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Actualité de la clause exorbitante du droit commun. Par David Taron, Avocat.
Parution : mercredi 4 avril 2018
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Souvent effacé derrière les qualifications légales et le service public, le critère de la clause exorbitante du droit commun se rappelle au bon souvenir des praticiens grâce à une récente décision du tribunal des conflits. Cette décision permet au passage de constater qu’il demeure souvent difficile de qualifier un contrat administratif.

Hors les cas de qualification législative il demeure parfois difficile d’identifier précisément le régime applicable à un contrat et nombreuses sont les affaires où l’intervention du tribunal des conflits s’avère requise.

Depuis les décisions Granits porphyroïdes et des Vosges [1] et Bertin [2], les juges n’ont eu de cesse de préciser la ligne de démarcation entre les contrats administratifs et ceux soumis au droit privé, en ayant tantôt recours à la notion de clause exorbitante du droit commun ou à celle de service public [3].

La notion de service public a longtemps été mise en avant pour retenir la compétence du juge administratif. Il est vrai que la multiplication des dispositifs légaux a eu pour effet d’opérer un rapprochement entre le droit privé des contrats et le droit administratif. Que l’on songe par exemple à la clause de résiliation unilatérale que l’on retrouve notamment en droit des assurances.

En dépit de ce mouvement, le critère des clauses exorbitantes du droit commun demeure. C’est ce qu’illustre une décision du tribunal des conflits du 12 février 2018 [4].

Dans cette affaire, un différent opposait une société à une commune de Guadeloupe au sujet de la décision, prise par cette dernière, de ne pas renouveler une convention ayant pour objet de permettre à ladite société d’utiliser une salle de spectacle pour assurer la programmation et la diffusion de manifestations culturelles.

Le liquidateur judiciaire de la société avait contesté la décision de non-renouvellement devant les juridictions de l’ordre judiciaire. L’affaire a été portée devant la Cour de cassation, laquelle a décliné la compétence des juridictions judiciaires, confirmant en cela les décisions des juges du fond. Compte tenu de l’arrêt ainsi rendu, le liquidateur a ensuite saisi le tribunal administratif qui a statué au fond en rejetant les demandes. Dans le cadre de l’appel interjeté par le liquidateur, la cour administrative d’appel de Bordeaux a pour sa part considéré que les juridictions administratives n’étaient pas compétentes et a renvoyé le règlement de la question de compétence au tribunal des conflits.

Après presque dix années de procédure, ce dernier a conclu à la compétence des juridictions administratives, considérant que « le contrat litigieux devait être regardé comme comportant des clauses qui impliquaient, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».

Par cette décision le tribunal des conflits réaffirme l’importance de la clause exorbitante de droit commun (1). Ce faisant, sa décision confirme toute la difficulté qu’il y a à qualifier un contrat (2).

1. La réaffirmation du critère de la clause exorbitante

Le critère de la clause exorbitante n’a jamais été clair, ce qui a certainement contribué à ce qu’il y soit fait référence de manière très mesurée. Classiquement, la clause exorbitante a pu être définie comme celle « ayant pour effet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » [5].

Sont traditionnellement citées parmi les clauses exorbitantes celles qui autorisent l’administration à résilier elle-même un contrat [6] ou celles qui permettent à la puissance publique de diriger, surveiller ou contrôler l’exécution des obligations contractuelles [7].

De manière générale, on peut affirmer qu’une clause est exorbitante quand elle conduit l’administration à imposer des sujétions particulières, soit à titre de sanction soit en permettant une immixtion quasi intempestive dans l’exécution du contrat.

Dans l’affaire récemment jugée par le tribunal des conflits, il a été relevé que le contrat permettait à la commune d’intervenir de façon significative dans l’activité de la société, « d’une part, en imposant à celle-ci la communication préalable de ses programmes à la commune et, d’autre part, en lui imposant de laisser la commune organiser douze manifestations pendant l’année ainsi que, avec de très courts préavis, deux manifestations mensuelles à sa convenance ».

Aux termes de la convention ainsi conclue, l’autonomie de gestion de la société se trouvait largement remise en cause puisque sa programmation était placée sous contrôle, sans que l’on sache toutefois si un droit de veto était aménagé. Parallèlement, la commune s’était octroyée une réserve de jouissance qui limitait la liberté de son cocontractant puisque ce n’était pas moins de trois manifestations mensuelles qui pouvaient être organisées à son bon vouloir.

