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La nécessaire, mais constamment attaquée, protection du secret professionnel des avocats en Europe. Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : lundi 26 mars 2018
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Le point sur la protection du secret professionnel des avocats en Europe en 2018.

« Ce que j’ai appris dans le secret de la confession, je le sais moins que si je ne l’avais jamais appris » (Saint Augustin).

A la fois la garantie pour un client, dans quelque situation que ce soit, que son conseil ne va pas révéler ce qui lui a été confié et la garantie pour l’avocat et son client qu’un tiers ne va pas utiliser dans ce qui a été transmis sous le sceau du secret, le secret professionnel a un caractère absolu.

Il s’agit de l’un des tous premiers principes de la profession d’avocat et permet son exercice, la confidentialité autorisant la confiance nécessaire du client dans son défenseur.

Défini en France par l’article 2.1, al. 1er du Réglement Intérieur National de la profession d’avocat selon lequel « l’avocat est le confident nécessaire du client », Il balance ainsi dans le fragile équilibre entre la protection de l’intérêt et des droits de l’individu et la protection de la société.

Sur le plan européen, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients.

Ce secret est pourtant battu en brèche sur bien des fronts par des tentatives toujours réitérées des autorités judiciaires pour le contourner et les plus récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) nous donnent l’occasion de faire le point sur le respect européen de ce principe qui conditionne le droit du justiciable à un procès équitable.

L’arrêt Michaud de 2012 : principe et limites du secret professionnel.

Bien qu’ayant conclu à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention, L’importante décision Michau c. France (CEDH, 6 décembre 2012, n°12323/11) a souligné l’importance de la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients ainsi que du secret professionnel des avocats.

Cette affaire concernait l’obligation incombant aux avocats français de déclarer leurs soupçons relatifs aux éventuelles activités de blanchiment menées par leurs clients. Patrick Michaud, avocat au barreau de Paris et membre du conseil de l’Ordre, considérait notamment que cette obligation, qui résulte de la transposition de directives, entrait en contradiction avec l’article 8 de la Convention qui protège la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client.

Dans son arrêt (§118-119), la Cour précise que si l’article 8 protège la confidentialité de toute correspondance entre individus, il accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients.
Cela se justifie « par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C’est la relation de confiance entre eux, indispensable à l’accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu’il comprend le droit de tout accusé de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

Cette protection renforcée que l’article 8 confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et les raisons qui la fondent conduisent la Cour à constater que, pris sous cet angle, le secret professionnel des avocats – qui toutefois se décline avant tout en obligations à leur charge – est spécifiquement protégé par cette disposition. »

La CEDH a cependant estimé que l’obligation de déclaration de soupçon « poursuivait le but légitime de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales dès lors qu’elle visait à lutter contre le blanchiment de capitaux et les infractions pénales associées, et qu’elle était nécessaire pour atteindre ce but ».

Sur ce dernier point, la Cour a retenu que, telle que mise en œuvre en France, l’obligation de déclaration de soupçon ne portait pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats, puisque ceux-ci n’y sont pas astreints lorsqu’ils exercent leur mission de défense des justiciables et que la loi met en place un filtre protecteur du secret professionnel en prévoyant que les avocats ne communiquent pas directement leurs déclarations à l’administration mais à leur bâtonnier.

Voilà donc les déclarations de soupçons légitimées et une première fissure dans le mur du secret.

Mais qu’en est-il des consultations d’extraits de compte bancaire que sont souvent tentées de faire les autorités fiscales ?

Peut-on opposer le secret professionnel aux demandes de consultations de compte bancaire d ‘un avocat ?

Dans son arrêt de chambre rendu le 1er décembre 2015 dans l’affaire Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal (CEDH, 1er décembre 2015, n°69436/10), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’accès aux comptes bancaires d’une avocate mise en examen pour fraude fiscale violait l’article 8.

La Cour juge que la consultation des extraits de comptes bancaires de l’avocate a constitué en effet une ingérence dans son droit au respect du secret professionnel, lequel fait partie du domaine de la vie privée. Elle observe que la procédure visant la levée du secret professionnel s’est déroulée sans que Mme Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova n’y participe, celle-ci n’ayant pu à aucun moment présenter ses arguments. En outre, et contrairement aux exigences du droit interne, l’Ordre des avocats n’avait pas été sollicité au cours de la procédure. La Cour considère également que l’exigence d’un « contrôle efficace » posée par l’article 8 de la Convention n’avait pas été assurée.

