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La justice du XXIe siècle : une justice plus soigneuse de la sécurité humaine ? Par Amos Maurice, Docteur en droit.
Parution : mardi 10 avril 2018
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Cet article analyse les liens entre la sécurité humaine et la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. D’une part, il démontre que la sécurité humaine est l’objet et l’indicateur de performance de la justice du XXIe siècle poursuivie par cette loi. D’autre part, il explique les liens entre les objectifs de justice du XXIe siècle et la sécurité humaine.

1. Introduction.

L’année 2016 a vu naître une loi de réforme très ambitieuse, en l’occurrence la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Dans le cadre du processus d’élaboration de cette loi, le ministre de la Justice d’alors, monsieur Jean-Jacques Urvoas (v. ministère de la Justice 2016), avait postulé que « la justice du 21e siècle doit être une justice faite pour l’homme », une justice qui répond aux préoccupations et aux besoins des citoyens. Ce postulat, combien riche de sens et combien digne d’écho, apparaît annoncer une justice axée sur la sécurité humaine à l’échelle nationale ! Elle semble apporter une signification nationale aux discours des pionniers, défenseurs et analystes de la sécurité humaine (Kofi Annan 1999, Lloyd Axworthy 1999, Commission sur la sécurité humaine 2003, Ramel 2003, Rioux 2002, McRae & Hubert 2002), qui postulent de protéger l’individu contre les menaces et périls qui pèsent sur lui, de placer la protection de l’individu au centre des priorités et agendas, de prendre en compte l’individu et ses préoccupations. En effet, plusieurs objectifs de cette loi montrent qu’elle s’oriente vers une justice axée sur la sécurité humaine, notamment avec la déjudiciarisation de certaines procédures, l’attribution de nouveaux rôles à l’avocat et l’accentuation des procédures de règlements amiables des différends. C’est pourquoi je pose la question de savoir si la justice du XXIe siècle, considérée comme « une justice faite pour l’homme », n’est pas tout d’abord et finalement une justice soigneuse de la sécurité humaine. Le thème « justice faite pour l’homme » n’équivaut-il pas à une justice soigneuse de la sécurité humaine ? En quoi la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle diffère-t-elle des principes stratégiques de sécurité humaine ? Je me propose de répondre à ces questions à l’aide d’une analyse comparative du concept de sécurité humaine et des objectifs de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

I — La sécurité humaine : l’indice de performance et l’objet de la justice du XXIe siècle

2. Dans l’hypothèse d’une modernisation profonde de la justice du XXIe siècle, telle que celle-ci est conçue comme « une justice faite pour l’homme », la sécurité humaine en sera l’objet ultime et un indice de performance. Cette relation objectale et de performance concerne le concept, les principes et toutes les composantes de la sécurité humaine.

3.Le concept de sécurité humaine. Le concept de sécurité humaine a pris naissance dans un contexte où la sécurité de l’individu avait tendance à se détériorer au profit de la sécurité de l’État, en dépit des conflits internes et des menaces grandissantes qui pèsent sur l’individu humain. Il a été défini pour la première fois par le Programme des Nations Unies pour le Développement en 1994 comme la protection contre les menaces chroniques, telles que la famine, la maladie, la répression, les événements susceptibles de perturber la vie quotidienne ou de porter préjudice à son organisation dans les foyers, sur le lieu du travail ou au sein de la communauté (v. PNUD 1994 : 24). À cette définition s’est ajoutée, en 2010, celle donnée par le groupe d’États comprenant l’Autriche, le Canada, le Chili, le Costa Rica, la Grèce, l’Irlande, la Jordanie, le Mali, la Norvège, la Slovénie, la Suisse, la Thaïlande et l’Afrique du Sud en qualité d’observateur. Ce groupe d’États présente la sécurité humaine, comme : « […] un monde humain où personne n’aurait à craindre la peur et le besoin, et où tous auraient une chance égale de réaliser leur potentiel […] l’absence de menace constante à l’encontre des droits et de la sécurité des personnes, voire de leur vie […] » ; un concept lié au développement humain, par un renforcement mutuel et réciproque (rapport de l’ONU 2010 — no A/64/701 : 6). Selon la Commission sur la sécurité humaine, assurer la sécurité humaine signifie protéger les libertés vitales de l’homme ; protéger les personnes contre les menaces ou les situations les plus critiques et les plus répandues ; avoir recours à des processus qui mettent à profit les ressources et les aspirations des individus ; élaborer des systèmes dans les domaines politique, social, économique, militaire, culturel, et dans la gestion de l’environnement qui, pris ensemble, forment les éléments constitutifs de la survie de la capacité de gagner sa vie et de la dignité (Commission sur la sécurité humaine 2003 ; Rapport de l’ONU 2010 no A/64/701 : 6). Selon le PNUD (1994 : 24 et 25), la sécurité humaine se traduit par : la possibilité pour les individus d’exercer des choix libres et sans un risque ; la possibilité d’espérer raisonnablement que les perspectives présentes aujourd’hui ne s’évanouissent pas totalement demain ; la possibilité pour les individus de se prendre eux-mêmes en charge ; la possibilité pour un être humain de satisfaire ses besoins essentiels et de gagner sa vie ; la possibilité pour l’être humain de contribuer pleinement à son développement et à celui de sa communauté, de son pays et du monde ; la possibilité d’une solidarité entre les individus et d’un développement participatif. Selon le PNUD (1994 : 25), l’insécurité humaine est susceptible d’entraîner des effets multiplicateurs, car plus on se sent menacé, moins on est tolérant, plus on risque de devenir xénophobe et violent, plus les risques de conflits augmentent. Plus l’oppression et le sentiment d’injustice sont élevés, plus les risques d’instabilité politique et de protestations contre les autorités augmentent. La sécurité humaine serait donc un concept clé pour le développement, la stabilité et la paix à l’échelle mondiale. Elle repose sur plusieurs composantes interdépendantes, en particulier celles proposées par le système des Nations Unies, à savoir : la protection de l’homme des insécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, communautaire, politique (v. PNUD 1994 : 26 ; Axworthy 1999 : 335 et 336 ; Nations Unies 2009), mais j’entends y ajouter les sécurités juridique, administrative, juridictionnelle et sociale de l’homme.

