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Quel avenir pour les doctorants en droit ?
Parution : mardi 22 décembre 2020
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En 2016, l’arrêté "fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat" [1] avait suscité une levée de boucliers. Après quelques années, le temps était venu de nous demander quels avaient été les impacts de cette réforme. Indépendamment de ce que la "suppression" du CNU (Conseil National des Universités) s’invite dans le débat, l’interrogation reste la même : où en sont les doctorants en droit et quel est leur avenir ?
Pour y répondre, le Village de la Justice s’est tourné vers Cédric Ribeyre, Professeur à l’Université Grenoble Alpes et Directeur de l’École Doctorale Sciences Juridiques, et Véronique Nicolas, Professeure de droit privé, Ancien doyen, Ancien membre du Conseil National des Universités et du Conseil National du Droit [2].

Cédric Ribeyre / Véronique Nicolas

Village de la Justice : Vous accompagnez depuis quelques temps des doctorants. Quelles sont les questions à se poser avant de s’engager dans une thèse en droit ? Qu’est-ce qu’un « bon » directeur de thèse ? Qu’est qu’un « bon » thésard ?

Cédric Ribeyre : "Je conseillerais avec modestie aux étudiants en droit désireux de s’inscrire en thèse de se poser plusieurs questions au préalable, qui sont d’ordre subjectif et d’ordre objectif.

Subjectivement, la thèse étant une véritable aventure, il faut se connaître soi-même et s’estimer capable de travailler plusieurs années sur un même sujet, j’aurais presque dit de façon monacale, du moins dans une démarche relativement solitaire.
L’aspirant-doctorant doit aussi savoir qu’il verra certains de ses anciens camarades trouver du travail ou réussir des concours qui les intégreront plus vite dans une carrière professionnelle, et qu’il s’exposera aux sempiternelles questions de son entourage du type "alors, cette thèse ?" ou "alors, toujours étudiant ?", sans oublier de se poser alors la question cruciale du financement de son doctorat.
Il faut enfin avoir des capacités rédactionnelles et une certaine aptitude à la recherche que pourront révéler ou contredire la rédaction d’un mémoire de master, préalable à mon sens indispensable à l’entrée en thèse.

Ce sont là des questions d’ordre objectif, le futur doctorant devant en outre s’interroger sur son projet, concevoir son doctorat comme une étape d’un projet professionnel qui lui apportera des compétences, et donc savoir comment les valoriser. C’est ainsi par exemple qu’il parait inconcevable de s’engager dans une démarche de thèse dite académique sans se renseigner sur ce qu’est la qualification par le CNU, le recrutement des maîtres de conférences, ou les concours d’agrégation. Il faut aussi se renseigner sur les passerelles que permet le grade de docteur en droit.

Ces questions peuvent être posées à celui ou à celle qui deviendra son ou sa directrice de thèse. Un "bon" directeur de thèse devra en effet savoir expliquer au doctorant les tenants et les aboutissants de l’aventure de la thèse, le guider pour éviter les chausse-trappes, s’assurer de ses aptitudes à conduire une recherche de longue haleine sur tel ou tel sujet.

« Un "bon" directeur de thèse devra savoir expliquer au doctorant les tenants et les aboutissants de l’aventure de la thèse. »

C’est une véritable et lourde responsabilité que d’encadrer le travail de recherche d’autrui. Le directeur de thèse doit savoir proposer ou recadrer un sujet de thèse, il va orienter ou réorienter la recherche, sans se substituer au doctorant, dont il doit respecter le travail. Il doit trouver le juste équilibre entre un suivi sérieux et une immixtion excessive dans l’organisation du travail du thésard.

Car le "bon" doctorant n’est plus un étudiant, il est avant tout un chercheur, et c’est donc quelqu’un qui doit travailler, de façon honnête et originale (ie personnelle), en écoutant les conseils de son encadrant. Il doit rester concentré sur son sujet et ne pas se disperser dans trop de projets distincts, même s’il est indispensable, si l’on veut par exemple être qualifié par le CNU, d’avoir une expérience d’enseignement et donc de gérer son temps entre la recherche et l’enseignement. La gestion du temps est une nécessité pour le "bon" doctorant, qui doit savoir à quels moments avancer rapidement et à quels moments laisser mûrir son sujet, et qui doit aussi savoir arrêter un jour sa thèse - une thèse n’est jamais vraiment finie en réalité – et la soutenir dans un délai raisonnable.

