce manquement conduit-il à engager la responsabilité de ce dernier ?

Cependant, dans notre affaire, le SDGC ne prévoyait pas la mise en place de postes de tir, alors l’absence de postes de tir conduit-elle nécessairement à une négligence ?

Nous n’en sommes absolument pas persuadés.

Bien au contraire, si nous sommes responsables de ce qui se passe sur notre propre territoire, rien ne nous permet de savoir, lorsque le tir se fait en direction de l’extérieur, ce qui se passe au-delà de notre territoire.

La matérialisation des postes de tir par la mise en place de postes surélevés permet de respecter cette règle essentielle du tir fichant. Cependant lorsqu’un tireur ne respecte pas cette règle, notamment lorsque le tir est lointain, la violation de cette règle conduit ‘elle à engager la responsabilité de l’organisateur ?

Dès lors que des instructions précises ont été données afin que ces règles essentielles soient respectées, il apparaît dès lors particulièrement injuste pour le directeur de chasse et de surcroit pour l’adjudicataire d’être condamnés pour négligence. L’on fait ainsi peser sur l’adjudicataire mais aussi sur le directeur, des obligations particulièrement lourdes qui vont au-delà des obligations réglementaires.

L’orientation qui a ainsi été prise par la Cour d’Appel conduit à faire peser sur l’adjudicataire et sur le directeur de chasse une véritable obligation de résultat.

- L’association adjudicataire de cette forêt domaniale a été condamnée, en 1ère instance, à 25.000 € d’amende, la Cour a réduit quelque peu cette condamnation financière à 10.000 € dont 5.000 € avec sursis.
- Le directeur de chasse, a été condamné à une peine délictuelle de 10 mois de prison assortis du sursis et son permis de chasse lui a été retiré pour une période de 5 ans, (période maximale prévue par le Code de l’Environnement).

La Cour de Cassation, dans son arrêt en date du 28 Juin 2017, rejette le pourvoi et retient comme fondement :

« Attendu que, pour déclarer les prévenus, coupables d’homicide involontaire, l’arrêt attaqué retient que Monsieur M…., directeur de chasse, à qui l’association avait confié un rôle d’organisation, le chargeant, notamment, du rappel des consignes de sécurité, ne s’est pas assuré de la compréhension par Monsieur C….., lequel n’avait qu’une connaissance imparfaite des lieux et ne maitrisait pas la langue française, des consignes figurant sur la feuille qu’il avait signée, n’a pas insisté sur la configuration de la chasse et la position des chasseurs, avec la présence de lignes à faible distance et la dangerosité à l’absence de visibilité ni, de son propre aveu, sur le fait que les postes habituels ne présentaient pas de risque à condition de réaliser des tirs fichants, et qu’il n’y ait pas de ricochets, de sorte qu’il fallait être particulièrement vigilant, à l’égard d’un chasseur ne connaissant pas les lieux, sur la présentation et la compréhension de ces différents points.
Attendu que statuant ainsi, la Cour d’Appel qui a établi l’existence de fautes caractérisées à l’égard de Monsieur M… de nature à engager la responsabilité de l’Association pour le compte de laquelle il agissait, à justifier sa décision
 ».

La Haute Juridiction reprend l’analyse des circonstances de faits telle qu’elle a été retenue par la Cour d’Appel et va au-delà de cette analyse en considérant que le directeur de chasse se trouvait dans une sorte de lien de dépendance avec l’association qui conduisait à retenir la responsabilité de celle-ci.

C’est cette analyse que nous retrouvons lorsqu’il s’agit de consacrer la responsabilité pénale du chef d’entreprise suite à un accident du travail. Nous savons que la responsabilité qui pèse sur le chef d’entreprise est la conséquence d’une obligation de résultat.

Désormais, l’obligation qui pèse sur le responsable de chasse est aussi une obligation de résultat.

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