4. La sécurité économique. La sécurité économique suppose la garantie d’un revenu minimum, qui provient normalement d’un travail productif et rémunéré ou qui peut être versé en dernier recours par un système financé par les pouvoirs publics (PNUD 1994 : 26). Au regard des objectifs des Nations Unies (2009), la sécurité économique passe par une politique alimentaire et une politique d’aide adéquate au développement, pour la croissance agricole et rurale durable à grande échelle et par des mesures, qui consisteraient à mettre l’homme à l’abri de la pauvreté et du chômage, à garantir les emplois et le travail indépendant, à fournir une assurance-travail appropriée, à disposer d’un système de crédit approprié, à diversifier les activités économiques, à assurer la productivité de manière pérenne. La sécurité économique impliquerait, en outre, des infrastructures et l’accès aux services de base (transports, communications, eau, électricité), la réduction de la pauvreté, le démantèlement des économies de guerre et des réseaux économiques illicites, le développement de compétences, développement macroéconomique, la garantie des droits de propriété, une police d’assurance de qualité, l’autonomisation à l’échelle communautaire, le développement d’opportunités de microfinance et d’activités productives, de même qu’une aide économique appropriée. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT), « la sécurité économique favorise le bien-être, le bonheur et la tolérance, et est bénéfique pour la croissance et le développement » (OIT 2004). Elle s’explique par la sécurité au travail, une législation nationale de qualité sur la sécurité et la santé au travail, une sécurité du revenu, du marché du travail, de l’emploi, des qualifications, sécurité professionnelle, des indices de sécurité au travail (v. OIT 2005). En quelque sorte, elle est un indice de performance du droit au développement consacré par la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement, de même que des droits économiques de l’homme. La sécurité économique peut d’ailleurs être considérée comme un indice de performance des branches du droit économique interne (droit des affaires, droit des sociétés et de l’entreprise, droit de l’investissement, droit commercial, droit du travail…). Certes, en 2004, la France occupe la 7e place, avec un indice de sécurité économique de l’individu de 0,829 — derrière la Suède (1er, pour : 0,977), la Finlande (2e : 0,947), la Norvège (3e : 0,926), le Danemark (4e : 0,910), les Pays-Bas (5e : 0,865), la Belgique (6e : 0,829) (v. Organisation internationale du travail 2004) —, mais la justice du XXIe siècle a encore quelques gestes à faire pour résorber le chômage, établir l’équilibre économique entre les couches sociales et améliorer la situation des plus pauvres.

5. La sécurité alimentaire. Suivant la définition adoptée par les participants au Sommet mondial de l’alimentation de 1996, « la sécurité alimentaire est définie comme le fait pour tous les êtres humains d’avoir, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique, de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Comité de la Sécurité alimentaire mondiale — CSA 2012 : 6, par. 17). Cette définition ne semble pas annihiler celle du PNUD (1994 : 28), qui l’avait considérée comme : « le fait pour toute personne de disposer à tout moment, matériellement et économiquement, d’une alimentation de base » ; l’existence d’un droit de l’individu aux aliments et de réserves alimentaires suffisantes ; la possibilité pour chaque individu d’accéder facilement à la nourriture. Elle inclut, entre autres, la formation et l’information sur la sécurité et l’insécurité alimentaire et sur les aliments, l’accès aux aliments, la sûreté alimentaire, la qualité, la sécurité sanitaire, la sécurité nutritionnelle, la salubrité, la stabilité, l’utilisation et la disponibilité des aliments (v. CSA 2012). Selon l’IFPRI (CSA 2012 : 6), la « sécurité nutritionnelle peut être définie comme un état nutritionnel adéquat, en termes de protéines, d’énergie, de vitamines et de minéraux, de l’ensemble des membres du ménage, et ce à tout moment ». « La sécurité nutritionnelle existe lorsque la sécurité alimentaire est associée à un environnement sanitaire satisfaisant, à des services de santé adéquats et à des pratiques appropriées de soins et d’alimentation permettant à toutes les personnes faisant partie d’un ménage de mener une vie saine et active » (CSA 2012 : 7, par. 21). Selon les Nations Unies (2009), la sécurité alimentaire consisterait à mettre l’homme à l’abri de la faim et de la famine, par l’accroissement de la production agricole, la garantie de l’accès à la nutrition, du droit à l’alimentation et de l’autonomisation, l’aide agricole et alimentaire équitable, la revitalisation des communautés rurales et des processus de production et systèmes de distribution locaux, des normes nutritionnelles satisfaisantes, la relance de la production vivrière. La sécurité alimentaire est un indice de performance, entre autres, du droit de l’aide au développement, du droit agricole et de l’élevage, du droit rural et de la pêche, du droit de la santé, étant entendu qu’elle prévue dans ces branches du droit. La qualité de ces branches de droit a permis à la France d’être à la 8e place sur 113 pays en 2017, en matière de sécurité alimentaire — derrière l’Irlande (1er), les États-Unis (2e), le Royaume-Uni (3e), l’Australie (5e), les Pays-Bas (6e), l’Allemagne (7e) — (v. Global Food Security Index 2017). C’est l’un des plus performants, mais il faut admettre que la France peut faire mieux en matière de sécurité alimentaire. Une justice faite pour l’homme au XXIe siècle peut permettre encore une amélioration en matière de sécurité alimentaire des pauvres, et plus particulièrement en ce qui a trait à la formation et l’information de tous sur les aliments et la nutrition.

