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Economie collaborative : quels critères pour déterminer si le particulier agit à titre professionnel ? Par Florian Renault, Elève avocat.
Parution : lundi 9 avril 2018
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Différents indices permettent de requalifier le statut du particulier offrant des biens ou services sur une plate-forme de l’économie collaborative. Leur interprétation demeure incertaine en l’absence de définition uniforme par les différentes branches du droit de la notion de professionnel, alors que les risques de requalification sont réels.

L’économie collaborative permet aux particuliers de dégager des revenus, à titre principal ou complémentaire à une autre activité. En faisant évoluer les modèles économiques traditionnels de fourniture de biens et de services, elle présente comme particularité de favoriser la réalisation d’économies par la mutualisation des moyens, le partage et l’échange.

En France, l’économie collaborative génère un chiffre d’affaires annuel estimé à 3,5 milliards d’euros, chiffre qui pourrait tripler en 2018 [1]. En outre, 95% des Français déclarent avoir déjà eu recours à l’économie collaborative, et 81% ont déjà proposé une prestation de consommation collaborative [2].
Pourtant, le plus souvent, les utilisateurs de ces plates-formes ignorent les mécanismes juridiques applicables à leurs transactions ou à leur statut.

Pour cause, bien que trois décrets du 29 septembre 2017 [3] aient renforcé les obligations informatives à la charge des plates-formes, il n’existe pas aujourd’hui de cadre juridique spécifique applicable à l’économie collaborative.

Le schéma de l’économie collaborative

L’économie collaborative peut être définie comme le modèle économique de pair à pair permettant la fourniture de biens ou de services à titre onéreux (vente ou location) ou à titre gratuit, par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique de mise en relation.

Des particuliers, que nous qualifierons « d’offreurs particuliers », peuvent proposer différentes activités :

La rencontre virtuelle entre cet utilisateur final et l’offreur particulier s’effectue par l’intermédiaire d’une plate-forme de mise en relation. Ces plates-formes ont différents modèles de revenus. Le plus souvent, elles prélèvent une commission sur les transactions, ont recours à la publicité ou requièrent un abonnement.
Les plates-formes peuvent être organisées sous forme de « market places » (« Places de marché » en français) hébergées sur des sites à forte visibilité tels qu’Amazon ou Rue du commerce. L’offreur particulier bénéficie ainsi d’un meilleur référencement, d’une meilleure visibilité et des fonctionnalités et technologies développées par le site marchand (en matière de paiement et de publicité). Dans d’autres cas, l’offreur particulier pourra concevoir son propre site internet ou blog pour exposer ses produits ou ses travaux (par exemple, pour un photographe).

Les particuliers offreurs peuvent exercer cette activité à titre principal ou à titre complémentaire à une activité salariée. Dans cette seconde hypothèse, la nature des biens ou services proposés sur les plates-formes doit être compatible avec l’obligation de loyauté envers son employeur, voire avec une éventuelle clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans son contrat de travail.

Les revenus dégagés par la fourniture de biens ou services sont, en principe, soumis à l’impôt sur le revenu, y compris lorsque ces sommes constituent un complément de revenus à une activité salariée.
Le Sénat, dans le cadre de la loi de finances pour l’année 2016, avait proposé d’instaurer un seuil de 5000 € ou 12 transactions en dessous duquel aucune taxation n’aurait eu lieu. Cette proposition ayant été rejetée, le principe reste donc la déclaration et la taxation des revenus issus de l’économie collaborative.
Au titre des exceptions figurent par exemple la vente occasionnelle de biens usagés et les sommes perçues lors des covoiturages qui ne constituent pas une rémunération mais un remboursement de frais, à la condition que ces sommes n’excèdent pas le coût d’utilisation du véhicule.

Outre ces aspects fiscaux souvent négligés, les particuliers offreurs ignorent le plus souvent qu’offrir des biens ou des services entraîne également des conséquences sur leur qualification juridique et fiscale.

Le cadre juridique encadrant la relation entre un offreur particulier et un demandeur particulier

Pour l’essentiel, la relation est régie par les dispositions du Code civil.
La réforme du droit des contrats a profondément étendu l’obligation précontractuelle d’information visée à l’article 1112-1 du Code civil. L’offreur particulier doit déterminer les informations qu’il détient et dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie. En effet, la partie qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Précisons que l’information qui a une importance déterminante est celle qui présente un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. L’estimation de la valeur de la prestation est toutefois exclue du champ d’application de l’obligation précontractuelle d’information.

De plus, l’offreur particulier aura à sa charge deux obligations principales, celle de la délivrance conforme et celle de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue.