« Le "bon" doctorant n’est plus un étudiant, il est avant tout un chercheur. »

Un doctorant doit savoir écouter et savoir s’écouter, en se demandant sans cesse si ce qu’il fait participe de ce qu’il veut démontrer ou s’il se trompe d’objet. Il doit avoir la lucidité de s’interroger sur le point de savoir si la recherche est véritablement son projet professionnel, et savoir appeler à l’aide s’il est en situation de mal-être. La bonne thèse sera celle qui révélera les qualités attendues d’un chercheur (probité, quasi-exhaustivité, recensement des sources, synthèse et analyse des informations, démonstration, clarté d’expression…)."

Véronique Nicolas : "Avant de s’engager à concevoir une thèse de droit il convient de savoir si l’on vise une carrière universitaire ou non.
S’il s’agit juste d’un exercice destiné à approfondir la recherche en raison d’un projet professionnel en ce sens, encore convient-il de disposer du temps nécessaire. En pratique, avoir une occupation professionnelle à temps complet rend cette démarche plus que délicate, même étalée sur de nombreuses années.

« A la difficulté de trouver un beau et bon sujet, il convient de mesurer l’épreuve d’endurance ainsi envisagée. »

Ayant participé au groupe de travail sur ce sujet au sein du Conseil National du Droit, il est pourtant à noter l’absence d’opposition de principe quant à une telle démarche ; en revanche, croire que rédiger une thèse réduite à quelques pages de considérations générales ou à une compilation sans réflexions constitue une erreur majeure.

Si le candidat vise un poste de maître de conférences, à ce jour, il est hélas indispensable de lui faire prendre conscience de la faiblesse actuelle des postes disponibles. A la difficulté de trouver un beau et bon sujet, il convient de mesurer l’épreuve d’endurance ainsi envisagée.

Un bon directeur désormais serait donc aussi celui n’acceptant pas tous les candidats afin de satisfaire les exigences des écoles doctorales comme des praticiens ainsi qu’ils ont pu l’exprimer notamment au sein du Conseil National du Droit."

V.J : Quelle est la spécificité des thèses en droit ? La durée inhabituelle des études doctorales et le volume atypique de bon nombre de mémoires de thèse en droit sont-ils encore une réalité ? Le cas échéant, les écoles doctorales doivent-elles et peuvent-elles inciter à davantage de raison ?

V.N : "Les thèses en droit n’ont, en effet, aucun rapport avec d’autres : on songe par exemple aux thèses de médecine réalisées en moins d’un an mais après un parcours plus pratique que celui de nos juristes.

Les thèses en droit n’ont, en effet, aucun rapport avec d’autres.

Si elles sont soumises à l’exigence de trois ans, la dérogation d’une année supplémentaire est souvent accordée. En général, une thèse de droit en quatre années se conçoit bien même si des cas particuliers justifiés peuvent se présenter."

C.R : "La thèse en droit est un travail de recherche original, comme toute thèse, mais elle présente peut-être la spécificité d’être un écrit de grande ampleur qui suppose de maîtriser de solides qualités formelles. Comme je l’ai déjà indiqué autrefois, la thèse en droit est sur le fond un exercice de démonstration et d’argumentation, le doctorant devant apporter sa pierre à l’édifice du droit et œuvrer à ce que l’on appelle « la doctrine » qui constitue une source indirecte du droit.

On comprend donc que ce travail demande du temps de réflexion, du temps de dépouillement des sources, et même du temps pour se déplacer sur le terrain pour de plus en plus de thèses, et bien entendu du temps de rédaction. Je ne dispose pas d’éléments permettant de penser que la durée des thèses en droit ait baissé ces derniers temps, on est toujours sur une moyenne de cinq ans. L’effet des comités de suivi de thèses ne semble pas se ressentir sur ce point (mais les situations peuvent être différentes d’une université à l’autre). Quant au volume, les thèses en droit demeurent beaucoup plus conséquentes que dans de nombreux autres domaines.

Mais il est vrai que la « bonne thèse » doit être digeste – tout dépend des sujets à traiter – et qu’une thèse de mille pages n’a plus vraiment le vent en poupe (on reprochera au doctorant de manquer d’esprit de synthèse). Il faut aussi être cohérent : on ne peut pas vouloir réduire la durée des thèses et engager des doctorants sur des sujets très vastes, on voit encore trop de directeurs de thèse proposer des sujets infaisables en un temps et en un volume raisonnables.