6. La sécurité politique. La sécurité politique de l’homme impliquerait, entre autres : une société respectueuse des droits fondamentaux et de la démocratie, qui se caractérise par l’absence de répression et d’exclusion politiques, de répressions policières ou militaires, de violations systématiques des droits de l’homme, de tortures systématiques, de mauvais traitements, de disparitions forcées ; la protection de l’homme contre l’exclusion ou la répression politique, les abus de droit ou de pouvoirs, les actes arbitraires, les mauvais traitements, la détention et l’emprisonnement illégal, la dictature, la torture, les violences militaires (v. PNUD 1994 : 34 ; Nations Unies 2009). Elle consisterait à mettre l’homme à l’abri des dangers, risques et menaces d’origine politique ou de la gouvernance publique, des Constitutions, des élections politiques, des discours, projets, opinions, associations ou organisations politiques dangereux. Il s’agirait, entre autres, de protéger l’individu humain contre les risques de politiques électoralistes, populistes ou extrémistes, d’abus et détournements de pouvoirs, de même que des principes et systèmes politiques dangereux. Cela ira au-delà de l’état de droit, puisqu’il s’agira de sécuriser tant l’homme politique des menaces humaines que l’homme-sujet politique des dangers politiques à partir du droit constitutionnel, du droit électoral, du droit des collectivités territoriales, du droit de la gouvernance publique. La sécurité politique de l’homme est un indice de performance de l’ensemble des branches du droit politique (droit constitutionnel, droit électoral, droit des finances publiques, droit des collectivités territoriales, l’État de droit, droits politiques de l’homme…). Elle devrait être inscrite dans le processus de modernisation de la justice du XXIe siècle, surtout lorsqu’on n’est pas bien classé sur le plan politique ou démocratique. La France n’est pas très bien placée sur le plan politique, avec un indice de démocratie imparfaite qui la met à la 29e place de 2014 à 2017 (v. The Economist Intelligence Unit 2017 - Democracy Index 2014, 2015, 2016 et 2017). Ce n’est pas bien pire si l’on considère la situation des régimes hybrides et des régimes autoritaires, mais la justice du XXIe siècle peut permettre de progresser davantage sur le plan politique, en améliorant les branches du droit politique.

7. La sécurité environnementale. Au regard des considérations des Nations Unies (2009), la sécurité environnementale de l’homme serait la préservation de celui-ci des risques de dégradation de l’environnement et des ressources naturelles, des risques de pollution, d’épuisement des ressources, de catastrophes naturelles ou anthropiques, par le développement de techniques de récupération et de recyclage des ressources renouvelables gaspillées ou polluées, de mécanismes de prévention, de conservation, de secours et de protection, d’utilisation rationnelle et intelligente des ressources, par le développement de sources d’énergie alternative, de pratiques saines de gestion environnementale et de consommation des ressources naturelles. Pour atteindre cette sécurité, les Nations Unies préconisent le maintien ou la création d’un environnement physique sain, la garantie d’un accès juste et équitable aux ressources aquatiques et terrestres rares. Ces droits figurent également dans le droit international et les droits internes de l’environnement. La sécurité environnementale de l’homme peut être considérée comme un indicateur de performance, entre autres, du droit de l’environnement, du droit de l’urbanisme, du droit de la construction, du droit rural et de la pêche, du droit minier et d’autres branches connexes. En ce sens, la France figure encore parmi les meilleurs modèles en matière d’environnement et de développement durable, en se positionnant à la 6e place au classement mondial. Cependant, il reste encore du travail pour la justice du XXIe siècle, notamment pour assurer la sécurité de l’individu en matière d’urbanisme, plus particulièrement en ce qui a trait au régime de contrôle de l’utilisation du sol.