En revanche, le Code de la consommation ne régira pas la relation entre l’offreur particulier et le demandeur particulier, ses dispositions ne s’appliquant qu’aux relations entre professionnel et consommateur. L’utilisateur final ne pourra pas bénéficier des dispositions de l’article L. 221-18 du Code de la consommation selon lequel le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation, comme a eu l’occasion de le rappeler la jurisprudence [4]. Citons également l’exclusion de la garantie légale de conformité encadrée par les articles L. 217-4 et suivants du Code de la consommation.

En outre, la loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 exige d’indiquer les nom et prénom pour toute personne physique proposant par voie électronique la fourniture de biens ou de services. Toutefois, il est encore courant de constater que des offreurs particuliers utilisent des pseudonymes pour s’enregistrer, s’identifier et proposer leurs biens ou services.

La requalification de l’offreur particulier en offreur agissant à titre professionnel

La notion de professionnel n’est pas définie uniformément par les différentes branches du droit.

Différents seuils auraient pu servir de référence pour retenir la qualité de professionnel, tels que le chiffre d’affaires, le bénéfice, voire même un volume de transactions. De tels critères auraient toutefois été discutables, car ils présentent comme risque de paraître arbitraires, superficiels ou inadaptés à la diversité des objets de ces échanges.

Certaines plates-formes ont également élaboré leurs propres seuils. A titre d’exemple, les conditions d’utilisation de la market place de la Fnac requièrent que l’offreur particulier s’identifie auprès des demandeurs particuliers comme agissant ou non en qualité de professionnel. De plus, il « s’engage expressément à s’identifier comme agissant en qualité de Vendeur professionnel dès lors qu’il effectue des ventes de Produits par l’intermédiaire du Service de manière régulière et à des fins lucratives […]. Le seuil est fixé à un volume d’affaires de 2 000 € par mois réalisé pendant trois mois consécutifs » [5].
La plate-forme Needhelp indique que « si vos revenus issus de la réalisation de prestations de services deviennent trop importants, veillez à adopter le statut fiscal et social adapté à votre situation » [6].

Outre la violation des conditions d’utilisation des plates-formes pouvant entrainer une radiation du compte, ces indications et seuils, sans valeur juridique, peuvent poser des difficultés d’interprétation pour les offreurs particuliers.

A défaut de seuil fixé par le législateur, le Forum des droits sur l’Internet a dès 2005 dégagé un faisceau d’indices fondé sur le comportement de l’offreur pour qualifier une activité de professionnelle ou non [7]. Sont retenus comme critères la régularité de l’activité, son caractère lucratif et l’intention d’avoir une activité professionnelle :

L’offreur particulier exerçant une activité de façon habituelle et dans un but lucratif est susceptible d’être considéré comme professionnel.

Plus globalement, dans le cas de la vente de biens, l’offreur particulier doit se demander si les biens revendus ont initialement été achetés en vue d’un usage personnel ou dans le but de les revendre.
Cela signifie que l’offreur particulier qui vend une collection par de multiples actes de vente ne sera pas considéré comme un commerçant dès lors qu’il n’y avait pas d’intention initiale d’achat pour revente.

Les cas de requalification sont potentiellement nombreux, et les offreurs particuliers doivent rester vigilants quant à l’organisation de leur activité.

Ces critères, dégagés en 2005, sont-ils toujours d’actualité ?
Alors que l’économie collaborative n’était qu’à ses prémices en 2005 en France, ce faisceau d’indices s’applique toujours.
D’une part, le Conseil National de la Consommation suggère qu’au moment du choix de sa qualité par l’offreur, la plate-forme le sensibilise aux règles permettant de requalifier son statut de « particulier » en « professionnel », avec les conséquences (notamment sociales, fiscales, de qualification professionnelle…) qui s’y attachent. Les critères utilisés pour opérer cette requalification s’attachent à la régularité de l’activité, à son caractère lucratif, et à l’intention d’avoir une activité professionnelle (« indices de commercialité ») matérialisée par la réalisation d’actes de commerce et l’existence d’un système organisé de ventes à distance. Ils s’apprécient in concreto [8].
Par ailleurs, le décret du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plates-formes numériques précise que toute plate-forme avec cinq millions de visiteurs uniques par mois indique de manière lisible et compréhensible la qualité de l’offreur, selon que l’offre est proposée par un professionnel ou par un consommateur ou non-professionnel, en fonction du statut déclaré par celui-ci. Si l’offre est proposée par un consommateur ou un non-professionnel et préalablement au dépôt de l’offre, la plate-forme doit également avertir l’offreur des sanctions encourues s’il agit à titre professionnel alors qu’il se présente comme un consommateur ou un non-professionnel.

D’autre part, le rapport au Premier Ministre sur l’économie collaborative publié en février 2016 indique que « l’approche consistant à distinguer un professionnel d’un particulier à partir d’un faisceau d’indices est celle préconisée par le Forum des droits sur l’Internet. » [9]

Selon ce même rapport, l’intérêt de ces critères est avant tout de garantir l’absence de concurrence déloyale entre des « faux particuliers » et des professionnels qui, seuls, en respecteraient le régime fiscal et social.