« Il faut aussi être cohérent : on ne peut pas vouloir réduire la durée des thèses et engager des doctorants sur des sujets très vastes. »

Il convient cependant d’observer que ces questions dépendent évidemment beaucoup des politiques de chaque section CNU, les doctorants s’adaptant aux exigences qu’on les incite à respecter. Les Écoles doctorales n’ont pas vraiment les moyens de limiter les nombres de pages, elles peuvent tout au plus inviter à redéfinir un sujet de thèse trop large, au moment du recrutement ou à travers les entretiens des comités de suivi. Elles peuvent en revanche agir sur la durée des thèses si elles mettent en place des délais butoirs ou qu’elles apprécient avec beaucoup de rigueur les réinscriptions dérogatoires, avec là encore un rôle-clé pour les comités de suivi dont les avis seront scrutés à la lettre pour motiver un éventuel refus de réinscription."

Les thèses davantage orientées vers la pratique sont-elles encore considérées comme n’étant pas de « vraies » thèses ? Les thèses sur publications ont-elles une place dans le monde du droit ?

C.R : "A ma connaissance les thèses sur publications, ou sur travaux, ne jouent plus un grand rôle dans les écoles doctorales, on trouve d’ailleurs peu d’informations sur les différents sites internet ou dans les textes et règlements des établissements. Il y a parfois des confusions avec les doctorats obtenus par VAE (il y a de plus en plus de demandes en ce sens).

« La distinction entre thèses académiques et thèses professionnelles, n’a en théorie plus vraiment cours ».

La distinction entre des thèses académiques et des thèses professionnelles, plus orientées vers la pratique, n’a en théorie plus vraiment cours dans la mesure où les exigences, en termes de durée, de formation et de soumission à des comités de suivi, sont théoriquement les mêmes, encore que la durée d’une thèse financée à plein temps soit censée être de trois ans contre six pour les autres (en vérité les thèses académiques sont souvent beaucoup plus longues que les thèses sans finalité académique car leurs auteurs veulent s’assurer de bien respecter les canons du genre).

Bien évidemment, en pratique, une attention plus soutenue à la qualité de la démonstration, à la rigueur de la forme, et au choix du jury, sera apportée à une thèse qui a pour objectif la qualification au CNU. Il me semble que toute thèse, même académique, se doit de ne pas négliger la pratique et se doit même d’être utile."

V.N : "Les thèses plus pratiques peuvent être considérées comme de vraies thèses. Toutefois cette dichotomie entre thèse théorique et pratique ne traduit pas la réalité. Toute thèse dite théorique comporte des illustrations, des exemples : devient-elle pratique ? Ce manichéisme apparaît excessif. La distinction à effectuer réside surtout dans la réflexion généraliste suffisamment menée ou non."

La réforme de mai 2016 avait pour objectif de rénover la formation doctorale. A-t-on assisté, comme certains le craignaient en 2016, à une "braderie" du diplôme ? Quelles évolutions avez-vous constatées ?

V.N : "Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact effectif de la réforme de mai 2016. La vigilance s’impose. Il est de l’intérêt de toutes et tous de ne pas voir le plus haut grade dans les diplômes français être accordé avec trop de générosité : celui de la recherche, ou encore celui des professionnels lui faisant confiance, comme des docteurs eux-mêmes pour qu’ils soient reconnus.Pour autant, si une attention constante s’impose, elle ne doit pas se transformer en une politique malthusienne mais nous n’en sommes pas là.

« Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact effectif de la réforme de mai 2016 ».

En tous les cas une « braderie » du diplôme en vue d’une carrière universitaire est difficile dans un contexte de postes réduits. La Covid-19 a démontré – s’il était encore besoin - combien la recherche a besoin de postes scientifiques et administratifs comme de sérénité renforcée pour atteindre les objectifs requis plutôt que de subir la massification de dispositions générant inquiétudes, rapports, statistiques et vaines débauches d’énergies."

"La formation doctorale n’a pas vraiment changé depuis l’adoption du nouvel arrêté : beaucoup d’écoles doctorales exigeaient 120 heures de formation avant la soutenance et c’est toujours le cas, et les catalogues de formation n’ont pas beaucoup évolué, si ce n’est pour tenir compte par exemple de l’exigence d’une formation à l’éthique de la recherche, qui est bienvenue même si elle n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. Certains doctorants continuent à trouver que les formations ne sont pas adaptées à leur situation, mais cela demeure assez subjectif, sans oublier que certains exercent une activité professionnelle et n’ont donc que faire des formations à l’insertion professionnelle notamment.