8. La sécurité personnelle. Considérée comme le numéro un de la sécurité humaine, la sécurité personnelle de l’homme serait la préservation de la personne humaine de la peur, du besoin et de l’indignité, sa protection contre la violence physique, la criminalité, le terrorisme, la violence familiale, le travail anormal des enfants (PNUD 1994 : 31 ; Nations Unies 2009). Elle implique un État de droit, la protection explicite et obligatoire des droits de la personne (droits de l’homme) et des libertés civiles, la mise en place d’une dimension psychologique et psychosociale pour permettre à l’homme de surmonter les traumatismes, une réconciliation individuelle, l’autonomisation des femmes et d’autres groupes vulnérables, le soutien aux victimes, l’intégration des populations touchées par les conflits. La sécurité personnelle est un indice de performance, entre autres, du droit civil, des droits de la personne (droits de l’homme), du droit humanitaire et du droit pénal. Il appartient à la justice du XXIe siècle de réformer ces branches de droit en vue de soigner la sécurité personnelle, c’est-à-dire de réduire de manière considérable les taux de crimes, d’infractions ou de violences contre les personnes, et d’augmenter l’indice de sécurité personnelle et le taux du sentiment de sécurité chez les femmes, comme chez les hommes et les enfants. En dépit des résultats positifs en cette matière, il reste encore des efforts à faire comme en attestent les données statistiques fournies par l’INSEE. Selon l’INSEE, en 2017 : 10,5 % des femmes âgées de 45 à 49 ans se sentent parfois ou souvent en insécurité dans leur domicile ; 13,3 % des femmes âgées de 30 à 44 ans se sentent souvent ou parfois en insécurité dans leur quartier ou leur village ; 19,1 % des femmes âgées de 14 à 29 ans ont souvent ou parfois renoncé à sortir de leur domicile pour des raisons de sécurité (v. INSEE 2017 [sources : INSEE, enquête Cadre de vie et sécurité 2017 ; ONDRP ; SSMSI]). La justice du XXIe siècle se trouve donc devant la nécessité de perfectionner la sécurité personnelle et en améliorer les indices.

9. La sécurité communautaire. La sécurité communautaire de l’homme serait la protection de celui-ci contre les pratiques oppressives ou dangereuses, les troubles et inconvénients d’origine communautaire comme le servage, l’esclavage et les traitements particulièrement cruels réservés aux femmes, les tensions, conflits et attaques résultant des communautés traditionnelles ou existant entre les communautés (PNUD 1994 : 33 et 34). Elle serait, en outre, la protection de l’homme des tensions interethniques, religieuses ou autres liées à l’identité, de toute forme de culture communautaire de violence, des politiques identitaires, des pratiques traditionnelles abusives, du traitement agressif à l’égard des femmes, de la discrimination contre les groupes ethniques, autochtones et de réfugiés (Nations Unies 2009). Cette forme de sécurité se traduirait par une création de confiance dans les réseaux de communautés locales, une protection explicite et obligatoire des groupes ethniques et de l’identité communautaire, un contrôle des pratiques commerciales injustes susceptibles de limiter le potentiel de croissance des communautés dépendantes de l’agriculture. Elle se matérialise par l’harmonie sociale débouchant sur la sécurité de toutes les composantes d’une communauté, de même que par le sentiment de sécurité et la situation objective de sécurité de l’homme dans une communauté, qui peut être politique, économique, culturelle ou religieuse. Cette forme de sécurité concerne l’homme dans un marché commun, comme la Communauté économique européenne, la CARICOM (Marché commun de la Caraïbe), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe, la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) et l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est). Devant les enjeux et inconvénients du Marché commun, la justice du XXIe siècle est appelée à trouver le juste milieu protecteur de l’homme entre les intérêts communautaires et l’intérêt individuel de l’homme devenu citoyen communautaire. Sur le plan culturel, il y a lieu de trouver le régime efficace pour protéger l’homme du sectarisme, de l’endoctrinement, des cultures, croyances, confessions ou religions dangereuses, de l’utilisation illicite ou dangereuse des pratiques cultuelles, confessionnelles ou religieuses. Ces facteurs constituent des fléaux un tantinet oubliés des politiques publiques, en dépit de leur dangerosité pour le développement humain, le développement et le développement durable. Il en est de même des influences communautaires dangereuses ou de l’effet Panurge. La sécurité communauté de l’homme est un indice de performance, entre autres, du droit communautaire, du droit des confessions religieuses et des cultes, du droit coutumier, de même que du droit de l’urbanisme dans sa gestion de la connexité sociale et des règles relatives aux servitudes communautaires ou de voisinage. Elle apparaît constituer l’un des défis à relever par la justice du XXIe siècle.

10. La sécurité sanitaire. La sécurité sanitaire de l’homme serait la protection de celui-ci des menaces possibles pour sa santé, notamment les maladies infectieuses mortelles, l’alimentation malsaine, la malnutrition, le manque d’accès aux soins de santé essentiels. Selon les Nations unies (2009), les réponses possibles pour assurer cette sécurité sont, entre autres, la prévention des maladies et de la propagation des maladies contagieuses, la promotion de la santé et de la nutrition, la préparation aux épidémies, l’accès aux soins et aux services de santé essentiels (y compris les soins post-traumatiques et de santé mentale), la surveillance et le contrôle des maladies, l’amélioration des services d’eau et d’assainissement, l’aide de santé aux personnes pauvres, le maintien de l’équilibre des taux de mortalité et de fécondité. À cela s’ajoutent des politiques sanitaires, alimentaires, pharmaceutiques et commerciales appropriées. La sécurité sanitaire de l’homme résulte en quelque sorte : du sentiment, chez un individu humain, de posséder le « meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre », suivant le second principe de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; et du sentiment de confiance et de satisfaction à l’égard du système de santé et de la capacité de l’État ou des autorités publiques à assurer sa sécurité sanitaire et à assumer leur responsabilité sanitaire à son égard. Cette sécurité est un indice de performance, entre autres, du droit de la santé, du droit rural et de la pêche maritime, du droit commercial, du droit de la consommation, du droit de la restauration et de toutes autres branches du droit qui participent des facteurs de protection de la santé. Elle est indissociable de la performance de la justice du XXIe siècle, notamment du droit des finances publiques, du droit de la programmation et de la performance. Prévue par le droit et étant l’objet d’un financement public important dans certains pays — à l’instar de la France, qui, en 2014, a consacré 11.5 % de son PIB à la santé, selon les statistiques de l’OMS, et qui s’investit considérablement dans les stratégies de santé à l’échelle internationale —, la sécurité sanitaire reste un objectif à améliorer par la justice du XXIe siècle. Bien entendu, il est important d’attirer l’attention sur la performance de la stratégie française, la stratégie de gestion axée sur la qualité des résultats, la qualité et la sécurité des soins de santé (v. arrêté du 28 février 2018 fixant la liste des indicateurs obligatoires pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et les conditions de mise à disposition du public de certains résultats par l’établissement de santé). La stratégie française en cette matière pourrait inspirer bien des pays en quête d’une sécurité sanitaire.