Eu égard à l’absence de garanties procédurales et d’un contrôle juridictionnel effectif de la procédure de levée du secret professionnel les autorités portugaises n’avaient donc pas ménagé un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et les exigences de protection du droit de la requérante au respect de sa vie privée.

Si donc le secret professionnel n’est pas absolu, il ne peut toutefois être violé qu’au vu d’indices clairs, concordants et précis concernant la participation d’un avocat à une infraction. Cela ne peut être le fait de simples soupçons

Cette décision a été confirmée depuis lors, notamment dans un arrêt Sommer c. Allemagne (CEDH, 27 avril 2017, n° 73607/13).

Surveillance et écoutes téléphoniques d’un avocat.

L’ arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski c. France (CEDH, 16 juin 2016, n°49176/11), a par ailleurs mis fin aux espoirs des avocats qui revendiquaient un secret professionnel absolu s’étendant à l’ensemble de leurs communications téléphoniques.

La Cour européenne a pris une décision de principe en refusant de considérer comme confidentielle toute conversation entre un avocat et son client, en opposant une fin de non-recevoir aux revendications d’un secret absolu.

La CEDH considèrait depuis longtemps que les communications téléphoniques relèvent de la vie privée et que le secret de la correspondance en fait partie Pruteanu c. Roumanie(CEDH, 3 février 2015, n°30181/05), peu important que ces écoutes soient effectuées sur la ligne d’un tiers (CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France n°23618/94).

Toute interception, transcription et utilisation d’une communication téléphonique dans une procédure pénale constitue donc, en soi, une ingérence dans la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention européenne.

Elle peut cependant être licite si elle répond à trois conditions :

1/ elle doit être « prévue par la loi ». Dans sa décision Matheron c. France (CEDH, 29 mars 2005, n°57752/00), la Cour avait déjà noté que le droit français autorise les écoutes téléphoniques, « lorsque les nécessités de l’information l’exigent » ( articles 100 et suivants du code de procédure pénale), notamment l’article 100-7 mentionne toujours qu’ « aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction ».

Il est donc possible de placer un avocat sur écoute, mais à la condition d’informer le bâtonnier. les transcriptions des conversations pouvant ainsi être versées au dossier si leur contenu est de nature à faire présumer la participation de l’avocat à une infraction (Crim. 8 novembre 2000 n°00-83.570) La Cour de cassation précise à cet égard que c’est également vrai lorsque l’infraction commise par l’avocat est étrangère à celle qui a justifié la saisine du juge d’instruction (Crim, 1er octobre 2003 n°03-82-909)

2/ la procédure doit poursuivre un « but légitime ».

3/ Il doit y avoir un contrôle de proportionnalité entre l’interception et ce but légitime poursuivi, en vertu de la jurisprudence Matheron c. France du 29 mars 2005 précitée qui affirme que l’intéressé doit pouvoir contester devant un juge la régularité des écoutes téléphoniques utilisées à son encontre.

Dans l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, l’avocat et sa collaboratrice étaient en charge de la défense des intérêts du président directeur général d’une société soupçonnée de violation de l’embargo sur l’importation de viande bovine en provenance du Royaume-Uni, en pleine crise de la « vache folle ».

L’affaire concernait en particulier l’utilisation contre l’avocate, à des fins disciplinaires, de la transcription d’une conversation téléphonique qu’elle avait eue avec son client, laquelle avait fait apparaître dans les propos de la requérante la révélation d’informations couvertes par le secret professionnel.

La CEDH a conclu à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que l’ingérence litigieuse n’avait pas été disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi – à savoir la défense de l’ordre – et qu’elle pouvait passer pour nécessaire dans une société démocratique. Elle a estimé en particulier que, dès lors que la transcription de la conversation entre l’avocate et son client était fondée sur le fait que son contenu était de nature à faire présumer que l’intéressée avait elle-même commis une infraction, et que le juge interne s’était assuré que cette transcription ne portait pas atteinte aux droits de la défense de son client, la circonstance que la première était l’avocate du second ne suffisait pas pour caractériser une violation de l’article 8

Les droits de la défense du client ne sont pas atteints et c’est pourquoi la CEDH écarte le principe de confidentialité, affirmant ainsi que les conversations ainsi captées ne peuvent être utilisées contre le client mais seulement contre l’avocat.

