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L’inépuisable dilemme entre l’apparence du salarié et l’intérêt de l’entreprise. Par Laura Chambon, Juriste.
Parution : mercredi 28 mars 2018
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La liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale. Si cette liberté n’est pas fondamentale, cela signifie que l’employeur peut y apporter des restrictions.

Les limites à cette liberté doivent répondre aux conditions posées par l’article L. 1121-1 du Code du travail qui dispose que : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché."

Focus sur la jurisprudence rendue en la matière.

Selon l’article L1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération au sens de l’article L3221-3 du Code du travail, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son apparence physique.

L’application de ce principe s’entend par la maîtrise du salarié, de son apparence.

Par conséquent, le salarié dispose en principe de la liberté de se vêtir comme il le souhaite.

Cependant, des exceptions peuvent être apportées à ce principe, motivées notamment, par l’intérêt de l’entreprise.

Ainsi, il a été reconnu que la liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale. Si cette liberté n’est pas fondamentale, cela signifie que l’employeur peut y apporter des restrictions.

Les limites à cette liberté doivent répondre aux conditions posées par l’article L1121-1 du Code du travail qui dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Ainsi, la restriction à la liberté de se vêtir doit être (Cass. soc. 6-11-2001 n° 99-43.988) :
- Justifiée par la tâche à accomplir ;
- Proportionnée au but recherché.

Certaines restrictions ont été admises, que ce soit par circulaire ou par la jurisprudence.

Ainsi, il est admis les restrictions suivantes de manière générale :

- Obligation de porter un vêtement isolant pour la manipulation de produits dangereux [1] ;
- Obligation de porter un uniforme, un insigne lorsque l’employeur peut démontrer que cette obligation est liée à l’exercice de certaines fonctions et ce, dans l’intérêt de la clientèle [2] ;
- Obligation de porter un insigne où est inscrit le nom du salarié si cette obligation est liée à l’intérêt de la clientèle, à l’exercice de certaines fonctions ou à des nécessités en matière de sécurité ;
- Port d’une tenue correcte, adaptée à l’emploi des salariés, notamment lorsque ces derniers sont en contact avec la clientèle.

Sur ce point, ont été admis les licenciements motivés par :
- Le port d’un bermuda, incompatible avec les fonctions et les conditions de travail du salarié, en contact avec la clientèle ; [3]
- Le port d’un survêtement alors que le salarié était en contact avec la clientèle ; [4]
- Le port, par un convoyeur de fonds, de chaussures de couleurs voyantes alors que l’employeur lui imposait de porter des chaussures noires cirées, compte tenu de sa mission, le rapport direct avec la clientèle, constituée de banques ; [5]
- Le port d’une tenue négligée, constituée par un jean troué et un T-shirt et une veste de treillis, de nature à nuire à l’image de l’employeur ; [6]
- Obligation de porter une tenue propre, notamment lorsque le salarié est en contact avec la clientèle ; [7]
- Obligation de porter une tenue décente et interdiction de porter une tenue indécente, susceptible de susciter un trouble dans l’entreprise ou de choquer la clientèle : licenciement justifié d’une salariée qui ne portait pas de soutien-gorge sous un chemiser transparent [8] ; licenciement justifié d’une salariée portant une jupe très courte et décolleté laissant apparaître ses sous-vêtements lorsqu’elle se penche, inadaptée en raison de ses contacts avec la clientèle [9].

Attention toutefois, dans certains cas, notamment concernant le port d’une tenue correcte, les juges apprécient souverainement si la tenue vestimentaire du salarié est ou non compatible avec ses fonctions et ses conditions de travail.

Notamment, dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 11 octobre 2007 [10], les juges du fond ont considéré que le port du bermuda n’était pas constitutif d’une faute après avoir relevé, notamment, que l’intéressé n’était pas en contact avec la clientèle.

De même, dans un arrêt rendu le 9 octobre 2008 [11], la Cour d’appel de Paris a notamment considéré qu’un jean et des bottes ne pouvaient caractériser une tenue vestimentaire négligée, même si la salariée s’était présentée chez un client dans une telle tenue, cette dernière n’étant en rien incongrue ni déplacée mais demeurant au contraire, correcte, tant que la tenue est normalement soignée.

Nous pouvons également préciser que l’appréciation souveraine des juges du fond les amènent à considérer notamment, l’emploi et le statut du salarié.

