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Assurance dommages-ouvrage : rien ne sert de courir, il faut déclarer à point ! Par Jérôme Bournonville, Juriste.
Parution : jeudi 22 mars 2018
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En vertu de son obligation de diligence, l’assuré, qui aurait connaissance d’un sinistre dans le délai de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage, est tenu de déclarer son sinistre sous deux ans et avant expiration du délai décennal afin de préserver les recours de l’assureur dommages-ouvrage.

« Point de salut pour les déclarations tardives », ainsi statue la Cour régulatrice par un arrêt du 8 février 2018 (Cass. 3ème civ., 8 février 2018, n° 17-10010). La décision épouse les formes d’une solution moralisatrice, sous couvert d’une stricte mais belle application du droit des assurances.

Une situation pratique classique.

En les simplifiant à l’extrême, les faits épousent les contours d’un schéma classique.

Une société avait souscrit une police dommages-ouvrage auprès d’une compagnie d’assurance pour un ouvrage dont la réception avait été prononcée le 25 octobre 2001. En vertu de ce contrat, deux déclarations de sinistres avaient été régularisées auprès de l’assureur dommages-ouvrage les 12 et 28 août 2013. Ces déclarations intervenaient donc au-delà du délai décennal, mais, fait notable, concernaient des désordres apparus dans ce délai.

Or, on le sait, la situation a progressivement été admise par la jurisprudence qui, dès 1999 [1], permettait d’actionner la « dommage-ouvrage » au-delà du délai de dix ans en se fondant sur la prescription biennale [2]. Le raisonnement était simple : la prescription biennale ne s’applique qu’à compter de la connaissance du sinistre par l’assuré, de sorte que celui-ci dispose d’un délai de deux ans pour déclarer son sinistre, nonobstant l’échéance du délai décennal.

C’est ici tout l’objet de l’arrêt commenté. Certes, l’assuré avait bien déclaré ses sinistres dans les deux ans suivant leur révélation, mais il faut ajouter aux éléments factuels de l’espèce que les déclarations se fondaient sur des rapports d’audit établis les 15 et 19 septembre 2011. En somme, le déclarant avait eu connaissance des sinistres au cours du délai décennal, mais s’était manifesté postérieurement à son expiration.

Un élément déterminant : la date de connaissance du désordre.

Fort de ces éléments, l’assureur dommages-ouvrage avait notifié une position de non garantie fondée sur le caractère tardif des déclarations. Mécontent de cette position, le déclarant avait porté l’affaire devant les juridictions judiciaires.

Après décision rendue en première instance, un appel avait été interjeté. La Cour d’appel de Paris s’était alors prononcée en faveur de l’assureur dans un arrêt du 27 septembre 2016, objet d’un pourvoi en cassation.

La contestation fût vaine.

Le 8 février 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation appuyait la solution retenue en appel : si l’assuré peut effectivement déclarer un sinistre dans les deux ans suivant sa révélation, il n’est pas pour autant dispensé de respecter l’obligation de diligence que sanctionne le code des assurances en son article L. 121-12.

En faisant fi du délai de deux ans accordé à l’assuré du fait de la connaissance du sinistre avant expiration du délai décennal, la Cour régulatrice pourrait sembler revenir sur sa solution du 4 mai 1999 [3] dont l’attendu de principe indiquait : « la prescription prévue par [l’ancien article 2270 du Code civil] est sans application au délai ouvert à l’assuré pour déclarer les sinistres couverts par le contrat d’assurance dommages-ouvrage régi par [l’article L. 242-1 du Code des assurances] ; qu’en vertu [de l’article L. 114-1 du Code des assurances], l’assuré dispose, pour réclamer l’exécution des garanties souscrites, d’un délai de 2 ans à compter de la connaissance qu’il a des désordres survenus dans les 10 ans qui ont suivi la réception des travaux  ».

Si elle ne revient pas sur ce principe, il est indiscutable qu’elle l’encadre. Le contrat d’assurance dommages-ouvrage est certes régi par l’article L.242-1 du Code des assurances, mais il répond aussi et surtout aux dispositions générales applicables à l’assurance de dommages, tout particulièrement à l’article L. 121-12 du même code.

C’est sur cette disposition que la Haute juridiction fonde la déchéance de la libre possibilité, pour l’assuré, de déclarer son sinistre dans un délai de deux ans à compter de la connaissance du sinistre. À cette fin, elle innove par la forme en mettant en échec la prescription biennale face à une obligation de diligence.

L’obligation de diligence.

L’arrêt commenté vient limiter la solution de principe de mai 1999 qui avait été reprise par la troisième chambre civile le 19 mai 2016 [4] : « l’assuré dispose, pour réclamer l’exécution des garanties souscrites, d’un délai de deux ans à compter de la connaissance qu’il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception des travaux ».

En vertu de cette solution, le maître d’ouvrage ne semblait pas tenu à déclaration avant expiration du délai décennal, mais devait se contenter de déclarer le sinistre dans un délai de deux ans après sa connaissance, afin de pouvoir prétendre au bénéfice des garanties souscrites.

Sur ce point, l’arrêt commenté a le mérite de cantonner la possibilité de déclaration dans un délai de deux ans, dans la seule hypothèse où l’obligation de diligence est parallèlement respectée. Car si la théorie accorde un délai de deux ans à compter de la connaissance du sinistre pour déclarer ce dernier à son assureur, la pratique peut conduire à une privation de la subrogation de l’assureur, fait non négligeable pour une assurance de préfinancement.