Perquisitions et saisies effectuées au cabinet des avocats.

Le cabinet des avocats est un sanctuaire, mais cette sacralité demeure toute relative.

La Cour de cassation rappelle dans un arrêt de sa chambre criminelle en date du 9 février 2016 (Crim 9 février 2016 n°15-85063) qu’il résulte des articles 56-1 du code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci et dont le contenu est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué.

L’absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné.

La CEDH, a souvent eu l’occasion de connaître de cette problématique.

C’est ainsi, notamment dans l’arrêt Niemietz c. Allemagne (CEDH, 16 décembre 1992, n°13710/88), qu’elle a considéré qu’une perquisition au cabinet d’un avocat dans le cadre de poursuites pénales pour insultes contre un tiers avait violé l’article 8 de la Convention jugeant que l’ingérence litigieuse avait été disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi – à savoir la prévention des infractions pénales et la protection des droits d’autrui . Elle a observé en particulier que, même si on ne saurait cataloguer comme mineure, sans plus, l’infraction à l’origine de la perquisition, laquelle avait constitué non seulement une insulte envers un juge, mais encore une tentative d’exercer sur lui des pressions, le mandat avait cependant été rédigé en termes larges. En outre, vu la nature des objets effectivement examinés, la Cour a estimé que la fouille avait empiété sur le secret professionnel à un degré qui se révélait disproportionné en l’occurrence. Elle a rappelé à cet égard que, dans le cas d’un avocat, pareille intrusion peut se répercuter sur la bonne administration de la justice et, partant, sur les droits garantis par l’article 6 (droit à un procès équitable) de la Convention.

Dans une affaire André et autres c. France (CEDH, 24 juillet 2008, n° 18603/03) La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, jugeant la visite domiciliaire chez un avocat et les saisies disproportionnées par rapport au but visé, en précisant que si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. Certes, en l’espèce, la visite domiciliaire s’était accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle avait été exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats dont relevaient les requérants. Mais, outre l’absence du juge qui avait autorisé la visite domiciliaire, la présence du bâtonnier et les contestations expresses des avocats celui-ci n’avaient pas été de nature à empêcher la consultation effective de tous les documents du cabinet ainsi que leur saisie ainsi que de documents personnels de l’avocat, soumis au secret professionnel.

Restrictions à la divulgation d’informations classifiées à l’avocat de la défense et droit à un procès équitable.

Une autre affaire très récente mérite d’être signalée dans un contexte très particulier (CEDH, 25 juillet 2017, M. c. Pays-Bas n° 2156/10) qui concernait un ancien membre des services secrets néerlandais inculpé de divulgation de secrets d’État qui estimait notamment avoir été empêché d’instruire effectivement son avocat.

La CEDH a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 3 c) (droit à l’assistance d’un défenseur de son choix) de la Convention, jugeant que, parce que le requérant était menacé de poursuites s’il venait à révéler des secrets d’État à ses avocats, la communication entre lui et ces derniers n’était pas libre et sans restriction quant à sa teneur, ce qui avait irrémédiablement nui à l’équité de la procédure dirigée contre lui, l’application du devoir de silence ayant nui au droit à la défense de l’accusé. A cet égard, la Cour a estimé que, sans l’avis de professionnels, une personne sur laquelle pèsent de graves chefs d’inculpation n’est pas censée pouvoir peser les avantages de révéler tout ce qu’elle sait à son avocat à l’aune du risque, si elle le fait, d’être exposée à de nouvelles poursuites.

L’ensemble de ces jurisprudences confirme donc bien que, si le secret professionnel des avocats demeure un socle indéflectible, ces derniers demeurent des citoyens soumis à la loi, sans que ce secret ne puisse leur octroyer une impunité pénale de fait. Et la prochaine transposition en France de la directive "secret des affaires" de 2016 dans la loi hexagonale, avec des sanctions particulières spécialement prévues pour les avocats, le confirme sans ambigüité.

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com