Par exemple, il ne peut être imposé à un salarié, technicien d’exploitation, ayant le statut d’employé dans le secteur de l’informatique de production, de porter une cravate, cette exigence vestimentaire n’étant pas habituellement imposée et ce, même si le salarié se trouve en contact avec des clients de l’entreprise [12].

Allant plus loin, la jurisprudence a également admis que certaines circonstances exceptionnelles pouvaient justifier le port d’une tenue inhabituelle.

Ainsi par exemple, ne peut être retenue comme une faute du salarié, sa tenue vestimentaire, constituée en période de canicule exceptionnelle, d’un débardeur échancré et d’un pantalon type treillis, au regard des circonstances climatiques particulières à l’époque et des tendances de la mode. Cette tenue ne constitue pas, selon les juges du fond, une tenue inconvenante ou négligée [13].

Outre les tenues vestimentaires, les critères physiques ont également fait l’objet d’une jurisprudence abondante.

Concernant les bijoux et insignes particuliers, la jurisprudence, plutôt abondante sur le sujet, reconnaît à l’employeur la faculté d’interdire le port de bijoux, piercings, boucles d’oreilles, etc. si et seulement si :
- Cette interdiction est inscrite dans le règlement intérieur ;
- La restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ;
- Le port de tels bijoux ou insignes est de nature à créer un trouble parmi la clientèle ou à violer les règles d’hygiène au travail ou encore, est de nature à nuire à l’image de l’entreprise.

Par conséquent, les juges apprécient au cas par cas, les affaires concernant le port de bijoux ou d’insignes et se trouve être plutôt intransigeante envers l’employeur en la matière.
En effet, à plusieurs reprises, les juges du fond sont venus censurer l’interdiction émise par l’employeur de porter des bijoux ou des piercings, en motivant notamment, leurs décisions par les circonstances suivantes :

- Salarié, employé de restauration, portant un petit diamant porté à l’oreille, le bijou étant discret et couramment porté parmi les hommes de la génération du salarié [14].En l’espèce, le règlement intérieur et les consignes données par la société obligeaient les vendeurs à avoir une allure générale soignée sans règles précises concernant notamment la tenue vestimentaire des salariés ou le port de bijoux ;
- Salarié embauché en qualité de serveur de restaurant, avec un piercing au sourcil sans que l’employeur ne démontre en quoi le port de ce bijou constituait une tenue incorrecte et était de nature à nuire à l’image de l’entreprise ou à engendrer un trouble quelconque parmi la clientèle alors que le port du piercing n’est contraire, ni aux bonnes mœurs, ni aux règles d’hygiène applicables en restaurant et que l’employeur, exploitant une chaîne de restaurants à vocation généralise ne peut prétendre qu’il se situe dans des prestations haut de gamme imposant au personnel de salle une tenue vestimentaire stricte [15] ;
- Port d’un piercing par une apprentie, considéré comme n’étant pas incompatible avec la nature des tâches confiées à cette dernière [16] ;
- Port d’un piercing nasal discret par une salariée, hôtesse d’accueil dans un bowling qui ne constitue pas en soi une faute contractuelle ni une violation des règles d’hygiène au travail et n’étant pas de nature à gêner l’exercice de ses fonctions notamment en occasionnant des désagréments à la clientèle s’y rendant. [17]

La Cour d’appel de Versailles, à l’occasion d’un arrêt rendu le 22 septembre 2006 [18] a reconnu la légitimité de l’interdiction faite à un chef de rang de restauration, de porter des boucles d’oreilles et un piercing au nez car ses bijoux étaient de nature à choquer la clientèle d’affaires et familiale de l’établissement.

Par conséquent, en matière de bijoux et de piercing, nous retiendrons que les juges du fond apprécient souverainement les circonstances entourant l’interdiction, prenant notamment en compte les fonctions du salarié, le type de clientèle de l’entreprise, les mœurs et les tendances ainsi que l’existence d’une nuisance à l’image de l’entreprise.

Concernant les coiffures, une circulaire précise que l’obligation d’adopter un type de coiffure est interdite comme portant atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles. [19]

Cependant, des exceptions peuvent être portées à ce principe, notamment lorsque le salarié est en contact avec la clientèle et que la coiffure portée par ce dernier est de nature à nuire à l’image de l’entreprise ou à créer un trouble parmi la clientèle.