11. Les principes de sécurité humaine. La sécurité humaine repose sur plusieurs principes, entre autres : la protection et la capacité d’action ; une approche multidimensionnelle et globale, qui allie des normes, processus et institutions à une démarche consultative et participative, qui consiste à définir les enjeux précis d’une situation d’insécurité donnée et d’examiner les dispositions institutionnelles et les dispositions en matière de gouvernance qui doivent être prises pour assurer la survie, les moyens de subsistance et la dignité des individus et collectivités. Elle se base sur : le recensement ou l’inventaire des besoins concrets des populations en difficulté ; la cohérence des objectifs et des attributions des différents acteurs ; l’utilisation judicieuse et responsable des ressources ; la prise en compte de la portée des problèmes lors de l’élaboration de politiques et des recommandations opérationnelles visant à y remédier. Elle se fonde en outre sur : la connaissance profonde des risques, en tenant compte de leurs causes et effets ; la prévention de l’apparition des futurs problèmes et l’atténuation de leurs effets ; le principe de prévention selon lequel « il vaut mieux prévenir que guérir », considérant qu’il serait « moins coûteux de traiter les menaces en amont qu’en aval ». Avec elle, c’est : l’universalité et la primauté des libertés fondamentales, sans une distinction des droits (qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels) ; le partage du travail, selon le slogan « Lavorare meno, lavorare tutti » (travailler moins pour que tous travaillent) ; l’accès au crédit pour tous ; l’interdépendance des mesures de protection, la prévention et l’individualisation de la sécurité sur un plan multidimensionnel (v. PNUD 1994 ; Nations Unies 2010, A/64/701 : 9 et 10). Pour endiguer les insécurités humaines, le PNUD (1994) avait préconisé une militarisation rationnellement maîtrisée pour récolter les dividendes de la paix, le remodelage de la coopération pour le développement, un nouveau regard sur le développement humain. Les principes de sécurité humaine prolongent en quelque les principes de performance, de gestion et de sécurité des résultats. Se devant d’être l’objet ultime de toutes les actions ou politiques publiques concernant l’homme, la sécurité humaine devient, de fait, à la fois une finalité et indice de performance du droit et de la justice comme objet du droit. Ainsi, une loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui se propose de faire une justice pour l’homme ou de rapprocher la justice de l’homme, apparaît faire d’office de la sécurité humaine son objet et son indicateur de performance. Il y a tout de même lieu de faire remarquer les principes de sécurité humaine sont, pour la plupart, ceux du droit, même si l’approche du droit est plus répressive, plus conflictuelle ou plus agressive.

II — Les liens entre les objectifs de justice du XXIe siècle et la sécurité humaine

12. La justice du XXIe siècle et la sécurité humaine sont liées tant sur les plans téléologiques, terminologiques et instrumentaux que sur les plans des impératifs et obligations et des défis à relever.

13. Les liens téléologiques. Les objectifs de justice du XXIe siècle toucheront tôt ou tard les aspects multiples de sécurités sur les plans politique, administratif, juridique, économique, alimentaire, sanitaire, environnemental, personnel, communautaire… qui sont à la fois des objectifs de sécurité humaine et des branches du droit. Il appartient au droit de prévoir les règles nécessaires et suffisantes pour garantir la sécurité de la personne humaine et la protection de tous les individus contre toutes les formes de menaces, risques et incertitudes prévisibles. C’est d’abord au droit de protéger l’homme contre : la pauvreté, le chômage, la faim, la famine, les maladies infectieuses ; les risques environnementaux (dégradation de l’environnement, épuisement des ressources, catastrophes naturelles, « pollution) ; les risques professionnels ou de la vie courante ; les produits malsains de consommation, pour leur rendre accessibles les soins essentiels de santé. C’est l’objet du droit de protéger l’homme contre : toutes les formes de criminalité, de violence et de mauvais traitements (traitements inhumains, violence physique, professionnelle ou familiale…) ; les menaces d’ordre identitaire, culturel, ethnique, interethnique, religieux, confessionnel ou « cultuel » ; les oppressions, les abus et l’arbitraire politique, administratif ou juridictionnel ; toutes les formes d’abus d’autorité ou de pouvoir. Mais c’est aussi la finalité et l’essence même de la sécurité humaine. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle étant à ses débuts et connaissant la tradition française en matière de réforme, il est certain que de futurs ajustements de cette loi parviendront à toucher les autres dimensions juridiques de la sécurité humaine.

