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"Mortelle transparence" de Denis Olivennes et Mathias Chichportich.
Parution : samedi 7 avril 2018
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Alors que le Règlement européen sur la protection des données, qui entrera en vigueur le 25 mai prochain, agite l’ensemble des acteurs du numérique, et que la protection qui pourra en découler est attendue par les citoyens (9 français sur 10 étant préoccupés par la protection de leurs données personnelles, d’après l’institut CSA), s’interroger sur la transparence dans nos sociétés, à l’heure du dernier scandale en date autour de la firme "Cambridge Analytica" [1], devient urgent.

C’est ce que nous encouragent vivement à faire Denis Olivennes et Mathias Chichportich, au travers de leur ouvrage écrit en commun.

Denis Olivennes est un chef d’entreprise français, et a dirigé plusieurs grandes entreprises des médias comme le groupe Canal+, la Fnac ou le Nouvel observateur.
Mathias Chichportich est quant à lui avocat, spécialisé en droit pénal et en droit des médias.
Deux parcours et deux visions qui se retrouvent pour nous parler du diktat de la transparence que connaissent nos sociétés, démultiplié par l’effet des nouvelles technologies et d’internet.

Lorsqu’on lit leur essai, l’envie est grande, au bout de seulement quelques chapitres, de jeter son ordinateur et son smart-phone par la fenêtre, avant d’avoir préalablement supprimé tous ses comptes sur les réseaux sociaux (bien que cela soit difficile, voire impossible).
Il faut aller jusqu’au bout du livre pour se rassurer : là n’est pas le propos des auteurs, puisque des solutions pour aboutir à une « démocratie en numérique » sont proposées.
Les auteurs rappellent notamment qu’il faut savoir faire la différence entre la bonne et la mauvaise transparence, l’une étant entourée par un cadre juridique protecteur (qui répond aux questions : quels moyens, dans quelle proportion et à quelle fin ?) lorsque l’autre est sans filtres, ce que les auteurs résument par la formule « tribunal du buzz », une formule chère, déformation professionnelle oblige, à Mathias Chichportich, qui a bien voulu répondre à nos questions :

Quelle motivation principale vous a poussé à écrire ce livre ?

"Cet essai est un appel à une prise de conscience citoyenne. Nous sommes confrontés à une idéologie qui impose de « tout dire » servie par des technologies qui permettent de « tout voir ».

"Nous sommes confrontés à une idéologie qui impose de « tout dire » servie par des technologies qui permettent de « tout voir »".


Hier, la transparence était un idéal : une invention née il y a deux siècles comme un fantastique instrument de liberté au service de la démocratie. Aujourd’hui, sous l’influence d’une vision anglo-saxonne et puritaine de la vie en société, elle devient une idéologie : tout savoir sur tous et tout le temps. Comment ? Par l’incroyable puissance intrusive du Big Data : une arme d’information massive.
Notre Smartphone, le capteur à notre poignet, l’assistant personnel dans notre salon, notre voiture intelligente et bien sûr notre navigation sur internet. Sans parler des données de géolocalisation qui à elles seules suffisent à savoir que vous vous rendez dans un hôpital, chez un psychologue ou dans établissement de soin d’une addiction… Autant de données personnelles analysées par des algorithmes qui nous rendent totalement transparents."

Mathias Chichportich

Quel point fort, s’il ne fallait en retenir qu’un, souhaitez-vous mettre en avant dans ce livre ?

Indépendamment du constat et des pistes de solutions proposées dans le livre, un point sur lequel je suis particulièrement attaché par mon métier c’est la mise en garde contre « le tribunal du Buzz ».

Contre le Tribunal du Buzz et la présomption généralisée de culpabilité.


Dans ce prétoire virtuel, pas de juge indépendant pour dire le droit ni d’avocat pour assurer les droits de la défense. La foule numérique condamne sans enquête. Elle lynche sans preuve, ni scrupule et la présomption d’innocence se transforme en présomption généralisée de culpabilité. Et sans droit à l’oubli… Or nous sommes tous des victimes potentiels d’une dénonciation calomnieuse, d’une diffamation ou d’un chantage. Les modes de régulation doivent être repensés et l’ensemble des acteurs responsabilisés.

A qui le destinez-vous ?

Aux parents pour les sensibiliser à l’éducation au numérique ; aux entreprises pour les alerter sur les nouveaux enjeux (par exemple la cybersécurité) et surtout aux citoyens pour qu’ils se saisissent de ce débat. Les grands acteurs du numérique y ont toute leur place ainsi que les professionnels du droit qui ont un rôle majeur à jouer.
Toutes les innovations ont une face de lumière, facilitent nos vies, améliorent notre santé, notre communication, notre consommation. On en voit immédiatement les bienfaits et plus difficilement les menaces. On a mis par exemple des décennies à prendre conscience des effets destructeurs du progrès technique sur l’environnement.

"Devenons les partisans d’une écologie du numérique."


N’attendons pas d’en être au même point avec le réchauffement numérique. N’arrêtons surtout pas le progrès mais maîtrisons-le. Soyons-en les maîtres et pas les esclaves. Devenons les partisans d’une écologie du numérique.

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la justice.

[1Cette entreprise britannique, utilisée par Donald Trump durant sa campagne pour la présidentielle de 2016 aux Etats-Unis, a analysé les données de dizaines de millions d’utilisateurs à leur insu. Source LeMonde.fr.

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