Un apport intéressant de l’arrêté de 2016 est le portfolio de compétences qui, s’il est mis en valeur de façon intelligente, pourrait servir à une meilleure insertion professionnelle des doctorants. Il est encore un peu tôt pour en voir les effets, sans compter que certaines écoles se contentent de faire de ce portfolio un récapitulatif des formations suivies.

« Un apport intéressant de l’arrêté de 2016 est le portfolio de compétences qui (...) pourrait servir à une meilleure insertion professionnelle des doctorants. »

Quant à la « braderie » du diplôme, c’est tout simplement une contre-vérité : la thèse demeure l’accès à la délivrance du plus haut grade en droit et j’ai même le sentiment que les exigences en termes de recrutement des doctorants à l’entrée de la thèse, et les exigences des rapporteurs qui autorisent les soutenances à la sortie de la thèse, se sont renforcées. La question d’une entrée en doctorat plus sélective rejoint du reste la délicate question des financements et de la professionnalisation du doctorat.

Il ne faut pas oublier qu’il y a en quelque sorte une formation à la thèse et une formation par la thèse, et sur ce dernier aspect la thèse en droit continue d’être un modèle d’excellence (quoique ce dernier terme soit tellement galvaudé aujourd’hui que j’hésite à le prononcer !)."

Une fois la soutenance passée, les docteurs doivent encore traverser les épreuves de la qualification et des comités de sélection. La qualification CNU, aujourd’hui sur la sellette, est-elle le gage de la qualité des travaux ?

V.N : "La procédure de qualification appelle la conscience permanente de tous les membres du Conseil National des Universités de la portée de leurs décisions ; après une ou deux tentatives, une vie professionnelle peut prendre une autre orientation, par nécessité vitale. Les membres composant une section CNU mesurent cette lourde responsabilité : que les docteurs n’en doutent pas. Toutefois, en droit et en pratique les dilemmes ne sont pas toujours si nombreux. Diverses thèses n’en sont pas et appellent sans hésitation un rejet.

A l’inverse, plusieurs sont d’un niveau si supérieur qu’elles ne souffrent pas non plus la moindre mise en balance. Restent certes les cas où le doute est permis : là se situe l’intérêt d’un organe extérieur, ne connaissant pas le candidat et donc impartial, ayant des compétences variées et pointues pouvant ne pas exister au sein de l’Université surtout dans les petites et moyennes facultés (les plus nombreuses) où les spécialistes de tel domaine juridique n’existent pas encore, d’où leur demande d’un recrutement...

Ce qui suscite des crispations parfois légitimes, c’est souvent le constat d’absence de postes. Que plusieurs bons candidats ne puissent être recrutés est hélas, de nos jours, une réalité indépendante de l’existence du CNU. Et si des critiques sont parfois formulées, elles portent plutôt sur la qualification des maîtres de conférences aux postes de professeur. Néanmoins, que des améliorations soient encore envisageables peut s’entendre eu égard à un contexte en évolution permanente mais jeter le bébé avec l’eau du bain n’a jamais permis qu’il soit plus propre…

Si la réforme du supérieur est sur la sellette ces jours derniers, et concernent au premier chef nos doctorants au travers notamment – mais pas seulement – de la suppression du CNU, assez rares sont les critiques énoncées à l’endroit de la qualification aux fonctions de maître de conférences au moins dans les facultés de droit. La raison tient à la possibilité de la solliciter à diverses reprises en sachant qu’au sein des quatre années d’un CNU élu, les deux rapporteurs ne seront jamais les mêmes. Le risque « d’erreur d’appréciation » s’avère donc exceptionnel.

« Tout organe décideur extérieur constitue donc une garantie d’indépendance pour le docteur. »

Et cette étape aux mains d’un organe collégial national, détachée de toute pression interne insidieuse comme inévitable, est fondamental. Comme dans toute société humaine, la suprématie d’un collègue peut exister et nuire aux doctorants ayant un autre directeur de thèse. Tout organe décideur extérieur constitue donc une garantie d’indépendance pour le docteur ; il représente aussi voire surtout un gage sérieux de qualité pour l’ensemble de nos étudiant(e)s et peut-être plus encore aux yeux de futurs recruteurs. Car, désormais, les doctorants même qualifiés ne sont, hélas, pas tous recrutés dans une faculté. Ils cherchent à intégrer la vie active, et, quoi qu’il se dise, la pratique ne reproche pas à ces « bac + 10 » d’être trop théoriciens : elle s’attache à leurs qualités d’approfondissement, de recherche, avec ténacité, patience et rigueur : ils ne doivent pas en douter. La vie active, composée de juristes, connaît la valeur d’une qualification par un jury extérieur et tient aussi compte de cet acquis supplémentaire dans ses choix. La supprimer constitue un mauvais message envoyé:c’est créer une double peine pour les docteurs qualifiés et non recrutés à défaut de postes suffisants. C’est grave. Voilà comment l’on traite nos « cerveaux » ?!