14. Les liens terminologiques. Dans l’exposé des motifs de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, on trouve de nombreux termes communs au concept de sécurité humaine. Parmi ces termes, il y a lieu de souligner ceux de prévention, de protection ou de sécurité. Selon l’exposé des motifs, le processus de restauration du lien de confiance entre les citoyens et les institutions de la République est une priorité, de même que l’affirmation de l’État de droit, considérée comme indispensable au maintien de la cohésion nationale et de la confiance envers la démocratie. Les motifs de cette loi mettent en outre l’accent sur la nécessité d’une protection des citoyens et des justiciables et la nécessité de leur confiance à l’égard de l’institution judiciaire et la justice « comme élément des valeurs fondamentales de la République et du peuple français au nom duquel elle protège les droits des citoyens et les libertés ». La nécessité de mieux informer le citoyen et de le rendre plus responsable de ses décisions, de rendre la justice du quotidien plus efficace, plus accessible, mieux adaptée aux évolutions de notre temps, plus rapide et moins complexe, plus proche et mieux organisée, afin de permettre aux justiciables de rechercher une solution négociée dans un cadre juridique avant le recours au juge, tout cela correspond à la terminologie de la sécurité humaine. Il en est de même des termes de justice indépendante et irréprochable, des postulats « de justice en phase avec les évolutions de la société et plus tournée vers le citoyen pour répondre à ses nombreuses attentes et pour lui permettre d’être plus en capacité d’agir, de défendre ses droits et de résoudre ses litiges ». L’impartialité et l’ouverture des magistrats sur la société élargissent aussi le champ de la terminologie de la sécurité humaine. La terminologie de la justice du XXIe siècle porteuse d’une « justice faite pour l’homme » ne diffère donc pas beaucoup de celle du concept de sécurité humaine.

15. Les liens entre les objectifs secondaires ou actions. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle visait de nombreux objectifs secondaires en lien avec ceux de sécurité humaine, notamment : d’adapter l’organisation et le fonctionnement de la justice pour que le citoyen soit au cœur du service public de la justice ; de fonder les réformes organisationnelles et statutaires de l’institution sur des études rigoureuses et de qualité ; de permettre au citoyen de régler son litige de manière négociée avant ou même après la saisine du juge ; d’assurer une prise en charge rapide et de proximité pour les litiges du quotidien et touchant les plus vulnérables comme pour les contentieux de la sécurité sociale ; de redéfinir les contours de l’intervention des magistrats ; de garantir un service public de la justice plus proche, plus efficace et plus protecteur. Les quinze actions visées par cette loi montrent également un lien étroit avec la sécurité humaine, notamment par : l’ambition d’une justice adaptée aux nouveaux besoins de droit et correctrice des inégalités sociales ; le renforcement de l’accès à la justice par voies numérique et géographique ; la garantie d’une justice plus ouverte sur la société et plus adaptée aux évolutions territoriales, sociales, démographiques et économiques ; l’amélioration de l’organisation judiciaire et le fonctionnement interne des juridictions. À ces actions s’ajoutent : la centration de chacun des professionnels de justice sur ses missions essentielles ; la valorisation du règlement amiable des litiges ; le renforcement de la protection des plus vulnérables ; l’amélioration du fonctionnement interne des juridictions, de la prévisibilité des décisions de justice et des outils utilisés en juridiction. Le fait de considérer la justice comme un outil de régulation sociale au service de la lutte contre les discriminations et les inégalités, de viser le renforcement de l’égalité de tous devant la justice, l’accès des plus démunis à la justice, la confiance des citoyens en la justice, s’inscrit bien dans la logique de sécurité humaine. Il en de même de l’objectif de renforcer l’accès au droit et à la justice, d’améliorer le recrutement et la formation des magistrats, de simplifier les procédures, de placer le citoyen au cœur du service public de la justice, de rapprocher la justice du citoyen et de mieux garantir l’accès au droit et à la justice. Considérant la galère pour accéder à un texte législatif ou réglementaire dans certains systèmes de droit, les objectifs de modernisation de la justice du XXIe siècle en France apparaissent nécessiter un plus grand écho international. Les motifs visent également une justice pour sécuriser la vie économique des entreprises, une modernisation du service public de la justice, de simplification et la sécurisation du droit. Il n’y a pas vraiment de cloison entre ces objectifs et les stratégies de sécurité humaine.