L’obligation de diligence que la troisième chambre civile fait émerger de l’alinéa 2 de l’article L.121-12 du code des assurances est alors le soldat permettant à l’assureur dommages-ouvrage de restaurer sa vertu : « L’assureur peut être déchargé, en tout ou partie, de sa responsabilité envers l’assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de l’assureur  ». Autrement dit, la déclaration tardive qui conduit à priver l’assureur de sa subrogation décharge ce dernier de sa responsabilité envers l’assuré.

En l’espèce, la déclaration du sinistre, qui intervenait postérieurement à l’extinction du délai décennal, privait l’assureur dommages-ouvrage de ses recours à l’égard des assureurs de responsabilité décennale.

De facto, lorsque le sinistre est connu antérieurement à l’expiration du délai décennal, mais déclaré postérieurement, le « fait de l’assuré », consistant en une déclaration tardive, décharge l’assureur dommages-ouvrage de sa responsabilité.

A contrario, l’assureur dommages-ouvrages retrouve sa responsabilité dans l’hypothèse où la déclaration tardive ne résulte pas du fait de l’assuré, mais de sa connaissance du sinistre postérieure à l’extinction du délai décennal.

Une solution favorable aux assureurs ?

La prescription biennale apparaît moins comme une faculté laissée à l’assuré de déclarer son sinistre pendant deux ans, que comme une sanction extinctive de la possibilité de déclarer le sinistre.

Si le sinistre ne peut, en tout état de cause, être déclaré plus de deux ans après sa connaissance, ce délai de deux ans ne saurait être un motif de procrastination. En somme, le lésé est tenu de procéder à déclaration le plus rapidement possible et, quoi qu’il en soit, avant que le délai entre la révélation et la déclaration ne conduise à la privation de la subrogation de l’assureur. Faute de quoi la sanction tombe, l’assuré non diligent n’est plus accepté en déclaration du sinistre.

L’arrêt commenté est sans aucun doute discutable en ce qu’il fait supposer que l’assuré soit au fait des délais et mécanismes de recours de l’assurance dommages-ouvrage, puisque c’est la privation, consciente ou non, du mécanisme de subrogation de l’assureur par l’assuré qui entraîne la déchéance des garanties de ce dernier.

Mais si la solution se veut être en partie favorable aux assureurs, elle l’est moins que n’eût pu l’être celle du 31 mars 2005 [5] sur laquelle semble revenir l’arrêt commenté.

L’on se rappelle en effet que la Cour régulatrice avait pu retenir à cette occasion que la réclamation de l’assuré relative à un nouveau désordre ne pouvait être présentée plus de deux ans après l’expiration du délai de dix ans suivant la réception. La Haute juridiction instaurait alors une sorte de présomption de connaissance [6], au plus tard au dernier jour du délai décennal.

La solution avait d’ailleurs été confortée par un arrêt du 20 juin 2012 [7], soulignant que l’assureur n’était pas tenu de répondre à une réclamation présentée plus de deux ans après l’expiration de la garantie décennale.

En théorie pure, l’assureur dommages-ouvrage pouvait être tenu de garantir un dommage né pendant le délai décennal, mais connu seulement cinq ou dix ans après l’expiration du délai. Ces deux solutions avaient alors le mérite de permettre aux assureurs d’archiver leurs contrats en fixant une date limite de 12 ans après la réception.

La décision commentée ne reprend toutefois pas l’argumentation. Elle ne semble pour autant pas la contredire en laissant la possibilité d’une déclaration réalisée plus de deux ans après l’expiration du délai de dix ans, la seule condition de recevabilité étant la connaissance postérieure d’un sinistre antérieur.

Propos conclusifs.

Par cet arrêt, la Cour de cassation se prête à un double rappel.

D’une part, le délai décennal visé par l’article 1792-4-1 du Code civil ne concerne que la responsabilité des constructeurs, de sorte que l’assureur dommages-ouvrage, intervenant en dehors de toute recherche de responsabilités, répond au droit des assurances et en particulier à la prescription biennale qui peut entraîner une extension factuelle du délai décennal.

D’autre part, la prescription biennale n’est pas un délai de libre déclaration accordé à l’assuré, qui doit faire face à une obligation de diligence. En pratique, l’assuré qui a connaissance d’un sinistre avant expiration du délai décennal se doit de le déclarer avant ladite expiration pour préserver la subrogation de l’assureur, sous peine de déchéance des garanties.

In fine, la Haute juridiction se livre à une solution de compromis entre les intérêts de l’assureur, en préservant sa subrogation, et ceux de l’assuré, en ne reprenant pas les solutions de 2005 et 2012. Pour autant, la décision se veut être moralisatrice à l’égard de l’assuré qui ne saurait considérer la prescription biennale comme un droit à déclaration tardive.

La morale est tantôt amie, tantôt ennemie du droit. Elle est revenue sur le devant de la scène avec la place accordée à la bonne foi contractuelle. Elle est aujourd’hui au cœur de l’arrêt commenté et se formule en reprenant peu ou prou Jean de La Fontaine : rien ne sert de courir, il faut déclarer à point !

Jérôme BOURNONVILLE Juriste en société d'assurance Droit des assurances et de la responsabilité

[1Cass. 1ère civ., 4 mai 1999, n° 97-13198

[2article L. 114-1 du Code des assurances, alinéa 1 : Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance

[3Cass. 1ère civ., 4 mai 1999, n° 97-13198

[4Cass. 3ème civ., 19 mai 2016, n° 15-16688

[5Cass. 3ème civ., 31 mars 2005, n°04-10437

[6En ce sens, E. MENARD, Assurance dommages-ouvrage : rappels concernant le délai de déclaration du sinistre, accessible ici http://urlz.fr/6LhQ

[7Cass. 3ème civ., n° 11-15199. En ce sens, J.-P. KARILA, "Déclaration de sinistre à l’assureur DO 2 ans après l’expiration de la garantie décennale", accessible ici http://urlz.fr/6LhM