La procédure CNU constitue un plus évident qu’une procédure interne, moins « visible », comportant nécessairement une part de doute – même non justifiée un seul instant –, de manque d’impartialité et d’une consanguinité supposée néfaste. On peut le déplorer mais des décennies démontrant l’inverse pourraient ne pas suffirent à renverser cette conviction, peut-être plus marquée chez les juristes dont l’une des missions consiste à douter de toute information ou donnée, ayant été formé à exiger preuves, vérifications et démonstrations en toute indépendance, etc.... C’est notre formation de base, notre marque de fabrique, nos acquis de longue date, notre force, notre ADN….Nous ne changerons pas de sitôt et les juristes embauchant nos jeunes non plus.

« Supprimer [la qualification CNU] constitue un mauvais message envoyé : c’est créer une double peine pour les docteurs qualifiés et non recrutés à défaut de postes suffisants. »

Pourquoi cette volonté gouvernementale de suppression des CNU ? Siéger dans un CNU relève du bénévolat ou presque (28 euros par dossier sur lequel l’enseignant passe de deux à trois journées avec les déplacements et la session - lesquelles font plus de sept heures par jour - signifie donc que le chercheur est rémunéré environ un euro de l’heure pour qui a envie de remplir les formulaires nécessaires…). En revanche, les déplacements pour les « sessions » de travail pèsent d’un point de vue financier. Même s’il ne s’agit pas de la seule raison, dans le contexte de dettes de la France, imaginer son absence d’influence serait être naïf(ve).

Au-delà de cette réalité, dans certains des 75 CNU existants environ selon les sections, le taux de qualification est parfois supérieur à 80 %. Que ces sections CNU là leur apparaissent moins indispensables, pourrait s’entendre, encore que... Mais, en droit, les taux de qualification se situent entre 30 et 40 % traduisant un vrai travail de sélection des bons travaux comparés à certaines thèses moins ambitieuses, souhaitées – et c’est déjà méritoire - par les juristes dans le cadre de leur carrière professionnelle dans le privé ou le libéral et non pour embrasser la carrière universitaire. Le droit est une matière vaste, regroupant de nombreuses professions pouvant souhaiter ce travail de recherche sans désirer quitter leur métier pour devenir chercheur ; il faut cependant bien les juger lorsqu’ils soumettent leurs travaux au CNU, nullement pour les fustiger – ils sont source d’une autre forme de richesse intellectuelle précieuse - mais aussi pour conforter leurs choix d’orientation professionnelle. Le taux de 30 ou 40 % n’est donc pas étonnant dans cette matière particulière, comme dans certaines autres.

Ce gouvernement a plusieurs fois su ne pas confondre égalité et égalitarisme au travers de divers textes. Pourquoi y revenir dans le cadre de la diversité des sections CNU ?"

C.R : "Le CNU joue un rôle important pour compenser le poids des universités qui jouissent d’une importante autonomie. Il assure un minimum d’égalité dans la construction des carrières.

« Un tel contournement de la qualification risque de renforcer le localisme ».

Les textes en cours de préparation suppriment la qualification autorisant l’accès des maîtres de conférences au corps des professeurs, ce que je trouve moins regrettable (moins regrettable parce que je suis attaché au premier concours d’agrégation, lui-même sur la sellette depuis plus longtemps) que la possibilité laissée par ailleurs, à titre expérimental, aux universités de recruter directement les futurs maîtres de conférences, sans qualification préalable par le CNU (et ce même si l’expérimentation ne devrait pas concerner le droit pour l’instant).

Un tel contournement de la qualification risque de renforcer le localisme et de permettre aux personnes bien placées dans un établissement de faire et défaire des carrières, avec à terme une menace sur le statut des enseignants-chercheurs. Si la procédure de qualification par le CNU n’est pas toujours un gage certain de qualité des travaux, l’absence de qualification le sera forcément encore moins !"

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la justice

[2Le CND "est chargé d’une mission de réflexion et de proposition sur l’enseignement du droit, sur les relations entre les établissements qui dispensent cet enseignement et les institutions et professions concernées, sur la formation et l’emploi des juristes et sur les orientations et les modalités de la recherche juridique" (Décret du 29/04/2008).