Cela a notamment été reconnu s’agissant :

- D’un salarié, chauffeur-livreur, en contact permanent avec la clientèle, se présentant à cette dernière sous un aspect exagérément fantaisiste, avec notamment, des cheveux longs et des boucles d’oreilles ; [20]
- D’un salarié ayant le crâne rasé sur les côtés et surmonté d’une crête jaune centrale gominée, l’employeur lui ayant demandé d’adopter une coiffure plus discrète. [21]

Enfin, concernant les barbes et les moustaches, il est possible de restreindre leur port ou du moins, d’établir une longueur et une tenue si le port de la barbe gêne la réalisation de la tâche pour lequel l’employé a été engagé ou si ce port constitue un danger réel en matière de sécurité ou d’hygiène ou encore, si ce port est de nature à créer un trouble envers la clientèle.

La restriction doit être proportionnée pour la tâche à effectuer, notamment pour les salariés ayant un contact avec la clientèle.

Ce qui est déterminant dans l’appréciation de cette restriction, c’est le poste occupé et la relation directe avec la clientèle.

Si en matière d’hygiène et de sécurité, l’obligation de se raser est considérée comme justifiée et le non-respect par le salarié, de cette obligation peut justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, cependant, les jurisprudences rendues en la matière concernant le contact avec la clientèle sont strictes et il est souvent reconnu que le port d’une barbe, d’un bouc ou d’une moustache ne constitue pas un trouble envers la clientèle ou ne nuit pas à l’image de l’employeur.

Par exemple, dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 5 mars 2004 [22], les juges du fond ont jugé sans cause réelle et sérieuse un licenciement intervenu en raison du port du bouc par un salarié, considérant que ce dernier n’avait pas pour effet de rendre la présentation du salarié peu soignée.

De même, dans un arrêt rendu le 24 janvier 2013, [23] la Cour d’appel de Paris a admis que l’absence de rasage du salarié en l’espèce, n’était pas de nature à porter atteinte à l’image de marque de la société.

En revanche, dans un arrêt rendu le 21 juin 2012 [24], la Cour d’appel d’Orléans a jugé qu’était justifié le licenciement d’un commercial intervenu en raison du non-respect des directives de son employeur, qui lui avait ordonné de raser sa barbe. En l’espèce, le salarié étant commercial, l’obligation de se raser était justifié par des éléments objectifs, caractérisés par la nécessité d’une bonne présentation dans un métier commercial.

De même, en matière de barbe, il convient d’apporter une attention particulière afin de ne pas instituer une mesure discriminatoire.

Une affaire pendante, mise en départage illustre la difficulté à laquelle sont confrontés les employeurs de concilier les intérêts de l’entreprise et le respect du principe de non-discrimination.
Dans cette affaire, quatre agents de sûreté de confession musulmane de l’aéroport d’Orly ont fait l’objet d’un licenciement car ils refusaient de raccourcir leur barbe. Ces derniers ont saisi la juridiction prud’homale considérant que cette mesure constituait en réalité, une discrimination.

Laura Chambon Juriste droit social SL CONSULTING CONSILIUM www.cabinet-sl-consulting.com Twitter : @SASConsilium Facebook : Sebastien.consilium Linkedin : SL Consulting Consilium Google+ : +SébastienLagoutte

[1Circ. DRT 5-83 du 15-3-1983 n° 1242 : BOMT n° 83/16.

[2Circ. DRT 5-83 du 15-3-1983 n° 1242 : BOMT n° 83/16.

[3Cass. soc. 28-5-2003 n° 02-40.273.

[4Cass. soc. 6-11-2001 n° 99-43.988.

[5CA Dijon 25-6-1991 n° 90-2643.

[6CA Paris 25-1-2011 n° 09-2207.

[7Cass. soc. 29-2-1984 n° 81-42.321.

[8Cass. soc. 22-7-1986 n° 82-43.824.

[9CA Douai 30-9-2010 n° 09/03045.

[10n°06-00093.

[11n°06-13.511.

[12CA Paris 24-6-2010 n° 08/10334.

[13CA Paris 9-9-2005 n° 04-36314.

[14CA Toulouse 27-11-1998 n° 97-5400.

[15CA Toulouse 28-2-2003 n° 02-3428.

[16CA Toulouse 11-10-2001 n° 01.

[17CA Metz 7-4-2008 n° 05-808.

[18n°05-37.26.

[19Circ. DRT 5-83 du 15-3-1983 n° 1242 : BOMT n° 83/16.

[20CA Paris 6-5-1982 n° 20019-82.

[21CA Paris 7-1-1988 n° 86-34010.

[22n°02-32.907.

[23n°11/04.162.

[24n°486/12.