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TEG, année lombarde, la SCI « professionnelle » réduit injustement la protection des particuliers emprunteurs. Par Jean-Simon Manoukian, Avocat.
Parution : lundi 9 avril 2018
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Les particuliers qui souscrivent un prêt immobilier via une SCI peuvent perdre le statut protecteur de non-professionnel.
Une jurisprudence discrète de la 1ère Chambre civile abandonne le critère légal de la destination professionnelle du crédit au profit de celui du « comportement professionnel » de l’emprunteur.
Le TEG erroné et le calcul sur année lombarde s’en trouvent automatiquement prescrits 5 ans après la souscription du crédit.

Quel paradoxe !

La banque qui manque de professionnalisme dans le calcul du TEG et de l’intérêt, tire avantage des dispositions protectrices du consommateur lorsque ce dernier adopte un « comportement professionnel » pour financer un projet non-professionnel.

Le récent arrêt rendu le 7 mars 2018 par la 1ère Chambre n°16-27613 non publié dans une affaire Caisse d’Epargne c/ SCI Saint-Upéry achève un véritable retournement commencé il y a deux ans.

Les circonstances de l’espèce sont assez classiques : en défense à un commandement valant saisie immobilière une SCI oppose le calcul irrégulier du TEG doublé d’un intérêt sur année lombarde et demande la nullité de la stiplulation d’intérêt et, conséquemment, celle du commandement.

La cour d’appel écarte la prescription soulevée par la banque et fait droit aux prétentions de la SCI : la stipulation contractuelle d’intérêt et le commandement valant saisie immobilière sont annulés.

La cour d’appel avait particulièrement bien motivé la qualité de non-professionnel de la SCI pour retenir que la demande n’est pas touchée par la prescription :
- L’erreur de TEG et l’intérêt sur année lombarde sont révélées par une expertise financière,
- Les deux seuls associés sont mari et femme,
- Le couple réside dans l’immeuble acquis par la SCI,
- La SCI a pour objet l’acquisition d’un seul et unique immeuble financé par le prêt en cause,
- Le prêt, de type Prêt Habitat, est sans rapport avec l’activité professionnelle du couple,
- La banque ne démontre pas que le couple a constitué d’autres SCI et qu’il tire ses revenus exclusivement de la gestion d’immeubles.

Sur pourvoi et suivant l’argument de la banque, l’arrêt est cassé au motif que la demande de nullité de la stipulation d’intérêt est prescrite, la SCI étant un emprunteur professionnel de par son objet social qui stipule l’achat et la gestion d’un immeuble.

Pareille motivation ne manque pas de surprendre dans la mesure où les articles L 313-2, L 312-2 et -3 du Code de la consommation (rédaction 2005 applicable à l’espèce) renvoient à la destination du crédit, qui peut être un immeuble à usage mixte professionnel et d’habitation, dès lors qu’il ne finance pas une activité professionnelle, peut important la nature (physique ou morale) de l’acquéreur.

Cet arrêt vient en écho à ceux rendus par la 1ère Chambre les 1er juin 2016 n°14-29678 et 28 septembre 2016 n°15-20145 qui ont privilégié les modalités "professionnelles" de l’opération au détriment de la destination « familiale » du bien financé.

Dans la première espèce un couple recourt à une technique du droit des sociétés -la reprise des actes- pour souscrire un prêt immobilier au nom d’une SCI en formation (non encore immatriculée).
La 1ère Chambre y a vu un « contexte professionnel » permettant à la banque d’échapper à la prescription biennale du Code de la consommation.

Dans la seconde espèce une SCI recourt à un second prêt pour achever la construction du domicile de ses associés. Elle demande à sa banque un prêt « destiné à financer des besoins de trésorerie » qui lui fait souscrire un prêt « finançant des besoins professionnels ».
Il n’en faudra pas plus à la 1ère Chambre pour écarter l’application du Code de la consommation sans qu’il y ait lieu de rechercher la destination de cette trésorerie.

L’arrêt du 7 mars 2018 s’inscrit dans une tendance de restriction du bénéfice du droit de la consommation dès lors que l’emprunteur utilise, manifestement sur le conseil de professionnels dont il s’entoure, le droit des sociétés à des fins patrimoniales.

Cette tendance jurisprudentielle ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre du droit de la consommation qui pose en liminaire des définitions fondamentales qui devront manifestement être rappelées par les plaideurs concernés :

Pour l’application du présent code, on entend par :
- consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
- non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ;
- professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel.

Les SCI familiales ou patrimoniales ne sont pas des professionnelles au sens du droit de la consommation, peut importe la lettre de leurs demandes de financement ou de leurs objets sociaux.

C’est la destination commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole du financement, rapportée à l’activité professionnelle de l’emprunteur qui doit seule déterminer s’il est ou non un professionnel au sens du droit de la consommation.

S’agissant des affaires en cours, il peut être rappelé au juge du fond qu’il lui appartient de restituer aux actes juridiques leurs exactes qualifications en fonction de la règle de droit qu’il tranche, à savoir le régime de nullité relative du contrat de prêt à intérêt auquel le droit des sociétés est étranger.

Dans l’attente d’une résistance de la cour d’appel de renvoi et d’un abandon de cette jurisprudence renversante du « comportement professionnel » de l’emprunteur non-professionnel, les conseils seront attentifs aux libellés des demandes de financement et des objets sociaux des sociétés qu’ils constituent.

Jean-Simon Manoukian, avocat au barreau de Nantes, [->http://teg-taeg-jsmanoukian.com]