Il semble acquis qu’aucun exploitant commercial qui aurait eu à négocier une convention ayant le même objet que celle en cause dans l’affaire précitée n’aurait accepté de telles clauses si elles avaient été proposées par une personne privée.

Ceci étant remarqué, il faut garder à l’esprit que tout est affaire d’espèce dans la mesure où la solution aurait pu être totalement différente si la commune s’était réservée une faculté d’utilisation moindre et / ou si elle avait prévu un délai de préavis suffisamment important avant l’organisation d’une de ses manifestations.

Quoiqu’il en soit, l’insertion d’une clause exorbitante n’est pas inconditionnée et, comme prend soin de l’indiquer le tribunal des conflits, c’est l’intérêt général qui doit guider l’initiative de l’administration. Pour le formuler autrement, une clause exorbitante sera neutralisée si elle est mue par la recherche d’un intérêt sans lien avec l’intérêt général.

La solution retenue créé tout de même un trouble dans la mesure où les clauses identifiées par le tribunal des conflits sont proches de celles qui permettent de caractériser l’existence d’un service public.

2. Une réaffirmation traduisant des difficultés réelles d’identification

Il ne faut pas perdre de vue que la détermination du régime juridique d’un contrat peut avoir des conséquences pratiques très importantes. Car si le contrat se trouve être administratif en raison de l’existence d’un service public, l’application d’un régime de passation spécifique peut s’imposer (i.e. passation d’une délégation de service public). Il ne faut pas oublier par ailleurs les implications en termes de gestion des patrimoines, la qualification d’un service public pouvant motiver l’application du régime de la domanialité publique.

Dans l’affaire ici commentée la motivation du tribunal des conflits peut sembler proche de celle qui aurait été retenue en présence d’un service public.

Rappelons que le Conseil d’État a jugé que - il s’agit d’une lecture a contrario - un service public peut être qualifié en présence d’un contrôle de la personne publique sur la programmation artistique et sur les tarifs des spectacles [8]. Plus généralement, une immixtion suffisamment importante de la personne publique doit conduire à retenir l’existence d’un service public [9].

Dans l’affaire tranchée par le tribunal des conflits, l’existence d’un droit de regard sur la programmation (cf. communication préalable) semble traduire une immixtion. Mais selon la juridiction il semble que cela ne soit pas suffisant pour considérer que l’opérateur commercial s’est trouvé privé de toute initiative, aucun droit d’opposition n’étant par exemple stipulé. Car c’est finalement de cela dont il s’agit : il ne peut y avoir de service public que si et seulement si l’activité est assurée ou assumée par l’administration.

En l’espèce, nous sommes donc en présence d’un contrat administratif qui ne devrait être soumis à aucune règle de publicité et de mise en concurrence. La mise à disposition de la salle de spectacle semble devoir être analysée comme un exercice du droit de propriété couplé à des sujétions particulières pour le locataire.

L’arrêt du 12 février 2018 permet de le constater : le paysage contractuel est marqué par un impressionnisme certain. A côté des contrats « classiques » (délégations de services publics, marchés publics, conventions d’occupation du domaine public, etc.), il existe des contrats administratifs dont l’identification nécessite une analyse concrète. Et c’est souvent, dans ce cas, l’identification de la clause exorbitante qui servira de critère discriminant.

David TARON Avocat au Barreau de Versailles

[1CE, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des Vosges Rec. 909

[2CE Sect., 20 avril 1965, Epoux Bertin, Rec. 167

[3nous écartons volontairement le critère tiré de l’existence d’un régime exorbitant issu de la classique jurisprudence Rivière du Sant ; CE Sect., 19 janvier 1973, n°82338

[4TC, 12 février 2018, SARL The Congress House, n°4109

[5CE Sect., 20 octobre 1950, Stein, Rec. 506

[6TC, 16 janvier 1967, société du vélodrome du Parce des Princes, Rec. 652

[7CE Sect., 10 mai 1963, société coopérative agricole « La Prospérité fermière », Rec. 289

[8CE, 23 mai 2011, commune de six-fours lès Plages, n°342520

[9CE Sect., 6 avril 2007, commune d’Aix-en6provence, n°284736