D’un point de vue jurisprudentiel, le risque de requalification existe également. Ainsi, le Tribunal d’instance de Paris a pu juger qu’en retirant un revenu de 222 € par mois sur 3 ans en vendant 80 produis high-tech, « nonobstant l’importance de cette somme qui, en tout état de cause, ne saurait être considérée comme négligeable, caractérise bien l’existence d’un profit pécuniaire incontestable. Il résulte des éléments ci-dessus exposés que les actes réalisés sur le site internet de la société Priceminister doivent être considérés comme des actes de commerce. » [10]

La Cour de cassation a également pu considérer que l’exercice régulier et personnel d’une activité à des fins lucratives est considéré comme une activité professionnelle emportant obligation d’affiliation, y compris lorsque l’activité est exercée à titre accessoire [11].

Les conséquences de la requalification

Plusieurs conséquences peuvent affecter l’activité de l’offreur particulier dont le statut est requalifié en professionnel. L’offreur devra se faire connaître auprès des administrations, choisir un régime juridique et fiscal adapté à sa situation et procéder à l’ensemble des obligations déclaratives requises.

Les revenus issus de l’économie collaborative seront imposés et soumis aux contributions sociales, et la TVA devra être facturée si le chiffre d’affaires annuel hors taxes dépasse 82 800 € pour les activités de commerce et d’hébergement ou 33 200 € pour les prestations de service.

L’offreur devra se soumettre aux règles de facturation, et s’il est commerçant, aux dispositions du Code de commerce telles que l’interdiction de revente à perte.
Conformément à l’article L. 123-1 du Code de commerce, l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire pour l’exercice à titre professionnel d’activités commerciales et artisanales. En outre, les transactions seront soumises aux règles du Code de la consommation, cumulativement à celles du Code civil. Concernant le droit de rétraction, celui-ci ne s’appliquera pas à la fourniture de biens confectionnés selon les spécifications de l’utilisateur final ou nettement personnalisés, en vertu de l’article L. 221-28 du Code de la consommation.
Une assurance spécifique pourra être requise pour exercer l’activité. De même, certaines activités (telles que les services à la personne) sont soumises à une obligation de qualification professionnelle, un agrément ou encore une déclaration spécifique. Toutefois, selon le Conseil National de la Consommation, il n’appartient pas aux plates-formes d’opérer une vérification de ces éventuelles qualifications et certifications.

L’offreur s’exonérant délibérément de ses obligations juridiques et fiscales est particulièrement exposé à une requalification emportant les conséquences énoncées ci-dessus.
Le Rapport sur l’économie collaborative de 2016, dans sa proposition n°12, suggérait la publication par l’administration d’une instruction ou d’une circulaire permettant aux contribuables de clarifier les critères d’appréciation du caractère professionnel d’une activité d’un point de vue fiscal pour l’assujettissement aux cotisations sociales. En l’absence de clarifications supplémentaires, l’incertitude demeure pour les internautes et la requalification par l’administration en sera d’autant plus subjective que les critères cités exposés ci-dessus sont sujets à interprétation, notamment sur l’intention de l’offreur.

En tout état de cause, la probabilité de contrôle peut paraitre faible. Pour autant, ce risque sera bien plus grand à compter du 1er janvier 2019, puisque les plates-formes seront dans l’obligation de transmettre automatiquement à l’administration fiscale les sommes perçues par ses utilisateurs [12].

Florian Renault Elève-avocat, diplômé du DJCE Rennes

[2Étude réalisée par CSA Research pour Cofidis France : https://www.csa.eu/fr/survey/consommation-collaborative-nouvelle-mode-ou-economie-d-avenir

[3Décret n°2017-1434 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plate-forme numérique ; Décret n°2017-1435 du 29 septembre 2017 relatif à la fixation d’un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plates-formes en ligne élaborent et diffusent des bonnes pratiques pour renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs ; Décret n°2017-1436 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d’information relatives aux avis en ligne de consommateurs

[4TI de Dieppe, 7 février 2011, Igor D. c/ PriceMinister

[7Recommandation du Forum des droits sur l’Internet du 8 novembre 2005 « Commerce entre particuliers sur l’internet : quelles obligations pour les vendeurs et les plates-formes de mise en relation ? »

[8Avis du Conseil national de la consommation sur les plates-formes numériques collaboratives, 28 janvier 2016

[10Tribunal d’instance, 2ème arrondissement de Paris, jugement du 7 septembre 2015

[11Cour de cassation, Civ 2eme, 12 février 2015, n° 14-10994, 14-10995, 14-10996, 14-10997

[12Article 24 de la Loi de Finances rectificative pour 2016