16. Les liens de principes et d’approches. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle annonce une sécurité humaine plus soignée dans la mesure où elle tend à redéfinir, entre autres, le juge du XXIe siècle, les juridictions du XXIe siècle, le législateur du XXIe, l’avocat du XXIe siècle et le justiciable du XXIe siècle. Sur le plan des principes, elle montre un effort pour prendre en compte le droit du public de participer à l’élaboration du droit, conformément aux stipulations de la Déclaration sur le droit au développement et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Lorsqu’il est relaté dans l’exposé des motifs que « 96 % des Français estiment que les procédures doivent être simplifiées et l’information sur le fonctionnement de la justice en général améliorée », cela traduit cette volonté de prendre en compte les observations du public. Il en est de même, lorsqu’il y est relaté que les « citoyens considèrent à 82 % que la justice doit être plus proche d’un point de vue géographique », ou que « l’organisation de la justice doit s’adapter aux évolutions sociologiques, démographiques et économiques des territoires et se fonder sur des constats objectifs et partagés par tous les acteurs locaux ». L’approche consistant à confier des missions de réflexion et d’étude sur l’organisation judiciaire, la justice, l’office du juge, son périmètre d’intervention et l’organisation de son travail, l’action publique et le ministère public, vise sans aucun doute la connaissance maîtrisée de la justice et des risques résultant d’une mauvaise organisation des juridictions. Il en est de même de la constitution de groupe de travail sur le « juge du XXIe siècle » et sur la « juridiction du XXIe siècle ». Ces approches présagent une reconfiguration profonde des divers acteurs de la justice du XXIe siècle. En évoquant des pourcentages de la population ayant réclamé une mesure de justice, ou des chiffres résultant des études préalables, on est en train de créer des précédents qui vaudront un droit exigible pour le citoyen dans les procédures législatives, mais aussi un nouveau principe de légitimité des règles juridiques. Ce faisant, le citoyen du XXIe siècle est en train de devenir législateur avec une influence certaine sur le droit et la justice dont il a besoin pour se sentir en sécurité. Cette approche tiendra les législateurs officiels obligés d’impliquer, effectivement et de manière efficiente, les citoyens dans l’élaboration des règles de droit et de prendre en compte les données statistiques et scientifiques. Dans l’hypothèse d’une continuation de cette approche, ce sera la disparition du vote politique des règles juridiques au profit d’une ratification fondée sur des données statistiques, conclusions scientifiques, conclusions et avis d’experts, chiffres et pourcentages. C’est l’avènement d’un nouveau législateur et d’un nouveau justiciable au XXIe siècle, mais aussi d’un nouvel avocat et d’un nouveau juge au XXIe siècle, tenant compte des objectifs de réforme concernant ces derniers.

17. La sécurité humaine : un impératif et une obligation pour la justice du XXIe siècle. Par son intitulé même et son principe de « justice faite pour l’homme », la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle insinue que la justice des siècles antérieurs, ou du moins du XXe siècle, n’a pas été moderne et qu’elle n’avait pas ou peu prêté attention aux préoccupations et aux besoins de l’individu humain. Moderniser la justice du XXIe siècle consiste : à divorcer d’avec la morale et les « croyances fondamentales », les anciennes approches et méthodes, les systèmes, valeurs, principes et dogmes anciens ; à adapter la justice avec l’époque actuelle ; à apporter des réponses adéquates aux préoccupations actuelles de l’homme, à mettre la justice à l’avant-garde du progrès et en harmonie avec l’homme du XXIe siècle. C’est « le début d’une nouvelle ère ». La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle est à mon sens parmi les plus magnifiques de notre ère par sa reconnaissance implicite de la maltraitance de l’homme par la justice du XXe siècle ou des siècles antérieurs. C’est une réalité. Le XXe siècle, avec ses deux guerres mondiales, les indépendances, les luttes et conflits intestinaux et une mondialisation mal gérée, n’a pas été très glorieux pour l’homme. Le XXe siècle nous a légué une diversité de branches de droit pour l’homme (droit de la sécurité sociale, droits de l’homme, droits humanitaires, droit international pénal, droit international des réfugiés, droit international du travail, droit du développement…), une politique et des stratégies d’aide au développement..., mais l’objectif de justice pour l’homme n’a pas été suffisamment atteint. Théoriquement, ce fut le siècle de l’homme, mais, de manière pratique, un siècle contre l’homme, un siècle de paradoxes, de transplantation de la peur et des risques. Les stratégies du XXe siècle ou des siècles antérieurs nous ont laissé un monde très déséquilibré avec des anormalement riches d’un côté et des anormalement pauvres de l’autre. Heureusement, la France, respectueuse de sa tradition et de son histoire en matière de grandes théories et idées révolutionnaires du droit, vient poser le principe d’une justice du XXIe siècle moderne et faite pour l’homme. Dès lors, par principe, la sécurité humaine devient une obligation, un dû, pour la justice du XXIe siècle. Une obligation, car elle se propose implicitement de résorber les conditions ou causes déterminantes de la peur vis-à-vis des tribunaux, juridictions ou juges, vis-à-vis de l’administration, des hommes et femmes politiques, vis-à-vis d’autrui, de même que la cohabitation systématique de l’État avec les causes et conditions anthropiques qui déterminent les insécurités pour l’homme. C’est aussi une nécessité absolue, car la sécurité humaine est indissociable d’une justice faite pour l’homme. C’est en quelque sorte l’objet même de cette justice.

18. La sécurité humaine : un défi pour la justice du XXIe siècle. La sécurité humaine est un énorme défi à relever par la justice du XXIe siècle, car l’appellation même de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, une justice dite justice faite pour l’homme, évoque l’idée de réformer le droit, entre autres, de passer d’une « assurance-chômage » à une assurance-travail ou une garantie-travail, par un partage équitable du travail, une adaptation du travail à l’homme et le rapprochement du travail de l’homme. Cela exige un revirement dans les approches et méthodes, des réformes profondes, en matière de prévention — le droit actuel étant trop répressif et trop litigieux —, mais ce serait un prix à payer pour assurer la sécurité humaine. Ce n’est pas facile, mais il appartient à cette justice de permettre à l’homme d’avoir, d’une part, la connaissance suffisante de la nature, des causes et des effets des risques et menaces qui l’entourent et auxquels il s’expose et, d’autre part, les moyens nécessaires pour les surmonter. Cela apparaît constituer le prix à payer pour permettre à l’homme de prendre la mesure des menaces qui pèsent sur lui pour pouvoir se protéger et protéger autrui. Pour assurer la sécurité des femmes, cette justice semble devoir permettre à celles-ci et aux hommes, d’une part, de bien se connaître et de bien connaître leur sexe opposé et, d’autre part, d’avoir les moyens et la capacité nécessaires pour lutter contre les violences. Cette justice devrait avoir vocation à garantir l’harmonie et l’émancipation du genre humain (femmes, hommes, autres sexes) et l’équilibre ou l’égalité des droits, chances et moyens pour tous sans distinction de sexes. C’est un énorme défi, puisqu’il conviendra de faire des réformes profondes et de les faire accepter, de gérer les changements et de redéfinir complètement les divers acteurs de la justice (le législateur du XXIe siècle, le juge du XXIe siècle, l’avocat du XXIe siècle et le justiciable du XXIe siècle). C’est un énorme défi : celui d’un monde, de l’humanité, un revirement dans les habitudes séculaires, celui de recentrer l’homme sur ses dimensions les plus humaines et les plus humanitaires, celui de rendre l’homme solidaire de l’homme.

19. Une justice moderne du XXIe siècle : un instrument de perfectionnement de la sécurité humaine. La justice du XXIe siècle poursuivie par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 apparaît comme une justice idéale, mais il lui reste encore beaucoup à faire pour être considérée comme telle. Par ses objectifs principaux — ceux : de rapprocher la justice du citoyen ; de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges ; d’améliorer l’organisation des juridictions pour un traitement plus efficace du contentieux ; de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles ; de coordonner l’accès collectif au juge ; de rénover et d’adapter la justice commerciale aux enjeux de la vie économique et de l’emploi —, elle apparaît être un instrument de perfectionnement de la sécurité humaine. Cependant, il convient d’être prudent. Tout au moins, les objectifs secondaires de cette loi doivent permettre d’atteindre l’objet de mettre la personne humaine à l’abri de tout danger. Il convient d’ailleurs de faire attention à certains objectifs, même s’ils sont beaux et acceptés, à l’instar de celui de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL). Les MARL ne constitueront pas la meilleure solution pour mettre la personne humaine à l’abri des risques juridictionnels, car ils sont de nature à rendre plus longue la durée des procès et à occasionner des dépenses supplémentaires pour le justiciable, ce qui est contraire aux paradigmes d’efficacité. La solution qui semble la meilleure pour faire une justice pour l’homme serait de rendre le droit plus préventif des différends et litiges, plus juste (plus équitable et plus protecteur), de façon à rendre très exceptionnels les recours juridictionnels. Les modes alternatifs de règlement des litiges ne seront plus nécessaires lorsque le droit aura permis de prévenir les litiges prévisibles, entretenus pas le droit. Dans cette hypothèse, il ne restera que les litiges inévitables à trancher juridictionnellement ou par des juges. Les juges, comme les avocats, peuvent aussi contribuer à la prévention des litiges. L’objectif de réorganiser et de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles apparaît plus susceptible de sécuriser l’homme que des mesures de nature à faire durer davantage les procès. Il est en outre nécessaire de mettre les règles secondaires en compatibilité avec les objectifs principaux et de réaliser les réformes nécessaires pour les atteindre. Les objectifs de cette loi sont magnifiques, mais les règles secondaires n’apparaissent pas toutes les valoir. En ce sens, puisque c’est la tendance, recueillir les observations du justiciable sur la concordance des objectifs ou règles secondaires avec les objectifs principaux de cette loi pourrait être utile, pour mieux soigner et atteindre l’objectif ultime de sécurité humaine.

20. Conclusion. Malgré la qualité des objectifs de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et de leurs liens avec les principes de sécurité humaine, cette loi revêt le caractère d’une œuvre en gestation ou encore inachevée. Ce n’est pas bien grave. L’approche française permet de croire qu’elle sera améliorée progressivement. Cependant, quel dommage ! Cette réforme aurait dû produire le même écho que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : elle n’entraîne pas un effet plus important à l’échelle internationale ou dans les systèmes dérivés du droit français. Ces derniers auraient dû développer un mécanisme d’intelligence pour valoriser les stratégies occidentales de performance. Pourtant, ils reproduisent souvent, tous azimuts, des institutions et modèles inadéquats pour leur progrès. C’est inquiétant. Le concept de sécurité humaine aurait pu tout changer : il n’est pas complètement mis en œuvre. Pour sa part, celui de justice ne l’est pas non plus tout à fait. Alors, il convient d’espérer que le XXIIe siècle ne trouvera pas des peuples en train de rechercher ces mêmes concepts, à la Diogène, et là où ils ne peuvent pas être. Ce serait vraiment salutaire si nous pouvions nous responsabiliser davantage à l’égard de ces deux terminus unis du droit, avant l’élaboration de nouveaux plus magnifiques. Cette réforme confirme qu’il n’y a, en droit, ni un objectif plus élevé que la justice et la sécurité humaine ni une alternative à celles-ci. Étant les finalités essentielles du droit et indissociables l’une de l’autre, la justice et la sécurité humaine restent hors de toute atteinte l’une sans l’autre et en dehors de droit. Les séparer aurait été un échec assuré, du défaitisme. Et c’est ce qui rend la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle extraordinairement belle.

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Docteur en droit public (Université de Poitiers)